Un article de Trop Libre
Initié en 1983 avec le lancement de la ligne Paris-Lyon, le programme ligne grande vitesse (LGV) a doté la France du quatrième réseau ferré mondial (2024 km de voie).
Mais la relative prudence budgétaire des débuts laisse aujourd’hui place à une inflation de projets qui fait désormais du TGV un projet qui n’est plus forcément rentable et se trouve même facteur d’externalités négatives.
Un projet rentable à l’origine
Le choix de la grande vitesse ferroviaire en France fut d’abord technique. Inspiré de ce qui avait été fait au Japon, le projet regroupa ensuite recherche, industrie et exploitant. Le premier projet (la ligne Paris-Lyon), pourtant d’un coût de 2 milliards d’euros fut un véritable succès commercial, ce qui impulsa la construction de trois autres lignes : la ligne Atlantique (en 1989 pour la branche ouest vers Le Mans et septembre 1990 pour la branche sud-ouest vers Tours) pour un coût de 3 milliards d’euros.
Le Commissariat au développement, obligé par la loi LOTI de 1982 à réaliser une évaluation post-projet, dresse un bilan socio-économique positif de ces projets initiaux. À des gains de temps élevés pour les voyageurs, s’ajoute le constat d’un trafic et de gains de productivité dopés ainsi qu’une diminution notable des émissions de CO2.
Cette efficacité économique et technique est telle que le TGV devient une source de rayonnement économique incarnant le savoir-faire à la française. Le TGV est un des rares trains rapides dans le monde à avoir été exporté : Alstom a vendu son TGV en Corée du Sud (le Korea Train Express a été inauguré en 2004) et en Espagne (AVE).
Un emballement des projets
Les années 1990 donnent un coup d’accélérateur aux projets de ligne à grande vitesse. En 1993, la LGV Nord, avec 350 km et pour un coût de 3767 millions d’euros est lancée, quand l’interconnexion Nord-Sud en Île-de-France est construite en 1994-1996 (102 km pour 1579 millions d’euros).
D’autres projets suivront jusqu’à 2009, année de la loi Grenelle I qui prévoit 14 nouveaux projets d’infrastructures : ce sont près de 2000 km de voie qui sont prévus à la construction d’ici 2020.
Avec cet étalement, apparaissent des problèmes de rentabilité. Les conditions de pertinence des projets LGV se sont perdues au fil du temps. Le réseau devient trop grand à entretenir, rendant la dette de RFF insoutenable et conduisant cette entreprise à augmenter les péages qu’elle impose à la SNCF pour l’utilisation des voies (allant jusqu’à représenter aujourd’hui 20 à 30 % de ses coûts de cette dernière).
Pour être rentable, une ligne doit connecter des bassins de population importants avec des trajets à grande vitesse compris entre 1 h 30-3 h, sans arrêts intermédiaires et avec de grandes fréquences de circulations. Or avec l’étalement croissant du réseau, c’est de moins en moins le cas. Le taux d’occupation des rames, primordial lui aussi à la rentabilité du TGV, décroît également du fait de cet étalement.
Le TGV n’est donc plus dans le schéma qui a fait son succès à l’origine. Mais si ses conditions de rentabilités sont connues, pourquoi ne sont-elles pas respectées ?
Un processus décisionnel peu rationnel…
La rentabilité de ces projets qui, comme tout investissement public est soumis à évaluation en amont et après réalisation, semble avoir été systématiquement surestimée afin de pouvoir réaliser l’investissement. Ce biais optimiste est essentiel pour la validation du projet, la loi interdisant la réalisation d’un investissement non rentable.
Par ailleurs, à chaque projet de construction de LGV, on assiste à une véritable compétition des élus locaux qui souhaitent tous voir le TGV passer près de leur commune. Les multiples dérogations qui en découlent font petit à petit perdre au projet sa pertinence.
…Pour un des projets peu pertinents
Pour 40 % de son temps de circulation, le TGV roule sur le réseau classique lent. Roulant à la même vitesse qu’un TER, sa circulation est cependant beaucoup plus onéreuse.
Par ailleurs, le TGV dans son schéma actuel semble même être vecteur d’inégalités territoriales. Les grandes agglomérations étant seules reliées, celles-ci se polarisent au détriment d’une ruralité laissée de côté. Pour ne pas discriminer les territoires, le TGV devrait donc être complété d’un projet route et voies lentes parallèles.
Pour aller plus loin :
TGV : un quart de siècle de bouleversements géoéconomiques et géopolitiques par Stéphane Dubois
TRENTE ANS DE LGV : COMPARAISON DES PRÉVISIONS ET DES RÉALISATIONS, Chapulut, Jean-Noël ; Taroux, Jean-Pierre. Transports 462
SNCF : une définition moderne du service public. Entretien par Louis Gallois
TGV : LE TEMPS DES DOUTES ? Crozet, Yves, Pr. Transports 460
Adapter le réseau ferré à la France du futur par Pierre Messulam
La politique européenne du rail par Franklin Dehousse et Benoît Galer
—
Bonne analyse. Le TGV fut une innovation réussie. Il faut maintenant innover dans la basse vitesse: Faire voyager le passager de Brest à Bordeaux, Milan et Montpellier avec son vélo (électrique) et son laptop en lui fournissant une work-station connectée 4G et un environnement convivial. A quand de vrais voitures-salons-bars style pub anglais ou Weinstube remplaçant les hideux restaurants-plateaux des TGV? A quand le train convivial pas cher roulant à 160 kmh (vitesse du Corail) revu dans le même esprit plus sièges vraiment inclinables pour relier Paris-Bruxelles-Amsterdam-Berlin-Varsovie-Kiev-Moscou et faire renaître l’Orient Express jusqu’à Istanbul? D’ici que ce sera fait, Erdogan sera parti.
Bonjour
Le TGV est un échec financier (seule la ligne Paris-Lyon est rentable) et est devenu un enjeu de politique local.
Un train ‘normal’ roulant à 200 km/h est largement suffisant (et roule sur des voies classiques et coûte bcp moins cher.
Le grand oublié du transport ferroviaire est le réseau de banlieue de l’le de France qui est dans un état déplorable.
PS j’aime la petite touche sur le CO2, surtout dans un rapport de 1982.
Grande vitesse c’est vite dit …
40 mn de retard à Saint Malo …
1h de retard à Paris …
C’est bien de rouler à 320 km/h ………..
Il fut un temps pas si lointain où le garde barrière réglait sa pendule au passage du train ….. à ….. vapeur
Cet article a déjà été publié en 2016…, mais bon on peut admettre que cela n’est pas dénué d’intérêt alors que l’on vient de rajouter environ 500km à notre réseau de lignes à grande vitesse.
Le problème est que cet article est assez léger.
Les problèmes de rentabilité de la grande vitesse ont commencé avec la ligne méditerranée (Lyon-Marseille) et particulièrement la section Valence-Marseille inaugurée par Chirac en 2001, mais engagée par Mitterrand malgré un coût prévisionnel qui aurait du effrayer des dirigeants soucieux des finances de la Sncf (nombreux grands viaducs et un tunnel de 7km à l’arrivée sur Marseille). Mais Mitterrand avait dit : « quand on aime, on ne compte pas »…
RFF crée en 1997 a récupéré les voies et la majeure partie de la dette de la SNCF (environ 20Mds€ à l’époque) dans laquelle le coût de construction de cette ligne méditerranée avait une part importante.
Ensuite, pour éviter d’aggraver cette dette, les LGV Est et Rhin-Rhône ont été financées majoritairement par subventions publiques, RFF ne financement qu’environ 20% rentabilisables par le trafic. Pour les 2 tronçons mis en service ce mois-ci, les subventions publiques ont apporté aussi une part importante du budget de construction: environ 50%. Le reste a été financé non pas par RFF (désormais réintégré à la SNCF) mais par le privé et sera difficile à rentabiliser…
Mais le véritable problème financier de la SNCF ne provient pas tant du développement de la grande vitesse, que de la chute du Fret alors qu’il peut bénéficier de créneaux de circulation supplémentaires sur les lignes classiques déchargées d’une partie du trafic parti sur les LGV.
Alors que pour la route, la construction des autoroutes a permis et accompagné une augmentation spectaculaire du trafic routier qui a assuré la rentabilité de ce secteur (autoroutes et routes gérées par l’Etat ou les départements), il n’en a pas été de même pour le ferroviaire où la charge d’entretien du réseau a augmenté fortement puisqu’on l’a agrandi, alors que les recettes globales (voyageurs + fret) n’ont pas suivi cette augmentation.
En ce qui concerne le fret la SNCF est ans le domaine de la poésie…14 jours à un train de blé pour faire Orleans-Lamballe…
Rajoutez à ça les grèves, le j’enfoutisme des salariés SNCF et vous comprenez la désertion des clients fret.
Bien sur les camions encombrent les routes, mais ils arrivent à l’heure, sans rupture de charge et ne reviennent jamais vides.
Tout à fait exact. Lorsque vous avez besoin d’être achalandé pour votre entreprise vous ne pouvez confier à la SNCF car la marchandise doit être livrée à temps. Avec elle vous ne le serez pas, donc vous choisissez une entreprise privée de livraison par camion!
Il me semble que les retombées du TGV, dont la SNCF ne profite pas, sont méconnues. Pour consoler la Somme de ce que la ligne TGV ne passait pas par Amiens, une gare (Haute-Picardie) a été installée « au milieu des betteraves ». Tous les trains, et de loin, ne s’y arrêtent pas. Mais elle est maintenant entouré d’un nombre conséquent d’entreprises, pour le bonheur des communes voisines. Une SNCF capitaliste aurait acheté tous les terrains environnants!
Si déjà la SNCF était rentable….
Est-ce-moi ou Contrepoint semble effectuer plus régulièrement des redites d’articles sans préciser la date de parution de ces derniers ? Bien que l’information soit intéressante, c’est un peu dommage car Contrepoints m’a habitué à plus de rigueur et de qualité.
Et puis il y a des idées farfelues comme par exemple le TGV de Paris à Madrid via Bordeaux qui ne sera compétitif avec l’avion qu’à condition de rouler à au moins 600 km/h …
Le malheur est le goût français pour le prestige et le m’as tu vu! Chaque élu veut son stade, sa piscine, sa salle des fêtes… et son TGV!