L’illusion technocratique

Le despotisme éclairé de la technocratie au pouvoir est-il en mesure de réussir ?

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L’illusion technocratique

Publié le 22 novembre 2017
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Par Vincent Feré.
Un article de Trop Libre

La France connaît depuis trente ans une crise profonde de la représentation politique. Les symptômes en sont bien connus : forte abstention électorale, trouble des repères partisans, rejet des politiques et montée des populismes.

La raison majeure en est également bien connue : si droite et gauche ont feint, au moment des campagnes électorales, de s’opposer sur la question économique et sociale et sur la question nationale, elles ont mené, une fois au pouvoir, reniant leurs promesses et trahissant leur électorat, des politiques finalement assez proches et également impuissantes à résoudre la crise française.

La victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle est heureusement venue mettre un terme à cette imposture. Le despotisme éclairé de la technocratie au pouvoir est-il cependant en mesure de réussir ?

Le despotisme éclairé ou l’illusion de la rupture

En apparence tout a changé. Droite et gauche, désormais, gouvernent ensemble, mettent en œuvre le programme du Président qui, autre nouveauté, est celui du candidat. L’opposition politique a disparu. L’opposition syndicale est impuissante. Jean-Luc Mélenchon qui promettait de mettre la France dans la rue contre la loi travail a reconnu lui-même sa défaite : « Macron, pour l’instant, a le point ».

Un nouveau parti politique, celui du Président, la République en marche, a la majorité absolue à la Chambre. Beaucoup de ses élus, issus de la société civile, n’ont pas, encore une nouveauté, l’intention de devenir des professionnels de la politique mais de mettre, un temps, leurs compétences au service du bien commun.

Le président de la République d’ailleurs, lui non plus, ne fait pas de politique politicienne, il agit avec comme seul souci l’intérêt de la France et des Français.

Flanqué d’un gouvernement d’experts dévoués à sa personne – une spécialiste des ressources humaines au ministère du Travail, une magistrate à la Justice, un recteur à l’Éducation nationale -, il prend seul les mesures nécessaires au redressement de la France.

Une rupture en trompe-l’œil

Despote éclairé, il s’occupe de la politique au sens noble et étymologique du terme, laissant l’autre, la politicienne, celle des vieux clivages et des vieux égoïsmes partisans, aux populistes de tous poils.

La rupture tant annoncée et vantée par le pouvoir est pourtant largement en trompe-l’œil. La Cinquième République est depuis cinquante ans le régime de la technocratie et le Président lui-même en est issu.

Quant à l’hyper centralisation de la décision, elle renvoie à une pratique séculaire, tandis que l’existence d’un « parti godillot », doté récemment d’un chef nommé par le Président sans consultation de ses membres, rappelle les riches heures de la République gaullienne et mitterrandienne.

Si l’on en juge par les mauvais sondages, les Français ont d’ailleurs dû commencer à soupçonner le Président d’être lui aussi un politicien et ses conseillers devraient sans doute, pour lui éviter de futures déconvenues, lui lire quelques bonnes feuilles de Bernard Frank qui écrit dans Solde à propos de Raymond Barre :

qu’elle est détestable cette manie qui pousse les Premiers ministres à ne pas vouloir être des politiciens ! C’est pourtant en n’ignorant pas qu’on est politicien quand on fait de la politique qu’on peut tenter d’en éviter le défauts et les ridicules et non le contraire.

Mais là n’est pas la principale raison de l’impopularité préoccupante du pouvoir.

Le despotisme éclairé et le creusement de la fracture démocratique

N’en déplaise aux partisans du despotisme technocratique pour redresser le pays, le macronisme n’a pas résolu la crise de la représentation politique, au contraire.

Les nombreux thuriféraires du Président, le Président lui-même n’en ont cure et se rassurent à bon compte : les Français, veulent-ils croire,  sont plus attentistes qu’hostiles ; d’ailleurs, les opposants les plus radicaux – Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Laurent Wauquiez – sont moins populaires dans l’opinion que les plus accommodants – Alain Juppé et Xavier Bertrand1 – ; les débuts du mandat ont certes été plutôt favorables à la France de droite mais, patience, le tour de la France de gauche arrive – tiens, il y aurait donc encore deux France ? -.

Ses adversaires  quant à eux – il lui en reste !- stigmatisent le Président des riches, refrain connu, qui méprise le peuple et ne compte que sur les « premiers de cordée » pour mettre au travail « les fainéants ».

Le despotisme technocratique est en cause

D’autres, comme Bruno Frappat2, ont brillamment analysé son manque de charisme et son incapacité à entraîner les Français à sa suite. Mais il y a plus grave et qui dépasse la personne du Président.

C’est en effet le despotisme technocratique lui-même qui est en cause. Son efficacité d’abord : pour résoudre la question des déserts médicaux, il faudrait faire de la politique, négocier avec le corps médical ; or, miracle de la technocratie, on a appris qu’en la matière rien ne changerait ; pour réformer l’école publique aussi, il faudrait affronter les syndicats enseignants et étudiants, or le gouvernement a d’emblée choisi de ne pas les fâcher, l’enseignement privé peut se frotter les  mains. Qui peut croire que les Français ne s’en apercevront pas ?

Surtout, dans les deux cas, il faudrait poser la question des structures et aller vers davantage de décentralisation, une idée naturellement en contradiction avec les principes mêmes du despotisme éclairé pour qui le haut sait mieux que le bas. Ce sont pourtant les politiques de terrain qui ont la capacité, si on la leur laisse, de résorber la crise de la représentation.

Retour au local

Il y a d’ailleurs en Europe, dans des contextes certes différents suivant les pays, une réaffirmation du local qui peut se lire comme une volonté des citoyens de reprendre le pouvoir mais également comme un défi pour les pouvoirs centraux et un enjeu fondamental pour l’Europe elle-même.

S’agissant de la France, les libéraux auraient-ils oublié de relire Tocqueville et son éloge de la décentralisation politique ? C’est d’ailleurs la contradiction intellectuelle majeure du macronisme : un libéralisme économique affiché d’un côté et une pratique autoritaire et centralisée du pouvoir de l’autre ; son talon d’Achille peut-être aussi, le président de la République entretient des relations houleuses avec les représentants des collectivités locales qui pourraient finir par lui coûter cher.

Xavier Bertrand qui a le premier, au moment des élections régionales de 2015, perçu le discrédit de la classe politique et en a tiré les conséquences, a déclaré ; « mon parti, c’est la région ».

Une maxime plus modeste sans doute que la volonté un peu naïve du Président de renouer avec « l’héroïsme politique3 ». L’intuition surtout qu’on ne s’autoproclame pas homme providentiel et le souvenir peut-être que dans le récit national cher au Président, les révolutions – la Fronde, 1789 –  ont d’abord été girondines avant d’être jacobines.

 

Sur le web

  1.  Sondage Viavoce Libération, 13 novembre 2017.
  2.  La Croix du 21 octobre 2017.
  3.  Le Point du 31 août 2017.
Voir les commentaires (11)

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Créer un compte Tous les commentaires (11)
  • A l’exception sans doute de notre ministre de l’Education Nationale, les éclaireurs du despote sont issus des mêmes rangs et administrations qui avaient si bien éclairé les précédents gouvernements. Ca n’est pas ce que j’appellerais de l’éclairage. Le despote risque simplement de payer pour tous les fonctionnaires de Bercy que les Français ont rêvé de pendre au portique de ce ministère, et qu’il prétend transcender de sa puissance jupitérienne.

  • Nous avons déjà la réponse, que la France nous livre avec évidence. Il n’y a que le libéralisme et le marché libre qui soit vraiment efficace! Les pays les plus prospère sont les plus légèrement administrés.

    • @ Virgile
      Sans doute! Mais ce n’est pas le marché libre qui va combler le déficit budgétaire, diminuer la dette, combler le trou de la sécu et mettre la France au régime, doucement pour qu’elle n’arrête pas de travailler en grève générale, comme l’espèrent J.L.Mélenchon et Ph.Martinez!
      Vous avez un président inamovible et pas le pire de la Vième: vous collaborez ou vous sabotez! C’est votre décision!

      • « ce n’est pas le marché libre qui va combler le déficit budgétaire, diminuer la dette, combler le trou de la sécu et mettre la France au régime » Non, le marché libre ne va rien faire de tout cela, il va juste permettre que tout cela arrive. Pour paraphraser Churchill, c’est la pire des solutions à l’exclusion de toutes les autres.
        Collaborer au sabotage, vous voulez dire? Effectivement, c’est mieux, on peut (au pire) être accusés de complicité.
        « Pas le pire de la Vième », dites-vous? Je n’en sais rien, j’attends de voir, je suis loin d’être convaincu. Il a encore de la marge, il peut largement décrocher le titre. Et ce ne sont pas les premiers mois qui prouvent le contraire.

        • @ durru
          Merci de votre réponse.
          À propos du « sabotage » et d’E.Macron: votre avis est respectable et respecté.

          Ceci dit, « les jeux sont faits » depuis les élections! Et la France n’a plus 5 ans à perdre « encore*** »: donc il faudra faire avec ce qu’il y a! Le couple franco-allemand se voulant leader européen, d’accord, à condition qu’un des 2 ne reste pas en queue de peloton!

          *** E.Macron a engagé plus de réformes en 6 mois que Fr.Hollande en 5 ans, d’où « pas le pire »!
          Tant que la presse reproche qu’une réforme va « trop » loin ou « pas assez » (en miroir comme les opinions des journalistes), c’est que c’est une bonne réforme!
          « La pire décision de toutes est celle que l’on n’a pas prise. » (Zig Ziglar).

          • Bah oui, c’est sûr… Vous êtes dans une voiture, vous voyez le chauffeur se diriger vers un mur et, vu que c’est lui le chauffeur, vous l’aidez à appuyer plus fort sur l’accélération et à tenir le volant bien droit.
            Dans la vie de tous les jours, ce genre d’attitude vous semble d’une imbécilité sans nom. Mais, bizarrement, dans le monde politique cela vous semble la seule conduite respectable?
            En ce qui concerne les « réformes », EM est fidèle à sa devise: « En Marche ». On ne sais pas où on va, mais on y va, le mouvement est la seule chose qui compte. Des fois (souvent, en fait!), ne rien faire c’est moins pire que faire des conneries…

      • Le sabotage ne conduira peut être pas à la chute des despotes mais on est certain que la collaboration les confortera dans leur pouvoir. La choix est donc évident.

      • @Mikylux
        Je vous trouve un peu gonflé de nous donner des conseils de collaboration, semble-t-il depuis votre refuge fiscal. Que ce Président ne soit pas le pire de la Ve n’est pas encore sûr, et il est déjà clair qu’il sera loin d’être le meilleur (ou le moins mauvais).
        Quant à la grève générale, beaucoup parmi les opposants à Mélenchon et Martinez pensaient déjà que c’était un passage obligé à l’élection de Sarkozy, s’y attendaient pour Fillon s’il était passé, et pensaient qu’une fois la stérilité de ces blocages actée, on aurait dix ans de tranquillité pour prendre enfin les mesures qui s’imposent et qui peuvent nous en sortir.

        • @ MichelO

          Non, je ne suis pas « gonflé » ni même ambitieux!

          Je sais bien que personne ne me croit, mais je suis arrivé ici par pur hasard et j’y suis resté par conviction pas du tout fiscale (personnellement, en travaillant en Belgique, plus de 10 ans, et en France, 16 ans, je n’en ai guère « profité fiscalement »! Ce pays a bien d’autres atouts séduisants et le paradis fiscal a disparu avec l’opacité bancaire mais les clichés ont la vie dure, surtout dans les « enfers fiscaux ». ).

          J.L.Mélenchon est un tribun! La parole est sa seule production (rentable!). Ph.Martinez, c’est le travail des autres qui le nourrit! Assez bien aussi!
          Je ne doute pas que ces 2-là seraient preneurs d’une grève générale avec blocage du pays: leur moment de gloire personnel, un gâchis pour le pays!

          Alors « pour prendre enfin les mesures qui s’imposent et qui peuvent nous en sortir », comme vous dites, tout retard est regrettable! Si la grève est inutile ou toxique, vous voyez une autre solution réalisable?

          • Au contraire, la grève est indispensable. Nous payons toujours le coup de 95 où la grève a montré qu’une minorité pouvait empêcher les réformes nécessaires par la grève générale. Tant qu’un président n’aura pas affronté directement la grande grève, et ne l’aura pas vaincue en montrant que le blocage est dû à des minoritaires qui refusent le verdict des urnes, nous serons condamnés à des réformettes, éventuellement prometteuses, en début de mandat suivies de plus rien pendant 4 ans.
            Bon, je suis un peu provocateur en faisant de vous un anti-de Gaulle, mais je crois sincèrement que la vision que les étrangers ont de Macron est totalement biaisée, que c’est une foi aveugle dans ses intentions affichées et que les 4 ans qui viennent ne seront pas la période de compléments de réformes mais des atténuations sur la lancée du seul démarrage.

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