Le western serait-il du genre féminin ?

En dépit de l’imagerie virile associée au western, ce genre donne souvent la part belle au deuxième sexe. Le western féminin n’est pas une vue de l’esprit.

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Cowgirl Museum by Amy the Nurse(CC BY-NC-ND 2.0)

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Le western serait-il du genre féminin ?

Publié le 10 décembre 2017
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Les deux antagonistes sont face à face, l’arme au poing, prêts à faire feu. Le gunfight final, indispensable à tout western. Seulement il s’agit ici non de rudes cow-boys mais de deux femmes. Cette séquence ne sort pas d’un obscur nanar mais d’un classique du western, Johnny Guitar (1954) de Nicholas Ray. En dépit de l’imagerie virile associée au western, ce genre donne souvent la part belle au deuxième sexe. Le western féminin n’est pas une vue de l’esprit.

Dans Red River (La rivière rouge) d’Howard Hawks n’est-ce pas la douce héroïne qui vient, à coups de revolver, calmer l’humeur belliqueuse de John Wayne et Montgomery Clift se battant comme des chiffonniers ? Histoire de rappeler sans doute que le plus souvent le caleçon s’incline devant le jupon. Le western serait-il donc du genre féminin ?

Voici en tout cas un libre parcours dans l’univers du western classique.

Fiancée, épouse ou mère, la destinée de la femme dans le western ?

Chez John Ford, le grand maître du western, la femme est, à n’en pas douter, cantonnée à son rôle traditionnel. Pilier de la communauté mais pilier discret, elle est indispensable au bal, ce moment réconciliateur. Jeune fille, elle tourne la tête des jeunes officiers (She wore a yellow ribbon, La charge héroïque, 1949), épouse, elle regarde les hommes partir se battre ou revenir du combat. Elle assure avant tout la douceur du foyer, douceur interdite à Ethan, le héros solitaire qui ne fait que passer (The Searchers, La Prisonnière du désert, 1956).

Cette vision n’est pas propre à Ford. Ainsi apparait-elle également sous les traits de Kati Jurado (Broken Lance, La lance brisée, 1954, Edward Dmytryk) ou de Lilian Gish (Unforgiven, Le Vent de la Plaine, 1960, John Huston). Elle est la mère vénérée. Les épouses ou fiancées sont souvent encore plus effacées. Elles se tiennent toujours à l’arrière-plan même si elles motivent les actions des protagonistes.

La femme peut se voir ainsi comme accessoire, moins importante qu’un cheval selon l’interprétation délirante donnée au sujet par Jean-Louis Bory 1. Le western confirmerait son statut de genre macho et misogyne décrit par tant de critiques qui redécouvrent la lune tous les six mois. Les choses ne sont pas si simples.

Entraîneuse ou institutrice ?

Il y a deux métiers possibles pour une femme dans l’Ouest fait remarquer tante Abigail (Frontier Gal, La Taverne du Cheval Rouge, Charles Lamont, 1945) : l’un respectable, institutrice, l’autre non respectable, entraîneuse de saloon. Le héros, le fade Rod Cameron, est partagé entre la blonde et insignifiante institutrice et la brune et volcanique Lorena Dumont (Yvonne de Carlo). Le scénario s’inspire de La Mégère apprivoisée : le mariage de Johnny et Lena étant suivi d’affrontements où la moindre porcelaine sert de projectile à l’irascible épouse.

Au début de Winchester 73, l’entraineuse est expulsée de Dodge City par Wyatt Earp à la demande des dames respectables de la cité. Ce personnage, véritable cliché westernien, se retrouve chez Ford (Stagecoach) comme chez Preminger (Rivière sans retour avec Marylin Monroe). La prostituée au grand cœur aidant l’accouchement de la respectable épouse ou s’occupant du jeune orphelin est la figure féminine par excellence du western. Duel dans la boue (These Thousand Hills, Richard Fleischer, 1959), voit Callie, l’entraîneuse amoureuse sans espoir, contribuer à l’ascension sociale de l’ambition cow-boy Lat Evans (Don Murray).

Le Code Hays s’effaçant, l’entraîneuse se transforme plus explicitement en patronne de bordel. Le shériff vieillissant de Dead of a Gunfighter (Une poignée de plomb, 1969) de Don Siegel ne vit-il pas avec une dame exerçant cette ancienne profession ? Le fait qu’elle soit noire de surcroît n’améliore pas la faible cote de popularité du héros.

Les comédiennes

Les comédiennes sont des personnages proches, par leur mauvaise réputation, des entraîneuses. Lily Langtry, comme le savent tous les lecteurs de Lucky Luke, fit fantasmer le fameux juge Roy Bean. Elle n’est d’ailleurs guère plus qu’un fantasme dans les westerns. Chez Wyler (The Westerner, 1940), elle le conduit à sa perte et à la mort. Dans le film de John Huston, le juge se contente de couvrir les murs des affiches de sa bien-aimée dont il suit la carrière par la lecture du New York Times.

Une autre fameuse comédienne peut être signalée. Lola Montes (Yvonne de Carlo), en tournée dans l’ouest, s’arrête à Sacramento. Elle fascine le distingué Black Bart de George Sherman (1948), interprété par Dan Duryea. Il n’hésite pas à coiffer le haut de forme pour montrer qu’il est homme du monde, du moins quand il ne dévalise pas les diligences.

Mais à côté de ses figures historiques, évoquons un personnage de fiction mais dont Sofia Loren donne une interprétation toute charnelle. La diablesse en collant rose de George Cukor (Heller in pink tights, 1960)  suit ainsi une petite troupe itinérante dans l’Ouest. Le film, mêlant la comédie au western, est entièrement centrée sur son personnage féminin.

Des personnages à part entière

Raoul Walsh, cinéaste viril associé au film d’aventures, a toujours réservé une place de choix à ses personnages féminins. Dans Colorado Territory (La Fille du désert, 1949), le hors-la-loi Wes McQueen (Joel McCrea) s’illusionne un moment en espérant connaître l’amour avec une jeune fille bien sous tout rapport. Mais il va trouver son destin avec Colorado (Virginia Mayo) en qui il reconnaît la partenaire absolue. Superbe avec sa chevelure débordante, son corsage qui découvre une épaule nue, elle n’est pas simplement un fantasme masculin. Refusant de trahir celui qu’elle aime, elle crache au visage du shériff et tombe, l’arme à la main, criblée de balles. Le plan des mains enlacées des deux amants dans le sable du désert conclut ce western flamboyant.

Duel in the Sun (1946) de King Vidor, mais davantage de son producteur David O. Selznick, offre par son célèbre final des éléments de comparaison. Pearl (Jennifer Jones), objet du désir, porte malheur à tous les hommes qui l’entourent. Ce western baroque ou kitsch, question de point de vue, tourne autour des rapports tourmentés de son héroïne avec les autres. Elle finit par tirer sur le vil Lewt (Gregory Peck) mais, agonisante, rampe pour mourir à ses côtés.

Des westerns féminins

Convoi de femmes (Westward the Women, 1951) de Wellman a innové en son temps. En compagnie de son boss, un vieil homme, et d’un cuisinier japonais minuscule, Robert Taylor doit convoyer 150 femmes jusqu’à une vallée californienne peuplée uniquement d’hommes. Le film s’inscrit dans la tradition du convoi de pionniers. Il n’y manque ni la descente de chariot le long d’une pente raide à l’aide d’un treuil, ni l’orage torrentiel, ni la traversée du désert. Mais l’attaque indienne est habilement éludée : après une première tentative qui tourne court, les Indiens attendent que le héros soit ailleurs pour faire leur seconde tentative. Occupé à rattraper une Française qui s’est enfuie et ne lui est pas indifférent, il revient trop tard et découvre, impuissant, les résultats du combat.

Ce sont donc avant tout les forces de la nature que doivent affronter ces femmes qui se dépouillent peu à peu de leurs « froufrous » féminins pour adopter une allure toujours plus masculine. Elles sont amenées à conduire les attelages, encadrer le troupeau, faire le coup de feu. À ce jeu, l’impressionnante Hope Emerson dépasse tout le monde d’une tête. Vers la fin du film, une petite troupe de cavaliers résolus se dirige vers R. Taylor qui conduit une voiture pleine de tissus. Aussitôt ces rudes cowboys se rappellent de leur « sexe ». Ils se métamorphosent en femmes se disputant les chiffons comme au premier jour des soldes.

Le thème est repris en mineur par The Guns of Fort Petticoat (Le fort de la dernière chance, 1957) de George Marshall avec Audie Murphy. Officier déserteur, il entraine des Texanes pour résister à une révolte indienne alors que les hommes sont à la guerre : nous sommes à la fin de la Guerre civile en 1864.

Une autre variation constitue le sujet de The Secret of Convict Lake (L’énigme du lac noir, Michael Gordon, 1951). Un groupe de femmes se trouvent confronté à des bagnards évadés. Les maris, mineurs partis extraire de l’argent, ont laissé leurs épouses et filles dans ce hameau perdu dans les montagnes du Nevada. Le groupe sous l’autorité d’une matriarche paralysée (Ethel Barrymore) devra surmonter ce défi.

Le garçon manqué ou la femme émancipée de l’Ouest

Dans West of the Pecos (Edward Killy, 1945), Rill (Barbara Hale), fille du colonel Lambeth, arrivant de Chicago habillée comme une dame est prise pour une entraîneuse. Elle décide donc de s’habiller en homme. Le brave Pecos (Robert Mitchum) s’imagine qu’il s’agit d’un adolescent (quelque peu troublant) dans une variation mineure du Sylvia Scarlett de Cukor.

Bref, la jeune femme prend souvent des allures de garçon manqué qui mène la vie des cowboys : Missy (El Perdido), Juanita (Manhunt), Tess (L’homme qui n’a pas d’étoile) qui dresse les chevaux. ou Tonia (Passion, 1954) qui monte à cru, manie le lasso et marque le bétail en opposition à sa sœur jumelle, tout en féminité traditionnelle.

Le personnage trouve son origine historique avec Calamity Jane. Elle sait faire claquer son fouet, instrument qui la caractérise de The Plainsman (1936) à Wild Bill (1995). Cette femme rude a souvent été incarnée par des interprètes très féminines à l’écran : Jean Arthur, Yvonne de Carlo ou Jane Russell.

Le garçon manqué, toujours connoté positivement, s’oppose systématiquement à la belle aux fanfreluches : telle la brave Dusty et la dangereuse Opale de Duel at Silver Creek (Duel sans merci, Don Siegel, 1952).

Les serpents à sonnette et les autres

Les femmes trop belles et trop bien habillées sont en effet rarement fiables. La capiteuse Adelaïde (Yvonne de Carlo) « dame et amie du peuple », se révèle un serpent à sonnette (The Francisco Story, 1952). Elle se déplace en calèche et vit dans une superbe maison au décor chargé et luxueux, à l’image de la créole de Iron Mistress (La maîtresse de fer, Gordon Douglas, 1952) et de l’aventurière originaire de la Nouvelle Orléans (Heddy Lamar dans Copper Canyon, John Farrow, 1950) qui porte des robes non moins somptueuses et dirige le grand établissement de divertissement de la ville.

Mais le « garçon manqué » peut se métamorphoser à tout instant en « vraie femme » : Tonia, amoureuse secrètement de Juan, revêt une robe quand celui-ci vient à l’hacienda du grand propriétaire ; Tess revêt une robe pour servir à table les invités de son père ; Missy utilise la robe des 16 ans de sa mère et Juanita revêt également une robe à la fin de Manhunt (La Fureur des hommes, Henry Hathaway, 1958) pour exprimer son amour pour Lohman (Don Murray) qui va enfin décider de cesser de fuir.

Barbara Stanwyck, reine de la Prairie

Barbara Stanwick and Peter Breck(CC BY 2.0)

Barbara Stanwyck est sans doute la plus remarquable interprète du western classique. Elle campe des femmes fortes, portant aussi bien la robe que le pantalon (la Reine de la prairie, Cattle Queen of Montana, Allan Dwan 1954). Elle est capable  tout autant d’abattre un homme (McCord dans le même film) ou de mener un ranch (Les Quarante tueurs, Forty Guns de Samuel Fuller, 1957). Il faut la voir, vêtue de noir, chevauchant à la tête de quarante mâles redoutables mais soumis à son pouvoir. La baronne du bétail, figure assez fréquente dans les westerns classiques, manifeste toujours une énergie toute virile.

Femme de caractère, elle reste femme néanmoins : elle se baigne au moment de sa rencontre avec Ronald Reagan (Cattle Queen). Le caractère érotique de cet équipement hygiénique n’est plus à démontrer. Elle est celle que tous désirent dans le film de Fuller mais que nul ne peut dompter.

Elle incarne également une autre figure féminine de l’ouest : la femme blanche devenue paria pour avoir partagé la couche d’un indien. Squaw du dangereux Nanchez, elle suscite le mépris des honnêtes gens dans Femme d’Apache (Trooper Hook) de Charles Marquis Warren (1957). Une femme blanche ne doit pas tomber vivante entre les mains des Indiens. Le héros prévenant lui remet d’ailleurs une arme au cas où (Winchester 73, Last of the Comanches). Mais Cora est un personnage résolu à vivre à n’importe quelle condition tout en étant déterminée à ne pas abandonner son fils né de son « union » avec le chef apache. Barbara Stanwyck ici retrouve son ancien partenaire d’Union Pacific, Joël Mc Crea en sous-officier vieillissant et compréhensif.

Le dernier mot reste au personnage féminin

J’avais évoqué Red River en introduction. Les femmes interviennent souvent à la fin des récits pour dénouer la situation. Même Amy (Grace Kelly) toute quakeresse qu’elle est, encore vêtue de sa robe de noces, décroche un fusil et sauve son mari (Gary Cooper) en abattant un des criminels (High Noon, Le Train sifflera trois fois, Fred Zinnemann, 1952).

Dans Heaven with a gun (Au paradis à coups de revolvers, 1959) de Lee H. Katzin, ce sont les femmes qui vont obliger éleveurs de bovins et éleveurs de moutons à cesser leur conflit. Sans leur assistance, jamais l’ancien gunfighter devenu preacher (Glenn Ford) ne serait parvenu à ses fins. Les hommes peuvent fanfaronner, ce sont bien ces dames qui ont le dernier mot. Une vision attentive de nombreux westerns classiques devrait convaincre les plus sceptiques.

Les exemples pourraient être multipliés sans épuiser le sujet. La femme révèle bien des surprises dans l’univers westernien de l’âge classique.

  1. Raymond Bellour (dir.), Le western, Tel Gallimard 2007, 1ère ed. 1993, p. 143-146
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