L’État islamique pris aux mots, de Myriam Benraad

Présentation d’un petit ouvrage intéressant sur le détournement du vocabulaire, au service de la haine et de la destruction.

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L’État islamique pris aux mots, de Myriam Benraad

Publié le 22 juillet 2017
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Par Johan Rivalland.

Myriam Benraad est docteur en sciences politiques et spécialiste du monde arabe et du Moyen-Orient. Auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur l’Irak, elle s’intéresse ici à la manipulation par le langage à laquelle a recours l’État islamique pour rallier à sa cause des combattants à travers des revues, stations de radio, agences de presse, internet et réseaux sociaux.

Pour cela, elle décortique vingt binarités qui structurent tout le discours de l’État islamique de manière sophistiquée. À chaque fois, elle en explique les fondements, le but étant de voir plus clair dans le jeu des idéologues de l’État islamique, et contribuer ainsi à tenter d’en déconstruire l’idéologie, avec la volonté de mieux le combattre.

 

Vingt oppositions caricaturales et manipulatoires

Occident et Orient, Civilisation et Barbarie, Islam et Mécréance, Jihad et Croisade, Colonial et Décolonial, Unité et Division, Califat et Démocratie, Oumma et Nation, Tyrannie et Libération, Corruption et Justice, Humiliation et Revanche, Grandeur et Décadence, Tradition et Modernité, Bien et Mal, Pur et Impur, Beauté et Laideur, Utopie et Dystopie, Immanent et Transcendant, Paradis et Enfer, Vie et Mort, telles sont les vingt oppositions qu’elle étudie, en révélant la vision binaire et parfaitement manichéenne.

La notion de zone grise, reprise à Primo Levi (frontière entre collaboration et résistance ; ici entre apostasie et intégration de l’État islamique), sert de point d’appui à ce discours caricatural. Symbolisée par les sociétés plurielles et multiculturelles, qui s’opposent à son idéal de pureté islamique, celle-ci se rétrécirait de plus en plus depuis le 11 septembre 2001.

Tout signe de neutralité ou de tolérance envers l’occident de la part de musulmans est, en effet, à leurs yeux, une preuve de duplicité, et donc l’objet d’une condamnation, la charia étant, selon eux, une obligation religieuse.

 

Un discours bien rodé au service de l’idéologie

C’est pourquoi, aux jeunes occidentaux parfois un peu déphasés et souffrant d’une identité floue ou incertaine, ils proposent une utopie révolutionnaire, qui les oblige à choisir leur camp. Y opposant, pour les autres, l’annonce d’un enfer.

Ce qui passe par une rhétorique, un discours stratégique, destiné à rallier certains esprits, recruter un public large, à travers une dualité extrême.

Une pensée binaire et caricaturale qui n’est pas nouvelle, mais terriblement efficace.

Avec, comme toujours, ses idiots utiles qui, de manière souvent inconsciente, se rendent complices de certaines manipulations à l’occasion de certains débats de société, en France par exemple.

Une propagande sophistiquée et abondante, qui passe beaucoup par les technologies numériques pour véhiculer son idéologie à travers des cibles à la fois diverses et ciblées et inciter aux passages à l’acte.

 

Un détournement des mots savamment orchestré

Un discours écrit autour de dichotomies factices, qui opère un véritable détournement des mots et notions, et dont le présent ouvrage a pour objet de révéler, pour mieux les réfuter et contribuer à aider à la prévention de la menace.

Une approche destinée à déboucher sur une action sur le réel, en aidant à combattre cette propagande destructrice. Car, comme y insiste Myriam Benraad, c’est bien le discours qui est la principale arme de l’État islamique. Et les armes ne suffiront pas à le combattre. La création d’un contre-discours est, dans ce cadre, un élément absolument essentiel et central.

Un petit ouvrage à la portée probablement très modeste, mais dont l’esprit est utile et tout à fait bienvenu.

Myriam Benraad, L’État islamique pris aux mots, Armand Colin, mai 2017, 192 pages.

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  • À supposer que la « Charia » est, stricto sensu, « la loi de Dieu » qui ne peut donc être interprétée, elle s’oppose à « la loi des hommes », forcément l’oeuvre « d’apostats », si je saisis bien: nulle place pour le « laïc », « l’incroyant » ou l’agnostique dans le doute.

    Le doute, comme la curiosité, sont quand même à la base de l’intelligence humaine basée sur la connaissance. Le « binaire », en niant toute nuance, se place forcément hors toute réalité observée. C’est donc la négation de la liberté de penser et c’est dommageable!

    Je ne crois pas aux guerres de religion qui cachent souvent si mal la recherche du pouvoir (« politique », militaire ou financier).

    Ainsi, comme disait Ph. Geluck, si on dit, en Français de France, qu’une porte doit être ouverte ou fermée, en Français de Belgique, la porte peut être « contre » (contact entre porte et encadrement mais pêne non engagé dans la serrure) sans compter qu’elle peut être entr’ouverte (ou entrouverte).

  • ouais..mais c’est le propre de toute idéologie.. tiens prenons le discours des écologistes politiques…

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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