Par Antoine Véron.
L’entrepreneuriat, nouvel eldorado français
Il aura donc suffi d’une élection et d’une poignée de mains pour élever enfin la France au rang de « start-up nation », et même de pays le plus influent du monde. Il faut dire que sous le mandat de François Hollande, certes bien aidé par la bonne presse accordée au penchant sexy du monde entrepreneurial (c’est-à-dire pas forcément les artisans que les crédits d’impôts ont parfois tendance à oublier), l’essor des start-up n’a pu être que renforcé ; et l’arrivée au pouvoir de M. Macron a peu de chances de freiner la tendance.
Une tendance si forte que deux tiers des entrepreneurs considèrent qu’il est aujourd’hui facile de créer sa start-up. Cela s’explique notamment par la facilité à trouver des financements, que ce soit grâce à des crédits d’impôt donc, mais aussi de très médiatiques levées de fonds ou des prêts bancaires.
Relever le défi des start-ups
Mais la mise en place d’un cercle vertueux, dont l’équation inclut les réseaux sociaux, les espaces de coworking et les sites spécialisés, en parallèle d’une législation allégée, ont aussi fait de la création d’entreprise des nouveaux piliers de l’économie française.
Résultat, de plus en plus de monde souhaite relever le défi, à commencer par les plus jeunes et les plus diplômés. En moyenne, seuls 15% des créateurs de start-up ont sur leur CV un diplôme inférieur au master (tout comme 25% des effectifs de l’écosystème) et la moitié d’entre eux a moins de 30 ans. La difficulté à trouver un emploi stable ces dernières années à la sortie des études n’est sûrement pas étranger à cela.
À cet égard, rien d’étonnant à ce que 30% des créateurs dans leur vingtaine sortent d’école de commerce : d’une part, c’est au sein de ces établissements que l’esprit start-up s’est le plus développé, et d’autre part, la prolifération des écoles a fait de leurs diplômés des victimes naturelles du chômage de masse, à l’exception des plus renommées avec lesquelles un fossé s’est creusé. On pourrait pousser l’audace jusqu’à établir une corrélation entre ces deux raisons.
Une image dynamique
Rien d’étonnant non plus à ce que les pouvoirs publics, tant au niveau national que local, encouragent le mouvement. L’image dynamique que renvoie la prolifération des start-up, très concentrées à Paris (presque la moitié), renforce l’attrait de la nation à l’étranger, et instaure un climat de confiance : non, les Français ne font pas seulement la grève, ils savent aussi entreprendre !
Plus pragmatiquement, un chômeur qui veut s’essayer à l’entrepreneuriat peut toucher une aide à la création d’emploi qui le sort des chiffres du chômage (mais il peut aussi conserver ses droits à condition de ne pas être rémunéré). Cercle vertueux toujours, le but étant d’instaurer le fameux climat de confiance si cher aux plus hautes instances du pouvoir et aux entreprises.
Une tendance dont la pérennité pose question
Mais la question de la pérennité d’un tel mouvement se pose légitimement. N’y aurait-il pas comme une bulle qui pourrait à tout moment éclater ? Cette prolifération ne va-t-elle pas rendre les financements plus rares, difficiles et moins intéressants en ce que les faillites risquent de se multiplier ? Ou l’argent facile de ses financements n’est-il pas condamné à s’amenuiser ? S’il n’y a pas de réponse prophétique à apporter, chacun de ces questions méritent que l’on s’y attarde.
La multiplication du nombre de start-up, concentrées dans des secteurs particuliers et dans des zones particulières, pourrait en effet, par un mécanisme tout simple, les desservir.
En France, 38% d’entre elles ont décidé de surfer sur la vague du numérique et proposent des e-services. Si la position consistant à dire que le marché est suffisamment large pour toutes se défend, il n’en demeure pas moins que cette situation accroît la concurrence entre elles et finira par instaurer une sélection naturelle déjà très forte. En effet, 78% des start-uppeurs admettent volontiers qu’il est difficile de se développer.
Le problème de l’écosystème entrepreneurial
Facile à créer, difficile à développer : voilà tout le problème de l’écosystème entrepreneurial. La pérennité, défi principal à relever pour les start-ups, s’obtient souvent au détriment du concurrent, du fait des niches sur lesquelles se placent beaucoup d’entre elles.
Se mettent alors en place des stratégies du Winner Takes All : un seul peut subsister, et tous les moyens sont bons pour être celui-ci. Tous les moyens, ce sont souvent des levées de fonds de plus en plus démesurées, comme on a pu en voir dans le secteur de la livraison de repas ou des systèmes de paiement par mobile.
Ces levées de fonds justement sont l’objet d’une autre interrogation. Leur multiplication, et l’augmentation exponentielle de leur montant, peut-elle réellement durer ? Aujourd’hui, 31% des start-up se financent entre autres grâce à des fonds d’investissement, et les levées françaises battent des records d’année en année.
Le rôle des fonds d’investissement
Une des raisons à cela repose sur l’intérêt qu’ont ces fonds à investir tout ce qu’on met à leur disposition, au risque sinon de disposer de sommes moindres les années suivantes. Peu importe dès lors s’ils n’ont pas de projet véritablement pérenne à financer, puisque dans le pire des cas, la start-up fait faillite, ce qui n’a pas d’impact financier pour eux.
Et dans le meilleur des cas, leur pari leur garantit un retour sur investissement supplémentaire. Mais comme la multiplication des start-ups induit celle des réussites autant que celles des échecs, les fonds ont globalement toujours plus d’argent à dépenser, car leurs profits ne cessent d’augmenter – jusqu’à aujourd’hui du moins.
Car on n’est plus vraiment en présence d’un cercle vertueux, bien au contraire. Le jour où la bulle éclatera, les start-up se financeront moins facilement, ou moins spectaculairement. La concurrence reposera alors sur une différenciation plus féroce, sur le prix ou le produit.
Le jour où la bulle éclatera
Et dans le premier cas, tout le monde en pâtira. Reprenons l’exemple de la livraison de repas : si je n’ai plus la marge de manœuvre pour faire des pertes jusqu’à ce que mon concurrent disparaisse, comment m’imposer si ce n’est en réduisant mes coûts ? Et la baisse des coûts ne se fait certainement pas en diminuant la marge de McDonald’s, mais en réduisant le salaire des coursiers.
On pourrait rétorquer que les start-up pourront toujours se reposer sur les subventions de l’État, mais en réalité, rien n’est moins sûr. Rappelons notamment que, si l’entrepreneur en herbe ne va pas gonfler les chiffres du chômage, il n’en demeure pas moins qu’il peut toucher une aide équivalente à l’allocation chômage, pour l’accompagner dans sa démarche.
Ajoutez à cela les crédits d’impôts, en particulier le crédit impôt recherche (CIR) et le crédit impôt compétitivité emploi (CICE), auxquels ont recours plus de la moitié des start-ups, et vous obtenez des sommes astronomiques pour financer des entreprises dont 70% disparaîtront sous 3 ans.
Sur fond de réduction des dépenses, l’écosystème entrepreneurial semble une victime désignée pour économiser des fonds… perdus ? À moins que M. Macron ne tienne coûte que coûte à garder l’image de grand parrain des start-ups (ce qui est possible), les aides qui leur sont accordées risquent de diminuer au moins à long terme – peut-être que la mode sera passée d’ici là.
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