Cour Suprême : sans doute la meilleure décision de Donald Trump

Si Gorsuch est confirmé par le Sénat, alors la présidence Trump ne sera peut-être pas la pire de l’histoire américaine.

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Cour Suprême : sans doute la meilleure décision de Donald Trump

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 février 2017
- A +

Par PA Berryer.

By: Brittany HoganCC BY 2.0

La mort d’Antonin Scalia le 13 février 2016 aurait pu être l’événement le plus important du mandat d’Obama. Le président américain a eu l’occasion de remplacer un juge nommé par Reagan en 1986 et de modifier pour des décennies les équilibres au sein de la Supreme Court of The United States (SCOTUS). Il avait déjà pu nommer deux juges, Elena Kagan et Sonia Sotomayor, deux juges perçus comme progressistes car étant partisans de la théorie dite de la living constitution.

Avec Antonin Scalia, partisan de la théorie originaliste, Obama pouvait faire basculer la SCOTUS dans l’autre camp. Grâce, ou à cause c’est selon, à l’action du Sénat républicain, la nomination du candidat démocrate a été bloquée et n’a pu avoir lieu avant l’élection américaine. Le 31 janvier, Trump a nommé Neil Gorsuch comme remplaçant d’Antonin Scalia.

Neil Gorsuch est actuellement juge fédéral à la Cour d’appel des États-Unis pour le dixième circuit ; nommé par Bush en 2006, il a été confirmé à l’unanimité par le Sénat. Point intéressant, il est épiscopalien, la version américaine de l’anglicanisme. Cela fait longtemps qu’un protestant n’a pas été nommé à la SCOTUS. La volonté de mettre en avant les minorités aux USA, aussi bien ethniques que religieuses, a conduit à une SCOTUS partagée ente catholiques et juifs ; cela fait donc longtemps qu’un Wasp n’a pas été désigné.

La philosophie des juges compte

Plus important que la religion, c’est la philosophie juridique des juges qui compte. J’ai évoqué plus haut les théories de la living constitution et originalist. On peut résumer les différences ainsi :

 

  • les partisans de la living constitution, ou Constitution Vivante, estiment qu’il faut adapter le texte au présent. La Constitution n’est pas figée dans le passé mais doit être adaptée à la réalité du moment. C’est le rôle de la Cour Suprême que de procéder à cette actualisation constante du texte.

 

  • À l’inverse, les originalists considèrent que le texte doit être interprété dans le sens voulu par ses auteurs. Pour eux, il convient de rechercher leur intention. Ils refusent d’imposer à la Constitution les théories et pratiques juridiques de notre époque. Le texte doit rester neutre et au-dessus des tensions pouvant animer notre actualité temporelle.

 

Il ne faut pas croire que ces querelles de juristes sont sans importance, car c’est ici le rôle du juge et de la SCOTUS qui se joue. Les originalists défendent l’idée que le juge n’a pas à intervenir dans le jeu politique. Ils pointent les conséquences néfastes de leurs adversaires. Selon eux cela revient à laisser la Cour trancher des questions qui relèvent du Législatif et de l’Exécutif. On attend désormais de la Cour qu’elle règle des problèmes cruciaux comme la peine de mort ou la discrimination positive. De leur côté, les politiques sont trop heureux, par lâcheté, de laisser la Cour se débrouiller de ces épineux débats.

Les partisans de la living constitution arguent qu’il ne faut pas laisser le texte se figer car s’il correspondait à une époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui, cette mise à jour est nécessaire. On oppose souvent conservateurs et progressistes sur ce sujet mais ce n’est que partiellement vrai. Ainsi, en 2003, dans Lawrence v. Texas, Clarence Thomas, originalist, a considéré que le statut anti-sodomie du Texas était d’une « stupidité peu banale » (uncommonly silly) ; il ne lui appartenait pas de le supprimer dans la mesure où la loi n’était pas anticonstitutionnelle, mais toutefois, il voterait pour son abrogation s’il était membre de la législature du Texas.

Le juge Andrew Napolitano, connu pour ses positions libertariennes, a été des plus enthousiastes en apprenant cette nomination « He is probably the most worthy jurist in the country to fill the shoes of Antonin Scalia for a couple of reasons: one is a healthy skepticism about the ability of the government to regulate the economy and to regulate our personal lives ». La nomination de Neil Gorsuch est donc une très bonne nouvelle pour la préservation des libertés aux USA.

Elena Kagan et Sonia Sotomayor ont remplacé deux juges qui étaient des partisans de la living constitution, les équilibres n’ont pas changé. La SCOTUS était généralement divisée en deux groupes de 4 juges, et c’était très souvent Anthony Kennedy qui faisait pencher la balance.

C’est pour cela qu’il est nommé le swigging judge, bien qu’il vote de plus en plus souvent avec les partisans de la living constitution. Avec la nomination de Neil Gorsuch, l’équilibre est maintenu, c’est- à-dire légèrement en faveur de la living constitution, grâce à Anthony Kennedy.

Toutefois, si j’avais annoncé en 2012 le risque que la SCOTUS puisse basculer totalement en faveur de cette philosophie juridique, c’est bien l’inverse qui pourrait se produire. Deux juges, Anthony Kennedy et Ruth Ginsburg ont dépassé l’âge de 80 ans, Justice Breyer a 78 ans. Tous sont partisans de la living constitution. Le remplacement d’un seul d’entre eux par un originalist fera, cette fois, basculer la SCOTUS.

Si Trump décide de nommer un juge dans la lignée de Scalia et de Gorsuch son mandat ne sera pas une catastrophe car il permettra de modifier la physionomie de la SCOTUS pour des décennies, et dans un sens de limitation du pouvoir, de préservation des libertés individuelles. Bref, en ce début d’année, il y a des lueurs d’espoir outre-Atlantique.

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  • « Si Trump décide de nommer un juge dans la lignée de Scalia et de Gorsuch son mandat ne sera pas une catastrophe… »

    Parce que cette unique décision – judicieuse, il est vrai – permettra de passer au bleu les menaces concrètes que font peser sur les libertés américaines les idées et le programme politique de Trump ?

    • Ne vaut-il pas voir des menaces dans des propos parfois outranciers mais sur lesquels il a été élu, que d’entendre « Yes we can » et ne jamais pouvoir identifier clairement les menaces qui se cachaient derrière ces belles paroles pleines de miel et d’encens ?

      • Il ne s’agit plus simplement de propos outranciers, mais déjà de décisions politiques.
        Faut-il rappeler qu’un des décrets de Trump vient d’être attaqué et suspendu par la justice pour violation de la constitution et des lois américaines ?

        • Faut-il rappeler que ce décret présidentiel s’appui sur des bases juridiques discriminantes visant ces quelques pays arabes mises en place à plus de 90% par l’administration Obama ?

          • Le décret de Trump s’appuyait sur une liste de pays établies par l’administration Obama qui avait été établie ponctuellement en vue d’une menace précise à une date précise. Et qui ne concernait évidemment pas les personnes disposant d’un visa en règle.
            Rien à voir avec le Muslim Ban général décrété par Trump.

            • Oui, on peut voir les choses comme ça.
              Quand on a posé les explosifs, qu’on a mis une mèche courte et laissé le briquet en place, il ne faut pas s’étonner que le type qui vienne après allume la mèche…
              Quand on a fichu le bazar au moyen orient depuis des décennies, qu’on est en conflit armé un peu partout dans la région depuis le milieu du siècle passé, on peut s’offusquer que le nouveau boss prenne des mesures inacceptables.
              La paille, la poutre…

  • Neil Gorsuch est certainement un juriste compétent et brillant, et l’un des meilleurs choix qu’un président républicain puisse faire.
    Toutefois l’article va un peu trop vite sur la distinction entre les partisans de la « constitution vivante » et les « originalistes », ainsi qu’entre les partisans d’un certain activisme et les partisans d’une certaine retenue (les deux distinctions ne se recoupant pas entièrement). S’il est vrai que ce clivage recoupe aujourd’hui le clivage politique démocrate vs. républicain, cela n’a pas toujours été le cas. La Cour Suprême a par exemple pendant plusieurs années été d’un activisme certain contre le « new deal » du président Roosevelt.
    Pour ma part, si les juges doivent être attentifs à ne pas faire passer leurs convictions avant leur travail de juge et donc d’analyse du texte, une position purement originaliste n’a pas de sens, ne fût-ce que parce que les textes originaux doivent être lus à la lumière des amendements ultérieurs, et que l’intention des rédacteurs du texte original et des amendements n’est certainement pas la même – il appartient alors au juge à fournir une interprétation qui rende compte du texte global de façon cohérente, au mépris parfois de l’intention des uns et des autres. De plus l’intention est un concept susceptible lui-même de manipulation politique. Comment connaître l’intention des auteurs d’un texte alors même que le juge doit répondre à une question à laquelle l’auteur du texte n’avait pas pensé, ou qu’il n’avait pas même imaginé? L’exercice consistant à deviner ce qui se passait dans la tête de personnes mortes il y a deux siècles trouve rapidement ses limites…

  • Une bonne source d’informations non partisanes sur D. G. Trump, non partisan voulant dire ni démocrate ni répulicain est le site libéral américain Reason http://reason.com/ quand c’est bien il le dise quand c’est de la merde pareil.

  • @ Bruno Dandolo

    La position originalist ne méprise pas les amendements, elle les étudie de la même façon, ne serait-ce que par ce que les dix premiers forment le Bill of Rights (résultat d’un compromis entre partisans des états fédérés et ceux de l’état fédéral en 1791). Un exemple: la peine de mort. Les originalists considèrent qu’elle ne viole pas le 8ème amendement à propos des peines inutilement cruelles car la peine de mort était tt à fait admise à l’époque (1791). Par contre, si un amendement abolissait la peine de mort, ils appliqueraient cet amendement. Le problème n’est pas tant la vision originalist que la lâcheté des autres branches du gouvernement qui préfèrent laisser la SCOTUS décider de sujets qu’ils ne veulent pas trancher.

    • « Le problème n’est pas tant la vision originalist que la lâcheté des autres branches du gouvernement qui préfèrent laisser la SCOTUS décider de sujets qu’ils ne veulent pas trancher. »

      Pour ensuite se faire accuser de violer l’esprit des pères fondateurs ça tourne autour du pot ce débat.

    • Merci de votre réponse. Je n’ai pas dit que la position originaliste méprisait les amendements, j’ai dit que son principe (se limiter à trouver l’intention du législateur) me paraissait difficilement compatible avec le fait que le texte avait subi des amendements et que cela nécessitait un travail d’interprétation globale du texte tel qu’amendé, et non l’interprétation d’une disposition prise isolément pour laquelle il faudrait uniquement rechercher l’intention du législateur qui l’avait rédigé et/ou approuvé. En d’autres termes, changer en un temps T2 l’article X peut avoir des conséquences sur la façon dont on comprend l’article Y, pourtant rédigé en T1. Ceci sans parler des autres problèmes de cette doctrine que j’évoque rapidement ci-dessus.
      Cependant, je vous rejoins bien entendu sur les insuffisances du législateur américain. Vous avez raison de souligner que si un accord pour amender la constitution avait eu lieu, la querelles entre originalistes et les autres aurait beaucoup moins d’impact. On peut aussi y voir un bienfait des institutions américaines qui permettent qu’en dernier ressort une institution faite de « vieux sages » décide lorsque les autres en sont incapables.

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