Le dangereux nationalisme antilibéral de Trump

Promettre de réduire la réglementation intérieure ou de secouer le système ne fait pas de vous un libéral bon teint. Trump représente en effet une menace sérieuse pour les valeurs fondamentales du libéralisme. Demandez donc à Ludwig Von Mises.

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Le dangereux nationalisme antilibéral de Trump

Publié le 3 mars 2017
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Par Brian Doherty, depuis les États-Unis
Un article de Reason.com

Le président Donald Trump a signé un décret énoncant qu’à l’avenir le nombre total de réglementations fédérales diminuera via la suppression de deux régulations pour chaque nouvelle créée. Il a nommé à la tête de la Federal Communications Commission et du ministère de l’Éducation deux personnalités qui veulent réformer leurs départements en faveur de la liberté de choisir.

Trump se dit être un défenseur pur et dur du Second amendement (bien qu’il soutienne aussi le fait de retirer le droit au port d’armes sur simple suspicion). Il a donné à la Cour suprême un juge prêt à remettre sérieusement en cause les pouvoirs régulateurs et policiers de l’État. Trump prétend au moins vouloir voir baisser la dépense publique et les impôts.

Les libéraux, qui sont censés promouvoir ces objectifs dans le cadre plus large de la réduction du pouvoir de l’État sur nos propriétés et nos choix, ne devraient-ils pas admirer et soutenir Trump ? Même pas un peu ?

Le libéralisme est bien plus que la défense d’une liste aléatoire d’actions déconnectées entre elles, même si celles-ci limitent dans une certaine mesure le périmètre et la dépense de l’État1.

 

L’unité du libéralisme

Le libéralisme est un ensemble unifié d’idées sur ce que devrait être l’organisation de l’ordre social.

Ce qui lie ensemble toute cette philosophie c’est le fait de comprendre (ou de croire pour les sceptiques) que la violence à l’encontre des personnes paisibles appauvrit, au final, tout le monde et est de toute façon presque toujours, ou toujours immorale.

Chez la plupart des libéraux, les arguments pragmatiques et moraux contre l’agression des innocents se nourrissent mutuellement. Pour eux, la notion de ce qui est moral est enracinée dans celle, généralement fondée sur le droit, de ce qui permet l’épanouissement durable des hommes. Chez la majorité des libéraux, la liberté est à la fois une facette importante du développement humain et une part nécessaire à la plupart des autres aspects de ce développement.

Que nous devrions être libres de faire ce que nous voulons de nous-mêmes et de notre propriété légitimement acquise n’est rien de moins que le cœur du libéralisme2.

 

Garantir la liberté individuelle

Étant donnée la nature des capacités de production des hommes, la meilleure façon de s’assurer que le « nous » collectif s’enrichisse plus vite est de garantir la liberté individuelle d’échanger avec les personnes de notre choix, et ce faisant de construire une longue et complexe chaîne de production et d’échanges qui bénéficie à tous (ou même juste à certains/beaucoup d’entre nous), sans tenir compte des accidents que sont les frontières nationales.

Le libre-échange et l’immigration libre sont donc au centre de la vraie vision du libéralisme classique tel qu’il s’est développé aux États-Unis au XXe siècle. Si vous ne le comprenez pas et ne l’intégrez pas, vous ne saisissez pas ce qu’est la liberté et n’œuvrez pas à sa promotion.

D’un point de vue libéral, le gouvernement Trump ne prend pas systématiquement les mauvaises décisions. Mais si parfois il vise juste, il ne faut y voir qu’un épiphénomène résultant de certaines alliances liées à la répartition du pouvoir au sein du Parti républicain, ou bien des intérêts des entreprises proches du président.

On ne peut accorder à Trump et à son gouvernement aucune approche sérieuse et de principe sur la réduction de l’État ou l’extension de la liberté puisque le trumpisme est fondamentalement un ennemi du libéralisme.

 

L’essence du trumpisme

Si l’on se base sur ses premières priorités et ses conseillers les plus proches, quelle semble être l’essence du trumpisme ?

C’est la violation éhontée, énergique et insatiable du droit de choisir librement ce que nous faisons de notre propriété légitimement acquise et de notre énergie, et le déni acharné du principe qui veut que c’est grâce à la liberté que nous créons des richesses immenses et sans précédent pour l’humanité3.

Moins d’un mois depuis le début du mandat, le trumpisme s’est révélé être sans doute possible bien plus centré sur une forme de nationalisme mal inspirée. Avec une bêtise expéditive et implacable, le gouvernement Trump a brimé le droit des entreprises de décider de l’utilisation de leur capital, notre droit d’acheter des produits étrangers sans être inquiétés et la possibilité pour d’autres personnes de venir paisiblement dans notre pays.

En cela, ce gouvernement part du principe qu’il vaut mieux ne pas commercer avec les personnes hors de nos frontières, qu’il revient au chef de décider ce que les entreprises privées font de leur capital et de leurs ressources et que nous devrions accepter de nous ruiner pour l’amère satisfaction de garder davantage de non-autochtones hors de chez nous (dans un contexte où ce soi-disant problème est quasi inexistant).

 

Antilibéralisme affiché

Trump est un dirigeant ouvertement antilibéral d’une sorte que nous n’avons pas vue depuis longtemps.

Le terme ouvertement est important ici. Ceux qui veulent minimiser la menace représentée par Trump peuvent, à juste titre, pointer du doigt les politiques minables et autoritaires que les gouvernements précédents et leurs alternatives fictives ont, ou pourraient mener. Dans le contexte actuel du débat politique, cela compte à peine. Trump est notre président et c’est à sa politique que nous devons faire face et combattre. Ne jamais se risquer à sembler exagérer ou extrapoler à quel point exactement Trump est, ou peut être, néfaste est probablement une question d’amour propre pour certains, mais ce n’est pas ce qui aide nécessairement à promouvoir la liberté.

Cela importe si un président enrobe ses politiques protectionnistes, de gestion du commerce ou de restriction d’une appréciation marquée pour la diminution des droits de douanes et une immigration plus libre, ce qui doit au moins réduire les effets délétères à la marge. Quand le vice étatiste rend cet hommage à la vertu libérale, on ne fait au moins pas délibérément croire aux Américains que le pays sera plus fort si les biens et le travail sont plus coûteux.

Un président qui rejette ouvertement et fermement le principe de la liberté économique et échoue à en comprendre les bénéfices est en effet pire que celui qui ne fait que violer négligemment ces principes. Il faut noter que dans un monde où nous devons produire et échanger pour vivre, la liberté économique est au cœur de la liberté humaine.

 

L’inquiétant Steve Bannon

Trump et son gouvernement ne font pas que violer les principes fondamentaux de la liberté individuelle de manière imprudente ou indirectement en poursuivant d’autres objectifs.

Le président est profondément et sincèrement opposé à la liberté économique. Plus que tout autre chose, Trump est un ennemi tapageur du libéralisme, et fier de l’être.

La présence et la prédominance continues de Steve Bannon dans son cercle rapproché indique que le nationalisme version Trump tend vers l’ethno-nationalisme, bien que le gouvernement ne le dise pas explicitement. Bannon croit que la société civile américaine doit nécessairement exclure les immigrés asiatiques s’ils sont trop nombreux (bien que les personnes de cette origine représentent plus de 5 % de la population américaine).

Alors qu’il a prudemment évité d’en dire trop sur sa pensée depuis qu’il occupe cette position très influente à la Maison Blanche, il est difficile de ne pas conclure que le nationalisme de Bannon a une composante ethnique. Il a en effet précédemment déclaré que le média qu’il dirigeait, Breibart, était une « plateforme pour l’alt-right », et la définition que donne son site de ce terme souvent et délibérément mal défini va dans le sens de l’ethno-nationalisme.

Le choix du gouvernement, apparemment sous l’impulsion de Bannon et de son acolyte Steven Miller, de démarrer son action par un mur frontalier cher et absurde, plus un déferlement de restrictions vaines (sauf dans leur cruauté et force de perturbation) à la mobilité des personnes venant d’un petit nombre de pays à majorité musulmane (et qui ne sont pas les pays musulmans d’où ont pu précédemment venir des menaces sérieuses d’actes terroristes envers les États-Unis) montre bien que l’argument de la sécurité publique ne tient pas. Ce sont soit des idiots, soit ces restrictions poursuivent un autre objectif.

Ce qu’ont montré ces restrictions de circulation, limitées mais si vitales pour le gouvernement Trump, c’est son avidité à construire un appareil de contrôle cher et déstabilisant à partir des peurs les plus spéculatives et les plus imaginaires. Un appareil de contrôle que Miller considère être un galop d’essai pour démontrer le pouvoir sans limitation du président sur certains sujets, même face aux tribunaux. Les peurs sur lesquelles il a décidé de se concentrer sont celles de « l’autre » qui est étranger, même si cet autre étranger réside légalement aux États-Unis ou ne désire rien d’autre que de travailler pour et avec les Américains.

Si vous voulez vous faire une opinion sur le gouvernement Trump et prédire ses actions futures à partir des engagements clés qu’il a montrés, ses préférences, buts et méthodes tels qu’affichés sont extrêmement mauvais et à prendre bien plus au sérieux que les tours de passe-passe sémantiques (pour le moment) sur la diminution de la législation et des impôts.

 

Trump contre Mises

Le libre-échange et l’immigration libre ne se trouvent pas au milieu d’une pile quelconque de politiques en faveur de la liberté dans laquelle chacun peut piocher en espérant que le résultat final soit suffisant. Ils en sont le cœur.

Le mépris de Trump pour ces principes démontre bien qu’on ne peut pas lui faire confiance pour défendre nos libertés fondamentales, sauf si c’est ce qu’exige la contingence politique pure ou peut-être son odieux désir d’humilier les ennemis et les opposants qui obsèdent son gouvernement. Certes, quelqu’un qui s’en prend à la gauche peut occasionnellement défendre une politique qui étend le champ de la liberté. S’en prendre à la gauche n’en est pas pour autant une attitude libérale en soi.

Qualifier Trump de quintessence de l’antilibéral n’est-il qu’un symptôme irrépressible du Trump Derangement Syndrome ? La tradition moderne du libéralisme américain n’est pas un bloc unique et ne doit pas son existence à une seule personne, j’ai d’ailleurs écrit un livre de 700 pages sur le sujet intitulé Radicals for Capitalism.

 

L’immigré Mises

Ceci étant dit, vu son influence sur presque tous les penseurs et toutes les institutions qui constituent le libéralisme américain moderne de la seconde guerre mondiale au XXIe siècle, on peut compter sur Ludwig von Mises, l’immigré autrichien économiste et philosophe social, pour révéler quel est le cœur du libéralisme américain moderne.

Mises, chassé de son Autriche bien-aimée par les Nazis, et témoin direct de la mort des principes libéraux par le fascisme ethno-national vantant l’homme fort, a consciencieusement et brillamment réfléchi et écrit sur chaque aspect de la philosophie sociale. Tout au long de sa carrière, il a identifié le libre-échange et l’immigration libre, dans le cadre d’un régime dont le droit respecte la propriété individuelle privée, comme le fondement d’une société libre. Une fois encore, ces principes sont ceux pour lesquels Trump n’éprouve rien d’autre que du mépris.

Son expérience personnelle et professionnelle a enseigné à Mises de manière frappante pourquoi le nationalisme au cœur du trumpisme est le pire ennemi du libéralisme classique, autrement dit de la tradition humaine, libératrice et créatrice de richesses que Mises a soutenue et fait progresser.

Le libéralisme de Mises, et donc le libéralisme moderne, ne s’est pas formé en réaction seulement au communisme marxiste mais tout autant contre la destruction de la richesse et de la vie occasionnée par l’étatisme autocrate, ethno-nationaliste et autarcique.

 

Embobiner la nation

Presque comme s’il avait prédit l’arrivée d’un Trump qui essayerait d’embobiner tout une nation pour qu’elle croit que le protectionnisme et des politiques migratoires d’exclusion puissent enrichir le peuple, et non des intérêts particuliers, et comme s’il avait voulu avertir les personnes pour qui la liberté est chère que ce ne serait pas juste une concession faite à la liste des libertés mais la fin des bénéfices et des victoires du marché libre (tout autant que le non-respect évident des faux-semblants qui veulent qu’on travaille pour le peuple, et non pour des élites privilégiées), Mises écrivait dans son premier ouvrage magistral de philosophie politique, Socialisme (1922) :

« Empêcher l’afflux de nouveaux ouvriers devient un point cardinal du programme de la politique particulière

[…]

Le libéralisme a montré qui faisait les frais de cette politique

[…]

Un système qui  protège les intérêts particuliers immédiats de différents groupements entrave la production générale et nuit en définitive à tous, y compris ceux qu’elle favorise en première ligne. Quel sera le résultat final pour l’individu, gagnera-t-il ou perdra-t-il avec le système de protection, comparativement au bénéfice que lui procurerait la pleine liberté de mouvement économique ? Cela dépend du degré de protection qui lui est assuré à lui et à d’autres

[…]

Du reste dès qu’existe, en principe, la possibilité de sauvegarder des intérêts particuliers et des privilèges, la lutte s’engage entre les intéressés pour savoir qui passera avant l’autre. Chacun cherche à devancer son voisin et à acquérir plus de privilèges que les autres, pour pouvoir encaisser plus d’avantages. L’idée d’une protection égale, sans aucune lacune, de tous les intérêts n’est qu’un mirage issu d’une théorie superficielle.

Car si tous les intérêts particuliers étaient également protégés, personne ne retireraient un avantage de cette protection. Tous sentiraient également les désavantages d’une productivité diminuée. Chaque individu a l’espoir d’obtenir pour lui-même une protection plus forte qui lui donnera l’avantage sur ceux qui sont moins protégés, et c’est cela seulement qui l’attire vers le système protectionniste. Chacun demande à ceux qui ont le pouvoir, de lui accorder et maintenir des privilèges particuliers.

En dévoilant les effets de la politique protectionniste le libéralisme a brisé les forces qui combattaient pour l’obtention de privilèges. On s’était enfin rendu compte, qu’en mettant les choses au mieux il n’y aurait que très peu de personnes pouvant retirer du système protectionniste un véritable bénéfice, et que la grande majorité y perdrait

[…]

Pour rappeler à la vie le système protectionniste il fallait d’abord anéantir le libéralisme. Mais une fois que le libéralisme est complètement surmonté et que le système protectionniste n’a plus à redouter de lui aucune atteinte, rien ne s’oppose plus à l’élargissement du domaine des privilèges particuliers. »

Mises était si attaché, intellectuellement et émotionnellement, à l’immigration libre que cet homme habituellement pacifiste pensait que les barrières à l’immigration justifiait presque légitimement que les exclus puissent déclarer la guerre.

 

L’horreur de l’ethno-nationalisme

Son livre de 1944 Le Gouvernement Omnipotent, écrit après avoir vu les horreurs que l’autarcie ethno-nationale a apportées à l’Europe, encadre son interprétation de l’importance fondamentale et vitale du libre-échange et de l’immigration libre :

« … Nous devons imaginer un ordre mondial dans lequel le libéralisme serait souverain

[…]

Dans ce monde libéral ou dans la partie libérale du monde, il y a propriété privée des moyens de production ; l’action du marché n’est pas gênée par l’intervention de l’État. Il n’y a pas de barrières douanières, les hommes peuvent vivre et travailler là où ils veulent. Des frontières sont tracées sur les cartes mais elles n’empêchent pas les migrations humaines ni le transport des marchandises. Les nationaux ne jouissent d’aucun droit qui soit refusé aux étrangers. Les gouvernements et leurs fonctionnaires restreignent leurs activités à la protection de la vie, de la santé et de la propriété contre toute agression frauduleuse ou violente. Ils ne font pas de discrimination contre les étrangers. Les tribunaux sont indépendants et protègent tout le monde avec efficacité contre les empiétements de l’administration. Les individus peuvent dire, écrire et imprimer ce qu’ils veulent. L’enseignement n’est pas soumis à l’intervention de l’État. Les gouvernements sont comme des veilleurs de nuit chargés par les citoyens de gérer le pouvoir de police. Les hommes en place sont considérés comme de simples mortels et non comme des surhommes ou des autorités paternelles ayant le droit et le devoir de tenir le peuple en tutelle. Les gouvernements n’ont pas le droit de prescrire aux citoyens la langue qu’ils doivent utiliser dans leurs rapports quotidiens, ni dans quelle langue ils doivent élever et instruire leurs enfants

[…]

Dans un tel monde, l’État n’est pas une entité métaphysique, mais simplement le producteur de sécurité et de paix. C’est le gardien de nuit

[…]

Mais il remplit sa tâche de façon satisfaisante. Le sommeil des citoyens n’est pas troublé, des bombes ne détruisent pas leur foyer et si quelqu’un frappe à leur porte tard dans la nuit, ce n’est certainement pas la Gestapo, ni l’OGPU.

La réalité où nous devons vivre diffère énormément de ce monde parfait du libéralisme idéal ; mais cela est dû seulement au fait que les hommes ont rejeté le libéralisme pour l’étatisme. »

On ne peut pas dire que Trump soit en train de tirer d’un chapeau nommé positions libérales quelques-unes d’entre elles, tout en négligeant les autres, et que les libéraux auraient donc des raisons d’être optimistes. On ne peut pas dire que le libre-échange et l’immigration libre existaient chez Mises parmi de nombreuses positions, et que ses raisons pour les poser en principes étaient fantasques.

Ce sont, comme il l’a expliqué et le savait au plus profond de lui-même à cause de l’histoire terrible de l’Autriche et de l’Allemagne à laquelle il a survécu, le fondement du libéralisme. Si Trump et son équipe ne comprennent pas ça, on ne pourra jamais faire confiance ni à leurs instincts ni à leur intelligence dès qu’il s’agit de liberté.

 

Pourquoi certains libéraux ne semblent pas particulièrement alarmés par Trump

Des inquiétudes et des points de vue conflictuels ont dicté les réactions de nombreux libéraux face à Trump4.

Les libéraux étant déjà tellement enclins à considérer la majorité de l’action de l’État américain, sous le contrôle des deux partis et d’une variété de politiciens, comme un mal épouvantable, nous avons poliment modéré notre sens, très vocal, de l’indignation publique face aux actions étatiques afin de ne pas être perçus comme des râleurs systématiques qu’on éviterait dans n’importe quel débat public.

Peut-être que la réalité sociologique rend les libéraux moins prompts à être les plus vocaux et les plus affolés au sujet de Trump. Comme beaucoup l’ont dit les semaines passées, Trump hérite de pouvoirs et d’un système qui existent et ont été exploités depuis longtemps, qu’il s’agisse des restrictions au voyage ou des expulsions.

Chez les personnes d’inclinaison libérale, j’ai vu, et on peut le comprendre, une vague de réactions du type « Attendez, vous être en train de me dire que l’État vous fait peur maintenant ? » face aux  plaintes les plus, disons, excessivement épouvantées.

 

L’anticonformisme libéral

Nous vivons une époque de grande tension sur la rhétorique dans le discours politique américain. Quelqu’un avec un côté anticonformiste (et les libéraux le sont par nécessité) peut être enclin à minimiser la vision apocalyptique qui veut que Trump représente une menace nouvelle, unique en son genre et inadmissible pour la liberté américaine. Augurer l’arrivée d’un événement inhabituellement dramatique a un coût social et intellectuel. Même quelqu’un d’extrêmement inquiet sur Trump peut éprouver des réticences à prédire une répression intérieure sévère et sans précédent.

Mais l’accession au pouvoir même de Trump était sans précédent à bien des points de vue, et son antilibéralisme fier et bien ancré a une certaine fraîcheur dans l’Amérique moderne5. La présence et l’influence grandissante de Steve Bannon, qui est d’après ce que nous observons un véritable adepte enthousiaste de l’ethno-nationalisme, rend difficile de croire que Trump ne veuille pas appliquer autant que possible sa volonté d’autarcie économique et de restriction.

D’après ce qui a été observé les premières semaines du mandat, les vestiges de l’attachement des Républicains au marché libre et à la liberté dans ce royaume ont été purgés du parti afin de lui injecter une  dose de trumpisme pur et nocif. Nous ne pouvons donc pas compter sur ce parti ou sur ses anciens engagements rhétoriques pour freiner Trump.

 

Philosophie de la misère trumpienne

Le nationalisme et le restrictionnisme de Trump sont une philosophie qui a déjà causé et continuera de causer beaucoup de misère, que ce soit de manière directe et patente pour les personnes dont les déplacements sont restreints, ou de manière indirecte et plus opaque dans l’amenuisement de la capacité du commerce international à créer des richesses.

Le président a décidé de faire de son premier conseiller, qui semble avoir une influence disproportionnée sur le gouvernement, un homme dont la seule préoccupation politique est à la fois stupide et malfaisante. Selon une conversation rapportée par l’historien Ronald Radosh (bien que Bannon par la suite dira ne pas s’en souvenir ni même avoir rencontré Radosh), Bannon revendique une approche « léniniste » pour atteindre son but, c’est-à-dire qu’il adhère à la pratique révolutionnaire de la terre brûlée qui vise la destruction de toutes les institutions existantes.

Je connais beaucoup de libéraux que cela fait sourire. Même Murray Rothbard, l’un des pères fondateurs du mouvement libertarien, pensait parfois en termes de stratégie léniniste ! Les libéraux ne détestent-ils pas le système ? Ne veulent-ils pas le voir tomber ?

La majorité des libéraux et moi-même détestons beaucoup de ce qui s’apparente au système et voudrions voir nombre de ses pans s’effondrer.

Mais la détestation de Bannon pour les institutions modernes n’a presque aucun point commun avec celle des libéraux. Il ne veut pas plus de liberté mais un pouvoir étatique implacable qui soutiendrait sa vision propre de la classe privilégiée. Il ne déteste pas les institutions modernes pour leur tyrannie, leur ingérence illégitime ou leur pouvoir de destruction sur la vie des gens.

Bannon voit les libéraux comme ses ennemis et a raison de voir les choses ainsi. Il déteste l’establishment actuel car il a le sentiment qu’il n’est pas assez engagé dans une guerre à mort contre l’islam radical. Il le déteste pour ne pas assez promouvoir un ethno-nationalisme autarcique qui ne rendra pas seulement les Américains plus pauvres et misérables mais le monde entier aussi.

 

Le tempérament de Trump (et pourquoi c’est loin d’être anodin)

Il y a une autre raison de penser qu’il y a de quoi s’alarmer avec Trump comme président.

Cela touche à ce qui a toujours expliqué mon attirance viscérale pour le libéralisme et ce qui l’a fait résonner en moi dans ma jeunesse. Et c’est pour ça aussi que je trouve malavisé, d’un point de vue libéral, de se comporter comme un Vulcain sans émotion ne faisant que donner des bons ou des mauvais points à chaque politique débitée par Trump, ou à chaque nomination effectuée par ses soins.

Si de nombreux libéraux détestent l’institution étatique, ce n’est pas par aversion générique de l’État, mais parce qu’ils honnissent la cruauté et le fait d’occasionner chez les autres une misère et une souffrance qui pouvaient être évitées. Et c’est pourtant ce qui sous-tend actuellement la majorité de l’action gouvernementale et semble être ce que Trump préfère dans celle-ci.

Oui, l’État est une institution dont la fonction première, le contrôle, est soutenue par la violence et financée via l’extorsion. Il est donc par essence une institution cruelle. Mais tout ce que fait l’État n’est pas fondamentalement mauvais, si on met de côté son mécanisme de financement. Certaines actions menées par l’État sont tout à fait pertinentes en dehors du fait que c’est lui qui s’en occupe. Trump et son équipe semblent principalement se concentrer sur les mauvais types d’actions, comme punir ou entraver les innocents et nous retirer le droit de commercer hors du périmètre que le chef juge approprié.

De l’immigration à la confiscation des biens, en passant par le droit de préemption ou la guerre contre la drogue, Trump semble être particulièrement pernicieux et dédaigneux des vertus du petit commerce et des vertus américaines du vivre et laisser-vivre ; le tout dans une sorte de style Viking qui plaît à nombre de ses fans appréciant de voir un chef mâle alpha prendre les rênes et punir ceux qui sont perçus comme des ennemis.

 

Trump ennemi des structures de contre-pouvoir

Trump s’efforce avec beaucoup d’application à délégitimer toutes les structures de contre-pouvoir, comme la presse libre ou les tribunaux, qui pourraient lui rendre plus difficile l’obtention de ce qu’il veut. Il est favorable à un renforcement de la police et mentira pour que vous soyez d’accord avec lui. Son procureur général, Jeff Sessions, exemplifie parfaitement comment l’exercice du gouvernement peut être utilisé comme un instrument de punition.

Sans même aborder les types de politiques menées, sans préjuger de ce que vous connaissez ou pensez des anciens ou potentiels futurs présidents, il s’agit, d’un point de vue libéral, d’une épouvantable, vraiment épouvantable, combinaison d’attributs pour un président. Ceux qui se sentent concernés par la fragilité de notre dette et des structures monétaires ou par la réaction à avoir face à une nouvelle attaque terroriste devraient plutôt, selon moi, être uniquement préoccupés de l’occupation caudilliste de la Maison Blanche.

Dans la sphère intellectuelle du libéralisme, certains croient avec passion que Trump sera moins susceptible de causer destructions et morts à l’étranger par la guerre que ne le serait le président américain moyen. Je pense simplement qu’on n’a aucune bonne raison de croire que ce sera vrai, bien que ce serait merveilleux si ça se produisait.

 

Ignorance économique de Trump

Les priorités de ses premières semaines au pouvoir prouvent que ce qui le motive le plus sont une cruauté malfaisante née de l’ignorance et des actes autocratiques qui bouleversent les projets, les vies et les entreprises d’êtres humains paisibles. Des actions qui sont inutiles et causent des préjudices immenses.

De tels actes sont revendiqués avec fierté par Trump et ses appuis via une combinaison d’ignorance économique (l’autarcie commerciale et le désir de forcer les entreprises à utiliser leur propriété selon les désirs du chef) et des propos alarmistes, stupides et sans fondement (le mur frontalier, l’absurdité autour des immigrés et des réfugiés).

Par humeur, certains peuvent s’amuser du désarroi des personnes de gauche parce que ces dernières ont contribué à la croissance de l’État, ou parce qu’ils éprouvent du mépris envers les valeurs que les autres choisissent librement, ou parce qu’ils sont arrogants, ou parce que vous n’aimez pas de quoi elles ont l’air, ou n’importe quoi d’autre. Mais se délecter des larmes de la gauche a un prix bien trop élevé : un individu qui visiblement se soucie nullement de démolir le commerce international pour prouver qu’il est fort.

À cause de ces élections malchanceuses, Trump dirige un pays quasiment à parti unique. Il est conseillé par un ethno-nationaliste fier de l’être et aime gouverner par des ukases exécutifs. Aucune de ces caractéristiques prépondérantes et bien visibles chez Trump et son gouvernement ne sont prometteuses pour un libéral.

Le mieux que les libéraux qui ont adopté une vision de long terme dans la culture politique américaine puissent dire, c’est que Trump pourrait servir de leçon sur les dangers de la centralisation du pouvoir exécutif, ou de celle des institutions éthiques de notre culture dans une machine dont les commandes peuvent être gagnées ou perdues aussi facilement que le contrôle de l’État fédéral.

Des gouvernements précédents ont bien sûr violé les principes du libre-échange et du cosmopolitisme mais ils ne les ont pas rejeté avec un tel enthousiasme, une telle malveillance et aussi publiquement tout en s’attendant à ce que la nation suive. En tant qu’adepte de Ludwig von Mises, je suis en toute logique alarmé. Ce n’est pas mon rôle de donner des instructions aux autres libéraux sur les stratégies spécifiques à adopter. Mais ne pas faire publiquement obstruction à Donald Trump, qui représente pour la liberté une menace spécifique et revitalisée provenant de la droite populiste, n’aiderait pas le futur du libéralisme dans les États-Unis du XXIe siècle.

Adorateur de la déréglementation ou non, les libéraux, donc ceux qui sont dévoués à tout ce qui relève de la liberté, de la paix et de la prospérité sociale, devraient considérer comme vitale la défense de l’édifice entier du libéralisme, particulièrement devant un dirigeant comme Trump. Peu importe ce qu’il peut faire à côté, Trump admire la force autoritaire, et déteste laisser les individus et les entreprises faire leurs propres choix sur l’allocation de leurs argent et propriétés. Il a de plus choisi Bannon comme conseiller idéologique, qui désire détruire les bénéfices fragiles mais vitaux de la civilisation internationale moderne en poursuivant son rêve fou et hideux.

Il est possible que cela ne finisse pas aussi mal qu’il n’y paraisse pour les libéraux. Ceux qui dressent les tableaux les plus noirs pour les quatre prochaines années sembleront peut-être avoir exagéré mais en observant ce qui s’est déjà passé avec les restrictions de circulation et des échanges, et les idées et attitudes dominantes qui imprègnent le gouvernement Trump, cela a l’air extrêmement mal parti.

  1. Cf. Steven Horwitz, un économiste de tradition hayekienne, qui déclare très pertinemment qu’il est impossible d’un point de vue libéral de juger Trump en listant les transformations discrètes qu’il a impulsées dans la conduite de l’État dans certains domaines.
  2. Un débat complexe et tumultueux entoure les questions sur nos actions et quelles sont celles qui ne concernent que nous, et comment, pourquoi, et sous quelles circonstances la propriété est légitimement détenue et ce que cela implique pour son usage. De telles questions ne peuvent pas être résolues dans un seul article.
  3. Encore une fois la plupart des libéraux ne s’agrippe pas à la liberté en tant que valeur déconnectée des autres, bien qu’ils la privilégient dans la plupart des cas. Ils croient aussi que, globalement, c’est bien la liberté qui favorise la maximisation des richesses et du bonheur. Le libéralisme est aussi bien une philosophie d’amélioration des conditions sociales qu’une philosophie des droits individuels.
  4. À l’ère des réseaux sociaux, il est beaucoup plus aisé, que l’on s’en réjouisse ou non, d’être exposé à un éventail très large de points de vue sans passer par le biais de médias reconnus.
  5. Encore une fois le vice étatique rendant hommage aux vertus de la liberté est important ici.
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  • L’opinion d’un bassiste punk rock est peut-être honorable, mais dire d’un milliardaire qu’il n’y connaît rien en économie, c’est effectivement très punk. A part ça, qu’est-c- que cet ovni anti-Trump vient faire dans Contrepoints?

    • Je pense qu’il s’agit plutôt de Brian Doherty, né le 1 juin 1968 et journaliste qui travaille pour Reason, plutôt que le Brian Doherty qui fait de la musique.

      • Wikipédia en anglais, Brian Doherty, journaliste.. ».Avant de travailler pour l’Institut Cato au début des années 1990, Doherty a servi en tant que stagiaire au magazine Liberty et a écrit sur la musique et la culture populaire au The Independent Florida Alligator . Comme un étudiant à l’ Université de Floride , où il a reçu un diplôme en journalisme , [1] Doherty a joué la basse dans plusieurs punk rock bandes, y compris The Jeffersons et Turbo Satan. Il a fondé Cerise Smash Records en 1993. »
        Cordialement,
        René

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