Le libéralisme, face au nationalisme et au socialisme

Les intellectuels européens ont développé trois grandes idées, dont l’une, excellente, est le libéralisme.

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Deirdre McCloskey by Gage Skidmore(CC BY-SA 2.0)

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Le libéralisme, face au nationalisme et au socialisme

Publié le 30 janvier 2017
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Par Deirdre McCloskey.

libéralisme
Deirdre McCloskey by Gage Skidmore(CC BY-SA 2.0)

Entre le grand tremblement de terre de Lisbonne et l’année révolutionnaire de 1848, les intellectuels européens ont développé trois grandes idées. L’une a été excellente. Les deux autres ont été extrêmement mauvaises. Et nous payons encore aujourd’hui le prix de ces mauvaises idées.

Le libéralisme, la bonne idée qui a engendré la prospérité

La bonne idée, qui a émergé sous la plume de penseurs tels que Voltaire, Thomas Paine, ou Mary Wollstonecraft et surtout l’excellent Adam Smith, est celle, choquante, que ce dernier décrivait en 1776 comme le fait de « laisser chacun [et chacune] poursuivre ses propres intérêts à sa manière, sur un vaste et noble plan d’égalité, de liberté et de justice ».

Certes, la consécration du vrai libéralisme a pris beaucoup de temps. La phrase « tous les hommes sont créés égaux » a été écrite par un homme qui a tenu en esclavage la plupart de ses propres enfants, gardés par Sally Hemings, sans parler de Sally elle-même. Même Benjamin Franklin, son co-auteur, a possédé des esclaves. En 1775, l’homme de lettre britannique Samuel Johnson avait de bonnes raisons de lancer avec mépris, depuis Londres : « Comment se fait-il que nous entendions les cris de liberté les plus forts chez les propriétaires de nègres ? ».

Mais ces cris libéraux ont eu un écho et une certaine force, amplifiés par l’embarrassante négation, renouvelée durant deux siècles, des liberté, égalité et justice accordées aux esclaves, apprentis, femmes, immigrés, anarchistes, socialistes, communistes, Okies, Nisei, Noirs, Chicanos, présumés criminels, handicapés, transsexuels, ex-taulards, usagers de drogues, fumeurs et citoyens du District de Columbia.

Les fruits de ce libéralisme naissant, quand il est parvenu à frayer son chemin face aux deux mauvaises idées (développées ci après), ont été étonnants. Fait unique dans l’histoire, le libéralisme a rendu des masses de gens ordinaires suffisamment audacieux pour expérimenter leurs idées sur la façon d’améliorer le monde en les testant sur le marché. Observez les centaines d’améliorations qui ont abouti : des marchés boursiers aux roulements à billes, de la pénicilline au verre poli.

L’audace des roturiers poursuivant leurs propres intérêts a abouti à un grand enrichissement : une hausse des revenus réels, corrigés de l’inflation par tête, en Europe et au sein de « l’Anglosphère », de 1800 à nos jours, d’un facteur d’environ 30. Oui, environ 3000%. La gloire de la Grèce tout comme la grandeur de Rome, de la Chine des Song et de l’Empire mongol auraient permis une augmentation de 100% sur un siècle, pour aboutir à un niveau de 6 dollars par jour environ. Mais ces civilisations sont en définitive toutes retombées à 3 dollars par jour, soit le niveau typique depuis que notre espèce vivait dans des grottes.

Désormais, le libéralisme se propage dans le monde, de Hong Kong au Botswana, malgré les efforts tenaces des États et des organismes internationaux pour saboter son œuvre.

De façon étonnante, tout cela est bon pour les pauvres. En additionnant ensemble tous les fruits de l’action étatique illibérale (redistribution, octroi de licences, tarifs douaniers, zonage, permis de construire, subventions agricoles, restrictions à l’immigration, aide extérieure, politique industrielle, prélèvements fiscaux du tiers à la moitié des revenus), on pourrait augmenter le revenu des plus pauvres de 30% environ. Et ce une seule fois. On est loin des 3000% attribuables au libéralisme, qui continue de croître sans fin.

Le nationalisme engendre la guerre

Les deux mauvaises idées propagées entre 1755 et 1848 ont été le nationalisme et le socialisme. Si vous appréciez ces deux idées, peut-être aimez-vous leur combinaison, introduite en 1922, d’ailleurs toujours en tête de gondole en Europe et impliquée dans la popularité de Donald Trump : le national-socialisme.

Le nationalisme, tout d’abord théorisé au début du XIXe siècle, était enchevêtré dans le mouvement romantique, même s’il était déjà vieux de plusieurs centaines d’années en Angleterre, bien sûr. Il a inspiré des nationalismes vivaces en France, en Écosse ainsi qu’en Irlande. En Italie, il était encore plus vieux, sous la forme du campanilismo, l’esprit de clocher. (Quand on demande aux Italiens d’où ils viennent, ils répondent « Florence », « Rome » ou au mieux « Sicile », mais jamais « Italie », même s’ils parlent à des étrangers.)

Ce qu’il y a de mauvais dans le nationalisme, en dehors de la coercition collective qui lui est intrinsèque, c’est qu’il favorise les conflits. Les 800 bases militaires américaines du monde entier maintiennent la paix en menant une guerre sans fin, bombardant des civils pour protéger les Américains contre des non-menaces à l’autre bout du monde. En juillet 2016, dans l’Anglosphère nous avons « célébré », si l’on peut dire, le centenaire de la Bataille de la Somme, fruit du nationalisme qui, par sa conclusion trois mois et demi plus tard, a coûté aux Forces de l’Entente et à la Triplice réunies plus d’un million de victimes, la plupart d’entre elles démembrées par l’artillerie lourde. Merci pour votre dévouement.

Le socialisme : coercition et pauvreté

L’autre mauvaise idée de l’époque a été le socialisme, qui peut lui aussi être associé au romantisme, mais également à un christianisme sécularisé, avec sa charité du Sermon sur la Montagne et une vue apocalyptique de l’histoire. Il forme un tout – de la planification centralisée au Venezuela aux permis de construire à Chicago. Un communiste est un socialiste pressé ; un socialiste est un régulateur pressé ; un régulateur est un politicien corrompu pressé.

Ce qu’il y a de mauvais dans le socialisme, en dehors de la coercition collective qui lui est intrinsèque, c’est qu’il conduit à la pauvreté. Même dans ses formes les plus pures – dans les limites d’une douce famille, par exemple – il tue l’initiative et encourage le resquillage parasite. Saint Paul, qui n’est pas connu pour être libéral, avait réprimandé les Thessaloniciens : « Nous avons formulé ce commandement : ‘Quelqu’un qui ne veut pas travailler ne devrait pas avoir de quoi se nourrir.’ Nous apprenons que certains d’entre vous vivent dans l’oisiveté. Vous n’êtes pas préoccupés par le travail mais par le fait d’interférer dans la vie des autres ! ». Un bon point pour Saint Paul.

Les formes un peu moins douces de socialisme, en particulier celles associées au nationalisme, sont bien pires. Il en va ainsi de la Corée du Nord, de Cuba, et d’autres paradis ouvriers. Comme le dit la plaisanterie : « le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, le socialisme c’est l’inverse ».

Que faire alors ? Il faut raviver le libéralisme, comme l’ont fait la Chine et l’Inde – des réussites surprenantes. Aux États-Unis, il faut répondre à nos amis de gauche. Ils peuvent rester progressistes, si cela ne les dérange pas d’être associés au mouvement progressiste du début du XXe siècle, et son enthousiasme eugéniste pour la stérilisation forcée et pour l’instrumentalisation du salaire minimum afin de chasser les immigrants, les Noirs et les femmes de la population active. Et nous devrions persuader nos amis de droite de cesser d’utiliser le mot « illégal » (the « i » word) pour combattre les gens qui n’appartiennent pas à leur cercle.

Il faut lire Adam Smith, tranquillement – non seulement la sage Richesse des nations, mais aussi la pondérée Théorie des sentiments moraux. Il faut également revenir par l’esprit à l’aube de 1776, quand l’idée radicale n’était pas le nationalisme, le socialisme ou le national-socialisme, mais « le système évident et simple de liberté naturelle » qui permet à tous les hommes et à toutes les femmes de poursuivre leurs intérêts à leur manière.

Ç’a été une étrange mais excellente idée. Et ça l’est toujours.

  • Deirdre McCloskey sera l’invitée de Contrepoints, de l’École de la liberté et de plusieurs autres associations libérales ce mercredi à l’occasion de la sortie en français des Péchés de la science économique aux éditions Markus Haller. Pour plus d’informations, cliquez ici.

Sur le web-Traduction : Emmanuel Martin et Contrepoints.

Deirdre McCloskey est professeur d’économie. Elle vient de publier Les péchés secrets de la science économique, Markus Haller, 2017.

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  • Jusqu’à preuve du contraire la Chine n’est pas vraiment ce que l’on pourrait qualifier de libérale, dans la mesure où elle est très corrompue et que beaucoup d’entreprises sont entre les mains de membres du Parti Communiste Chinois.

  • La liberté génère la concurrence qui elle même peut générer de fortes tensions.Ensuite, la liberté de certains est justement d’interdire la liberté des autres et la société a bien besoin de se protéger de ce gens hostiles à la liberté.Karl Popper a décrit ces problèmes des sociétés ouvertes.Il faut donc regrouper les gens qui partagent la même vision de l’avenir dans des nations et ces nations doivent avoir des armées pour se protéger.

  • Très biaisé. En quoi différenciez vous nation d’état? Si pour vous les deux sont identiques, quel est le sort des communautés et comment les définissez-vous?

  • le socialisme c’est le libéralisme pour les pauvres

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