Par Gilles Martin.
On pourrait croire que le futur, ça fait rêver tout le monde. Ce désir de conquérir le monde, de sauver la planète, de satisfaire tous les besoins, de rendre heureux autrui. Tout ce qui fait que les entrepreneurs entreprennent et se lancent dans l’aventure.
Mais on peut imaginer, et même rencontrer parfois, l’inverse.
Ils existent aussi, peut-être, ces Comex de grands groupes peuplés d’anciens qui ont atteint le poste après vingt ou trente ans de carrière dans le Groupe, et qui portent un regard blasé sur le monde.
Ils ont le sentiment de défendre le principe de réalité : on a déjà essayé, on a connu les difficultés à faire les choses, les échecs et les déceptions. Alors, maintenant, le futur, ça ne fait plus rêver. Ils comprennent que le monde change, que les défis seront nombreux, mais leur obsession, c’est de faire durer le présent encore un peu plus, ne surtout pas l’accélérer.
C’est cette attitude qui rend certains Comex inconsciemment averses au risque, et sans ambition de disruption, de peur de casser la machine qu’ils connaissent bien et qui les a bien servis pour progresser jusque là où ils sont aujourd’hui. Si d’autres, les compétiteurs, essayent de changer, il faut s’en défendre, les empêcher, les attaquer.
La stratégie, cela consiste à réagir face à la concurrence, à la combattre. Si ça chauffe trop, on va aller chercher l’État et le gouvernement pour empêcher ces concurrents qui veulent détruire l’équilibre (et punir ces GAFA et autres insolents). Forcément, pendant ce temps là on a moins le temps pour inventer du neuf et penser au client.
Ce syndrome n’est d’ailleurs pas réservé aux anciens dans les grands groupes mais peut atteindre aussi des équipes qui ne veulent plus se passer de leur confort (idées reçues, convictions, ce qu’ils nomment l’expérience, leur croyance dans un monde qui disparaît mais qu’ils voudraient conserver le plus longtemps possible).
C’est pourquoi les dirigeants cherchent, pour éviter ce trou noir, à redonner de l’envie en permanence, et pas seulement pour offrir des perspectives aux investisseurs.
Les plans de performance, les restructurations, les trucs douloureux, ne peuvent sauver l’entreprise.
Donner l’envie du futur c’est projeter un futur favorable le plus concret possible pour déjà s’y croire et avoir envie d’y être et d’y vivre. Voilà à quoi servent encore les plans stratégiques à moyen terme.
Celui de Carlos Ghosn pour Renault est présenté par le PDG lui-même dans Le Figaro du 7 octobre.
On en comprend bien les ingrédients.
Le titre : Drive the future.
La vision à 2022, racontée comme si on y était déjà :
Fin 2022, Renault est une grande entreprise, par la taille. C’est une entreprise saine, parce que très profitable, et avec un bilan solide
Ça c’est pour le rêve des investisseurs, sûrement.
Mais ce n’est pas tout, il y a les défis à relever :
C’est une entreprise qui aura prouvé qu’elle a su relever tous les défis de son secteur : défis technologiques, défis géographiques, défis organisationnels.
Et puis, une vision ambitieuse, c’est aussi une nouvelle frontière, une conquête, avec des chiffres symboliques :
Ce plan est le plan de la Chine, où nous comptons passer de 40.000 à 550.000 ventes par an.
La Russie sera le premier marché du groupe au terme du plan.
Il ne suffit pas, bien sûr, de formaliser la vision ; l’exécution compte aussi.
Mais c’est un bon moyen de guérir de la panne de futur.
Qui veut essayer ?
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C’est la première fois que je lis cette approche précise sous la plume d’un Français (peut être 2 ou 3 x mais pas plus)
Pourtant en école de commerce ou en université, en Allemagne, Hollande, Suisse et Autriche, le premier rôle d’un responsable (manager ou autre), c’est : « provoquer et dominer le changement! »
Plus qu’un credo, tout doit aider à cette réalisation.
Simplement parce que on remarque que les idées , comme les process ou les outils, comme les hommes, atteignent un jour leur limite de compétence; c’est changer ou être contraint de changer.
En conséquence, on équipe les étudiants d’une « boite à outils » comportementale, qui vient compléter leur formation technique, et qui leur permet de décliner cet état d’esprit dans les situations de gestion de leur travail et de leur collaborateurs.
Et je crois que c’est le chantier de la décennie en France 😉
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