Le western, un genre biblique ?

Les liens entre le western et la Bible n’ont rien de mystérieux. Nouveau Peuple Élu, les Américains ont aimé représenter la conquête de l’Ouest comme la réalisation d’une nouvelle Terre Promise. Mais certains westerns vont parfois très loin dans le symbolisme religieux.

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Shall We Gather at the River in 8 Films by John Ford by amt253 extrait youtube the searchers 1956

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Le western, un genre biblique ?

Publié le 24 juillet 2022
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Poser la question c’est y répondre. Les liens entre le western et la Bible n’ont rien de mystérieux. Nouveau Peuple Élu, les Américains ont aimé représenter la conquête de l’Ouest comme la réalisation d’une nouvelle Terre Promise.

Mais certains westerns vont parfois très loin dans le symbolisme religieux. Partons donc à la recherche du western biblique.

 

Traversée du désert et paradis perdu

Dans Meek’s Cutoff de Kelly Reichardt (2010), un jeune garçon lit le récit de la Genèse : Adam et Ève sont chassés du paradis, en écho au sort de ce petit groupe de pionniers venus de l’Est tenter leur chance en Oregon en 1845. Le spectateur de ce western soporifique peut éprouver à loisir le sentiment d’une interminable traversée du désert sans jamais atteindre le paradis terrestre.

J’avais souligné combien le désert tenait une place importante dans le western. Lieu de passage et de souffrance, il est un lieu de passage obligé pour accéder à la Terre Promise. Mais la nature dans le western prend également une dimension paradisiaque. La communauté religieuse des Quakers (The Big Trees, Félix E. Feist, 1952) célèbre ainsi ses offices dans une clairière de séquoias géants. L’œuvre sublime du créateur tient lieu de véritable temple en plein air. Dieu et Mammon s’affrontent : les pionniers respectent les géants de la forêt que souhaite abattre Jim Fallon (Kirk Douglas) et ses associés uniquement guidés par l’esprit de lucre.

 

La Bible, livre omniprésent

La Bible ne se contente pas d’inspirer le sujet de nombreux westerns.

Elle est généralement le seul livre que l’on aperçoit dans cet univers peuplé d’analphabètes. C’est le Good Book que l’on consulte à l’occasion et où l’on puise l’inspiration. Le général Howard, qui rétablit la justice à la fin de The Last Wagon (Delmer Daves, 1956) n’est-il par surnommé Bible General ?
Le livre est en effet rare dans le western, même si on en trouve éventuellement à l’épicerie. Mais un abécédaire coûte moins cher qu’une boîte de pêches au sirop découvre le héros de Nevada Smith de Henry Hathaway, 1966). Dans ce dernier film, le jeune Max (Steve McQueen) est sauvé par un franciscain, le père Zaccardi (Raf Vallone), qui essaie de le détourner de la vengeance. Max jette avec colère la bible qu’il lui tend. De la bible, il n’a retenu qu’un message : œil pour œil, dent pour dent. Il finira tardivement par découvrir son erreur à ce sujet.

 

Shall we Gather at the River

Mais à défaut de beaucoup lire, les personnages de western chantent.

Le fameux hymne Shall we Gather at the River, composée en 1864, était particulièrement apprécié de John Ford. Il est présent dans au moins huit de ses films dont Stagecoach (1939), Three Godfathers (1948), The Searchers (1956). Dans My Darling Clementine (1946), il symbolise l’instauration des valeurs chrétiennes dans l’Ouest sauvage. Tenant le bras à la douce Clementine, Wyatt Earp (Henry Earp) se dirige vers l’église en construction dont la présence symbolique s’identifie à une cloche, tandis que chante la communauté réunie. Le Fils du désert (Three Godfathers) est le plus religieux des westerns fordiens par son sujet. C’est même un véritable archétype du western biblique.

Un bébé est recueilli dans le désert par trois étranges rois mages. Ces hors-la-loi vont connaître ainsi leur chemin de croix et leur rédemption en se sacrifiant pour ce petit être. La Bible sert ainsi de guide jusqu’à la Nouvelle Jérusalem de l’autre côté du lac salé. L’hymne fait aussi une apparition dans Wagon Master (1950) qui conte les mésaventures d’un petit groupe de Mormons en route vers la Terre Promise. Inversement, le chant est brutalement interrompu par Ethan (John Wayne) dans La Prisonnière du désert, à l’image d’un personnage brutal et habité par la haine, qui ne respecte pas les morts, acte impardonnable chez Ford.

 

L’image ambiguë du pasteur

J’évoquais dernièrement combien l’image du pasteur est toujours ambiguë dans le western. Il s’oppose ordinairement au prêtre catholique, qui est souvent un franciscain, vivante image de charité. La défroque de l’homme de Dieu peut toujours dissimuler un imposteur à l’image du terrible pasteur vengeur incarné par Robert Mitchum dans Cinq cartes à abattre (Henry Hathaway, 1968). Ici la Bible sert à dissimuler un derringer, le Good Book se révélant aussi mensonger que le prétendu pasteur. Mais Robert Mitchum est tout aussi redoutable en faux prêtre catholique et vrai aventurier (The Wrath of God, Ralph Nelson, 1972).

Dans Apache Drums (Hugo Fregonese, 1951), le pasteur gallois (Arthur Shields, familier de ce type de rôle) se révéle un bigot fanatique et raciste. Il compare les Apaches mescaleros au diable. Les Apaches apparaissent ainsi comme des diables au corps peint tout droit sortis de l’enfer. Ils surgissent la nuit du haut des fenêtres de l’église dans une sorte de rituel sacrificiel païen. À la fin, le pasteur, qui a connu sa rédemption, vient s’agenouiller aux côtés de l’éclaireur indien qui prie ses dieux.

 

Un curieux western biblique : Les piliers du ciel

Le curieux Pillars of the Sky (Les piliers du ciel) de George Marshall (1956) met en scène le médecin missionnaire Joseph Holden (Ward Bond) qui a évangélisé les tribus indiennes de l’Oregon en donnant des noms bibliques pour faire disparaître les « noms d’animaux ». Le sergent Emmet Bell (Jeff Chandler), surnommé Emmet Soleil par les indigènes, est chargé du maintien de l’ordre avec des éclaireurs indigènes de la cavalerie : élevé de façon stricte et sévère, il est devenu un alcoolique sans foyer mais toujours capable de réciter les versets de la Bible à l’endroit ou à l’envers « tel le Diable ».

Pourchassés par les Indiens pour avoir envahi leur territoire, les survivants d’une colonne militaire se refugient dans l’église bâtie par Holden. Seul le sacrifice du missionnaire permettra la réconciliation des indiens et des soldats. Ces piliers du ciel renvoient aux montagnes considérées comme sacrées avant le christianisme mais tout autant aux fondations établies par Holden dont l’œuvre est reprise par Bell. Le pécheur trouve comme il se doit sa rédemption.

 

L’Odyssée des Mormons ou le western biblique par excellence

Brigham Young (1940) de Henry Hathaway mêle le film biblique (type Les Dix commandements) et le western. Tyrone Power mis en vedette est plus un témoin assez passif des événements que le héros d’une histoire centrée sur la personne de Brigham Young. Le second fondateur de l’église des Mormons, nouveau Moïse, est fort bien interprété par le discret Dean Jagger. Vincent Price joue Joseph Smith, le fondateur de l’église. Son exécution sommaire par une foule intolérante témoigne du talent du réalisateur.

Animé d’un souffle épique rare chez Hathaway, le film est d’une grande beauté formelle. À la recherche d’une terre promise, les Mormons traversent un fleuve pris par les glaces, errent dans le désert et doivent affronter une invasion de sauterelles. Plein de sympathie pour les Mormons, défendus au nom de la liberté de conscience, le scénario met cependant l’accent sur les doutes, la fragilité et l’ambiguïté parfois de Brigham Young. Toute l’interprétation est par ailleurs remarquable, avec la fripouille habituelle de l’époque, Brian Donlevy. John Carradine, pour une fois non voué à un rôle de méchant, campe un pittoresque mormon prompt à recourir à la violence.

La délicate question de la polygamie ne pouvant être abordée de front dans le contexte du Code Hayes, elle est traitée au détour de certains dialogues plein d’humour. Rarement la Bible et le western auront fait aussi bon ménage que dans cette œuvre qui vaut le détour.

 

Pale Rider, un western biblique de Clint Eastwood

Si les références religieuses sont loin d’être absentes chez Eastwood, elles se manifestent de façon très spectaculaires dans Pale Rider (1985). Le réalisme des décors, avec ses intérieurs sombres, s’y s’allie avec un fantastique teintée de religiosité.

Une communauté de mineurs dans les montagnes est victime de persécutions de la part de LaHood le grand propriétaire exploitant de mines de la région. Il convoite en effet Carbon Canyon, seul espace qui échappe à sa domination. Seul un miracle peut les sauver. Notre cavalier solitaire apparaît dès lors en surimpression, dans la neige au milieu de la forêt.

Le mineur Barett, l’âme de la petite communauté, vient s’approvisionner chez le seul négociant indépendant de LaHood. Provoqué par quatre gros bras, il est sauvé par Eastwood qui disparaît comme il est apparu, mystérieusement. Une citation de l’Apocalypse évoquant une grande épée, un cheval de couleur pâle, la Mort coïncide avec son apparition. Son col ecclésiastique le fait prendre pour un preacher.

 

Dieu et Mammon

Une fois de plus, Dieu et Mammon s’affrontent dans ce western biblique. Le père LaHood tente de corrompre l’étranger qui a redonné courage à la communauté. Le preacher terrasse le « monstre » (un géant) envoyé par le jeune LaHood.

Désormais résolu à faire couler le sang, le vieux LaHood fait appel à Stockburn. Avec ses six adjoints, ce marshall fait la loi de celui qui le paie. Dès lors, au bureau de la Wells Fargo, le preacher échange son col ecclésiastique contre des colts. Ange vengeur, il abat les gros bras du propriétaire puis la bande de Stockburn. Il les abat un par un, quasi invisible, ne gaspillant pas plus d’une balle pour chacun. Qui est-il donc celui qu’a reconnu trop tard le marshall ? Il disparaît dans le paysage sans révéler son secret.

Seraphim Falls, western biblique bizarroïde

Je terminerai cette rapide évocation par le plus bizarroïde des westerns bibliques, Seraphim Falls (David von Ancken, 2006). S’il évoque un nom de lieu, le titre renvoie surtout aux anges déchu. Toute la première partie est extrêmement réaliste avec ses personnages devant se confronter à des conditions naturelles extrêmement rudes. Le film glisse peu à peu vers le fantastique avec une symbolique qui devient lourdingue vers la fin.

Le film repose sur un thème classique : la vengeance et une structure éprouvée, la poursuite. Il s’appuie sur deux très solides acteurs. Pierce Brosnan campe le chassé nommé Gideon, et Liam Neeson joue Carver le chasseur. Il faut attendre la fin du film pour comprendre les motivations de Carver. Colonel sudiste, il a vu sa maison brûlée avec sa femme et son bébé par les soldats de Gideon, capitaine nordiste. Après un début flamboyant dans les montagnes, la descente est suivie par un affaiblissement sensible de l’histoire qui va s’effilocher puis s’achever de façon curieusement allégorique.

 

Western, bible et bric-à-brac symbolique

Un Indien philosophe et sentencieux (Wes Studi), nommé Charon (!), fume la pipe assis au bord d’un point d’eau. Il rend à chacun selon ses œuvres. Invoquant Yahvé, Gideon s’engage sur les étendues vides de toute végétation. Surgie de nulle part, la voiture de Madame Louise (Angelica Huston) vante les mérites d’un élixir qui guérit tous les maux. C’est Louise C. Fair (Lucifer !) qui fournit à chacun des protagonistes ce dont il a besoin pour tuer l’autre.

Le parcours géographique, du nord vers le sud, des montagnes enneigées du Nevada (tournés en Oregon) vers le désert salé et brûlant (Nouveau-Mexique) se double d’un parcours initiatique. Les deux protagonistes vont être amenés à se dépouiller ou à être dépouillés de tout ce qu’ils possèdent pour enfin accéder à la vérité.

Quelle est donc cette vérité ? La nécessité de l’oubli pour le sudiste et la rédemption pour le nordiste qui remet sa vie entre les mains de son adversaire.

La guerre est enfin terminée. Chacun peut reprendre sa route et leurs chemins se séparent.

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  • Le bon, la brute et le truand un sacré « western » biblique, toute l’histoire du cinéma Hollywoodiens

  • Le cinéma et la réalité historique (et pire la vraisemblance) ont toujours fait 2.

    Je pense que dans le prochain film sur l’Exode, Moïse sera interprété par Whoopi Goldberg.

    Au moins, le film sera drôle …

  • Sachant que la majorité des citoyens qui ont migré sur la nouvelle Terre étaient chrétiens pratiquant, ça n’a rien de déconnant… Du coup, les films sur la culture Africaine n’ont pas un peu trop de rituels « africains » ? (sans compter qu’il y a généralement trop d’acteurs noirs… ^^

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