Un air de rentrée des classes

Et si à l’approche gestionnaire, rente de situation pour un syndicalisme enseignant en crise, on substituait un projet politique pour l’école ?

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Une salle de classe dans une école (Crédits : Conseil Général du Val-de-Marne, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Un air de rentrée des classes

Publié le 27 octobre 2017
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Par Vincent Feré.
Un article de Trop Libre

En cette période parfois déroutante de mutations accélérées, on pourrait être rassuré de retrouver à la rentrée un domaine où rien ne change : l’école !

Rapport sévère de la Cour des comptes, grève, crise du recrutement, faibles performances des élèves, défaillance de l’orientation. Chaque année se répète le même refrain. Mais loin d’être rassurante, cette répétition, révélatrice de l’incapacité française à adapter son système d’enseignement au monde nouveau, inquiète au contraire.

Et si à l’approche gestionnaire, rente de situation pour un syndicalisme enseignant en crise, on substituait un projet politique pour l’école ?

L’échec du syndicalisme enseignant

Le 10 octobre dernier, pour la première fois depuis longtemps, les neuf fédérations de syndicats de fonctionnaires ont appelé à faire grève. Dans l’Éducation nationale, une semaine après un nouveau rapport accablant de la Cour des comptes –« Gérer les enseignants autrement. Une réforme qui reste à faire » -, agitant au passage comme remèdes aux maux de l’école deux chiffons rouges pour le corps enseignant, l’annualisation des services et la bivalence au collège, on aurait pu s’attendre à une mobilisation massive. Or il n’en a rien été : 17,5% de grévistes selon le ministère.

En réalité, une confirmation de ce qu’on observe depuis longtemps déjà sur le terrain : la marginalisation du syndicalisme enseignant, son discrédit même. Fort à l’échelon central – on comprend son attachement au jacobinisme du système -, il ne pèse plus à l’échelon local.

En passe d’être victime du même « dégagisme » que les partis politiques traditionnels, il ne survit que grâce à ces chiffons rouges périodiquement agités par la technocratie et encore. Le ministre Jean-Michel Blanquer l’a d’ailleurs bien compris qui, le jour même de la parution du rapport des sages de la rue Cambon, a publié un communiqué de presse visant à déminer le terrain.

L’échec des syndicats peut certes être une bonne nouvelle pour le gouvernement si toutefois la faible mobilisation du 10 octobre ne le conduit pas à oublier le profond malaise d’une profession depuis longtemps abandonnée et qu’un discours récurrent, celui de la Cour des comptes mais aussi, souvent, celui de l’institution elle-même, rend responsable des échecs du système.

L’insuffisance de l’approche gestionnaire

La Cour des comptes illustre jusqu’à la caricature l’insuffisance de ce discours gestionnaire. Sa rhétorique est toujours la même : la France consacre beaucoup d’argent à l’école, or les performances des élèves français sont insuffisantes, donc les enseignants ne sont pas assez efficaces.

Personne naturellement ne niera qu’en matière de « gestion des enseignants, la réforme reste à faire », toutefois les hauts magistrats seraient plus audibles s’ils ne laissaient pas de côté d’autres explications des ratés du système… et du malaise des professeurs.

Sans entrer dans des querelles pédagogiques, la diminution des horaires d’enseignement dans certaines disciplines fondamentales en fait partie. Elle peut ainsi être corrélée avec les difficultés des élèves : en 2017, 4h30 de français en sixième contre 6 heures il y a vingt ans !

Au passage, plus aucun enseignant de français n’effectue tout son service en collège avec trois classes, il lui en faut quatre pour atteindre les 18 heures réglementaires. Qui peut nier l’alourdissement de la charge de travail des professeurs ? Qui peut croire que pour les élèves les apprentissages sont les mêmes en 4h30 et en 6 heures ?

Dans son rapport la Cour des comptes évalue les heures d’enseignement perdues pour cause de non remplacement des enseignants. Fort bien. Mais que ne mesure-t-elle aussi celles perdues dans les classes où il est impossible de faire cours, sans que l’institution ne s’en préoccupe ? Les conditions de travail dégradées : une autre cause de l’échec scolaire pourtant, une autre cause du malaise enseignant aussi.

La crise de l’école est donc beaucoup plus profonde que ne le soupçonnent les sages de la rue Cambon et leur approche technocratique de la question scolaire ne risque pas de contribuer à la résoudre.

Un projet politique pour l‘école

Le ministre Jean-Michel Blanquer en est d’ailleurs convaincu et dans son communiqué de presse du 4 octobre en réponse au rapport de la Cour des comptes, il insiste sur la nécessité d’ « une vision globale et systémique permettant de valoriser le métier d’enseignant et portant aussi bien sur le recrutement et la formation initiale et continue, que sur la gestion et la diversification des carrières ».

Car, autre symptôme de la crise de l’école, celle du recrutement se poursuit et s’amplifie – lors de la dernière session des concours, en 2017, dans le secondaire, 380 postes n’ont pas pu être pourvus en mathématiques, 350 en anglais, 150 en lettres modernes – sans oublier les démissions de stagiaires – en janvier 2017, un rapport du Sénat indiquait qu’elles avaient triplé dans le premier degré depuis 2012 !

Des chiffres, à l’époque, relativisés par le Ministère … et les syndicats. Ces statistiques inquiétantes ont néanmoins un double mérite : elles rendent totalement vaine et illusoire la revendication syndicale du « toujours plus de professeurs » en même temps qu’elles disqualifient l’antienne sur les professeurs privilégiés et enviables !

Dans le fond ce qui domine chez eux, c’est plutôt un profond sentiment de découragement.

Depuis fort longtemps en effet, non seulement on les rend responsables des échecs du système d’enseignement mais on ne leur dit plus ce que l’on attend d’eux. Il y a une bonne raison à cela : depuis fort longtemps, la société elle-même ne s’est pas demandée ce qu’elle attendait de son école.

Pays chargé d’histoire, la France espère pourtant une parole politique forte sur cette question. Il y a urgence. Le débat récemment lancé sur la formation professionnelle  pourrait en fournir l’occasion. Quelle finalité pour l’école dans l’économie et la société du XXI è siècle ?

Sans réponse à cette interrogation, il n’y aura pas de « valorisation du métier d’enseignant » et il y a fort à parier que le rapport 2021 de la Cour des comptes sera la réplique de celui de 2017, lui-même décalque de celui de 2013.

La question du sens avant tout donc. Celle des structures, pourtant fondamentale, viendra après.

Et si la rentrée 2018 se jouait pour les acteurs de l’école sur un tout autre air de musique qu’en 2017 ?

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  • c’est un fait la cour des comptes n’est que consultatif sans obligation de rectifier…
    même un membre de la cour des comptes devenu ministre des finances n’a pas été capable réduire les dépenses publique !!!!

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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