Par Johan Rivalland.
Le temps de la réflexion
Autonomie et liberté
Le passage du Vème au IVème siècle voit surgir les difficultés.
L’hégémonie athénienne est de plus en plus mal ressentie par les autres cités alliées, qui se plaignent du manque d’autonomie qui leur est accordée. Et bientôt, Sparte ne fera pas mieux.
Les difficultés de la liberté démocratique
Chez Isocrate, Démosthène, comme chez Platon et Aristote, on trouve alors l’idée que la liberté se retourne contre elle-même. Non seulement par la faute des démagogues, comme y insistaient déjà Euripide, Aristophane et Thucydide, ou de la calomnie, qui vont à l’encontre de la liberté de parole, mais aussi (déjà ) des luttes de partis ou surenchères pour flatter le peuple, lui accorder de « toucher quelque allocation », et ainsi se rallier ses suffrages. Mais aussi de la peur, de la part de ceux qui devraient guider le peuple, de cette foule « par nature excessive et violente ». Une peur qui paralyse le jugement, et conduit à dire ou faire le contraire de ce que l’on jugerait bon de faire.
« Et il y a pire », nous dit Jacqueline de Romilly : l’autorité de la loi, qui s’opposait à l’arbitraire d’un homme, se trouve bafouée par l’émission de décrets, en réponse aux colères du peuple (abus de pouvoir toujours allègrement pratiqué aujourd’hui encore, souligne l’auteur). On tombe alors dans ce qu’Aristote dénonce comme l’ochlochratie, le peuple se comportant en despote. Dès lors, les conditions de la liberté politique se devaient d’être plus solidement définies.
Mais le désordre moral qui régnait dans la vie quotidienne se révélait plus grave encore. Par la manipulation du langage et, en détournant les enseignements des sophistes, les philosophes apprirent aux gens à « contredire les lois »., engendrant ainsi « un divorce entre la liberté et la loi », la première ne consistant pas à faire tout ce que l’on veut, comme y insistent les grands esprits de l’époque. Cette situation dégénérant en criminalité et insécurité (à l’instar de ce qui se produit toujours aujourd’hui, souligne de nouveau notre auteur). D’où l’insistance d’un Démosthène, et il n’est pas le seul, pour préconiser des « lois fortes » et qui se fassent respecter. Seul gage du respect de la liberté.
Même Platon décrit la situation avec ironie. Idée que Jacqueline de Romilly résume ainsi :
« L’action de la liberté s’étend à tous les domaines privés et publics. Les fils ne veulent plus obéir à leurs pères, les métèques se confondent avec les citoyens, les maîtres avec les élèves, les jeunes avec les vieux, les esclaves avec les hommes libres. Et tout le monde l’accepte : les pères ont peur de leurs fils, les maîtres flattent leurs élèves, les gens âgés affectent des façons de jeunes. Tout cela pourquoi ? Une petite phrase ironique le dit : c’est « bien sûr, pour être libres » !
Situation qui nous rappellera bien des choses…
Et c’est ainsi que va naître la tyrannie, sur les ruines de la démocratie, victime du désir insatiable et incontrôlé de liberté, mais qui finit par s’en remettre à un « protecteur », qui va devenir un tyran.
« La liberté s’était définie par opposition à la tyrannie ; et voici qu’à son tour, mal gérée, elle y mène. »
Une réflexion qui conduira les Athéniens à relancer débats et analyses, afin qu’une telle situation n’arrive pas dans cette Cité ; ce qui sera effectivement évité.
À la recherche d’un meilleur régime
Deux courtes tentatives d’instauration d’une oligarchie (en 411, puis en 404) furent alors tentées, mais échouèrent radicalement, les Athéniens étant désormais profondément attachés à la liberté, en particulier celle, pour les citoyens, de participer aux débats et être associés aux décisions. Beaucoup s’en sentirent exclus et se révoltèrent. La deuxième dégénéra même en guerre civile, après qu’il y eût des exécutions de masse, destinées à éteindre les contestations. En comparaison des nombreuses mises à mort sans jugement auxquelles elle donna lieu, le procès de Socrate lors du retour à la démocratie qui va suivre paraît bien plus nuancé, comme le fait remarquer Jacqueline de Romilly.
C’est pourquoi on tenta de trouver des réponses aux défauts de la démocratie en tentant d’éviter les excès de la liberté (« sans l’hypocrisie de nos propagandes modernes », précise notre auteur), mais tout en en préservant l’essentiel.
Cela passa par une volonté de retour à la « démocratie modérée » des débuts, se réclamant des idées de Solon, puis plus tard de Clisthène.
Deux séries de réformes et de réflexions furent engagées, les unes sur les institutions, les autres sur la morale.
Le bouillonnement intellectuel (qui se prolongera à travers les siècles jusqu’à au moins Tocqueville) débouche sur la politeia d’Aristote, régime mixte qui tient de la démocratie et de l’oligarchie (régime des modérés de 411 ou régime de Théramène), dont la constitution mixte romaine s’inspirera plus tard.
Certes, il est désormais plus questions de « droits » que de « libertés », mais l’essentiel va porter sur la réforme morale.
Tous les maux précédents relevés au sujet de la démocratie ont, en effet, en commun des dérives morales.
C’est pourquoi Isocrate, à travers son traité de l’Aréopagitique, propose des réformes centrées sur l’éducation, l’exemple et le contrôle. Il s’agit de mettre fin à la confusion entre démocratie et indiscipline, pour former les citoyens à devenir meilleurs et plus sages. Au prix, malheureusement d’un éloignement de la liberté. Idée de liberté qui fut sauvée, bien plus tôt, par la concorde, théorisée par de nombreux philosophes de l’époque et ayant permis par deux fois, en 411 et en 404, de sortir de l’impasse de la guerre civile, passant pas la réconciliation entre à chaque fois les deux camps opposés, chacun reconnaissant l’existence de l’autre et sa liberté, conciliant le respect à la fois des minorités et de la masse, à l’instar des relations entre cités. Des concessions que la liberté a dû accepter, en somme, pour pouvoir survivre.
Découverte d’une liberté tout intérieure
Au IVème siècle le mot « liberté » commence, en outre, à prendre un sens nouveau, plus individuel, tourné vers l’épanouissement, la noblesse, le courage, l’absence de compromissions. Il s’agit d’une liberté intérieure, reposant sur l’idée que les passions (argent, amour, ambition, vengeance, …) sont une servitude et que mieux vaut garder une maîtrise de soi pour arriver au bonheur.
La sagesse, la sérénité, le libre choix, la raison, apparaissent dès lors comme les vraies vertus.
« Peu à peu apparaît l’idée d’une liberté qui serait comme un noyau vivant et irréductible mettant l’homme à part des circonstances. »
Dépassements progressifs
Sur le plan des institutions, l’intention d’abolir l’esclavage ne fut jamais exprimée et n’eut jamais lieu, durant toute cette période. Cependant, dès la fin du Vème siècle et la première partie du IVème siècle, les esprits les plus éclairés (Sophocle et  Euripide, à travers leurs pièces, et surtout les sophistes dans leurs doctrines non conformistes) ouvrent la voie à cette idée. Qui mettra des siècles à germer, mais en attendant devait retentir sur la façon de traiter les esclaves (même si de manière très variable).
Autre adoucissement : celui de l’accueil des étrangers. Il est vrai que l’Athènes de Périclès est le lieu de rencontre par excellence de tous les intellectuels (Anaxagore et Hérodote, venus d’Asie Mineure, et plus encore les sophistes, une nouvelle fois, caractérisés par leur cosmopolitisme). Mais surtout, Gorgias, Antiphon, et d’autres sophistes, en appellent à la concorde, comme Isocrate un peu plus tard, prônant l’union des Grecs, voire de l’humanité tout entière, Grecs ou barbares.
En guise de conclusion, Jacqueline de Romilly insiste surtout sur l’héritage grec, le caractère irréversible de ses apports à la liberté, qui ont conduit à l’évolution de la pensée ultérieure et son retour permanent aux principes de la liberté, jusqu’à aujourd’hui encore.
Un ouvrage passionnant, pour mieux connaître notre passé et comprendre notre présent.
-  Jacqueline de Romilly, La Grèce antique à la découverte de la liberté, Éditions de Fallois, octobre 1989, 206 pages.
Il y a une chose à noter qui fait une différence fondamentale entre la Grèce antique et nos régimes: les notre sont laics, ceux de la Grèce ne l’étaient pas. On a justifié de nombreuses choses au nom de la rilgion en Grèce antique: Le relèvement du commandement d’Alcibiade, la défaite de Nicias en Sicile, les guerres sacrées de Philippe, la condamnation de Diagoras de Mélos, les accusations ubuesques comme celle de Socrate etc…
La remigion est par essence le fait de l’immatériel, de la conviction, de la pensée. A partir du moment où l’on tolre que l’impiété puisse être un chef d’accusation, on tolère que l’irrationnel et le crime de pensée aient leur place dans la loi. Qauand on connait l’importance des prédictions polysémiques des prédictions de la Pythie, on comprend que la vertu libératrice de la loi soit sujetteà caution.
Le plus bel exemple de cette insupportable intrusion permanente du mysticisme dans la juridiction Athénienne reste la mise à mort des stratèges à leur retour de la victoire des îles Arginuses. Même défendus par la verve du prytane Socrate en personne, malgré la loi elle même qui l’interdisait, malgré la grande victoire emportée par ces officiers de valeur, la violence de la bêtise crasse finit par l’emporter.
L’impact de l’obscurantisme sur les institutions athéniennes a toujours été un des vers dans le fruit de la liberté et de la démocratie. l’esclavage en est un autre, le machisme ahurissant des athéniens n’a pas aidé non plus.
Totalement anachronique de parler de liberté sous la Grèce classique , dans la réalité il s’agissait d’une société collectiviste ou le groupe , la religion , l’honneur de la cité l’emportait sur la liberté.
Et puis citer les élites intellectuelles de l’époque pour ensuite affirmer que la liberté est au fondement de la Grèce Antique c’est du torticolis intellectuel , manifestement l’auteur n’a jamais étudié la période ancienne.
Tout ce que l’auteur nomme comme des libertés sont en réalité des droits ou des privilèges en réalité les citoyens ne dépassaient pas les 3000-3500 personnes.
Non mais il y avait des embryons de liberté en Grèce qu’il n’y avait pas en perse par exemple. C’est vrai que l’enracinement tribal (Les Athéniens sont des ioniens) religieux et urbain imposait un poids social sur l’individu qui se traduisait jusque dans le droit. Cependant il faut quand même noter que dans les cités grecques non soumises à la Tyrannie, nul ne pouvait être l’object d’afflictions arbitraires autocratiques violentes comme c’était le cas sous Périandre de Corinthe ou sous Denys de Syracuse. je ne parle même pas du joug que les souverains perses imposaient à leur peuple. En ce sens les grecs étaient plus libre que les perses sous la monarchie Achéménide qui pouvait décider à tout moment de faire éxécuter et torturer qui bon leur semblait pour n’importe quel prétexte.
Il y a par ailleurs des libertés publiques bien supérieures dans le grèce antique sur certains points:
On avait le droit de forniquer en public: Rien ne l’interdisait (c’était avant youporn)
On avait le droit absolu de liberté vestimentaire contrairement à nos sociétés étriquées.
On avait le droit de conclure un accord pour se battre à mort avec quelqu’un.
Il n’y avait aucune limitation sur les horaires de travail. On avait même le droit de bosser pendant les cérémonies sacrées si on en avait envie.
Il n’y avait pas de lois financières complexes comme de nos jours, le droit contractuel primait.
Etc…
Il est vrai que le sens du mot liberté n’est pas identique au notre pour les grecs anciens et pour nous. Ca ne veut non plus dire que ce mot est dénué de toute signification non plus.
Votre estimation du nombre de citoyens est en revanche franchement fantaisiste. Athènes était un territoire et non pas juste une ville. Il y avait aussi des citoyens disséminés dans l’empire athénien (les Cléourques, à Samos à Amphipolis etc…). Le nombre de citoyens estimé à 60 000 en -450 passe à 30 000 en -426. Il faut attendre la fin de guerre du Péloponèse et la fin de la tyrannie des 400 pour pour voir le quorum réduit à 6000 dirigeants par décret.
Plus tard après l’hégéonie Spartiate, les citoyens reprennent du nombre, et même sous la domination macédonienne la démocratie perdure. A la fin de la Guerre Lamiaque c’est 12 000 citoyens qui perdent leurs droits, et d’autres les gardent.
Donc faire la leçon sur la réalité Athénienne et balancer des nombres complètement fantaisistes avec un tel aplomb, je suis désolé mais ça ne plaide pas pour votre crédibilité. Je bouffe de l’histoire grecque antique par paquets de 12 parce qu j’adore ça et votre 3500 citoyens ne correspond à aucune source. Rien. Au pires moments de gouvernements démocratiques les plus réduits on était toujours au moins à deux fois ça.
http://www.cndp.fr/archive-musagora/citoyennete/citoyennetefr/citoyens-nombre.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_lamiaque
Je rejoins le point de vue de Lazarius sur ces deux premiers paragraphes. Il est vrai que l’article semble confondre la liberté des anciens et celle des modernes.
Le « vivre ensemble » grec n’est nullement apprecié.
Néanmoins les sessions de l’Ecclesia pouvait réunir jusqu’à 3000 citoyens. Il me semble plutôt que le corps social ayant la capacité politique avoisinait les 60.000 sous Périclès.
« Les difficultés de la liberté démocratique »
Le paragraphe mélange les époques.
L’essence de la démocratie Athénienne s’illustre si l’on étudie en profondeur ses rouages institutionnels (ecclesia, héliée, boulée), les pouvoirs et les contre pouvoirs (la docimasie, la procédure d’eisangelie, atimie, graphè paranomon..)
Ces institutions son le fruit d’une maturation qui s’amorça avec Dracon en -620 suivi de Solon. Aucun mot n’est laissé à Clisthène qui pourtant, opéra la réforme la plus audacieuse de son siècle permettant de briser l’hégémonie des génos.
Isonomie, iségoria…pourquoi ces termes si importants sont omis de l’article ?
Ainsi commencer son argumentation sur Isocrate ou Démosthène (Ive siècle) pour revenir sur la fin du Ve ne paraît avoir aucun sens si les enjeux ne sont pas auparavant saisis et dissertés;
Ayant consulté la première partie de l’article, aucune mention ne fût faite à Périclès. Et c’est pourtant à son siècle (-451 -404)
que cet article paraît prendre place.
Ainsi l’évolution du paradigme sophistique aux alentours de 450 est suivi du cynisme en politique. Et c’est cette école qui provoquera des ravages sur les consciences.
Ainsi peut être le dialogue Mélien aurait pu être repris pour illustrer la mentalité qui régnait à Athènes lors de la guerre contre Spartes (-431 -404)
« La justice rentre en ligne de compte dans l’esprit des hommes que lorsque les forces en présence sont égales. En l’absence d’équilibre, les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent »
« À la recherche d’un meilleur régime »
Cette section pourrait plutôt se nommer « l’échec de la démagogie
En effet, la réelle démocratie tel qu’affinée par Périclès ne fonctionna qu’une 20aine d’années. Le peuple avait le contrôle sur toutes les affaires de la cité, le contrôle sur les magistrats, le contrôle de la politique exterieure. Mais n’allons pas croire que leur démocratie fût financée par philantrophie !
En réalité les guerres contre Spartes ont révelé les travers de ce régime, car la démocratie à un coût..plutôt élevé. Ainsi Athènes dans sa ligue contre Spartes (délos) cherchera à financer ses infrastructures, sécuriser ses arrières gardes avec l’argent de la ligue et inciter les citoyens à participer en politique (Misthos). Ce qui bien évidemment, irritera ses alliés (et occasionera d’ailleurs des ligues imparfaites plus tard contre philippe de Macédoine étant donné les relations décadentes entre les cités).
Et c’est alors sur cette punchline que je rejoins l’article ; « tous les maux relevés au sujet de la démocratie ont en effet, des derives morales »
Au final la défaite contre Spartes en 404 et la période qui s’ensuivit se résume à un lent déclin de l’esprit civique et une perte d’influence considérable car Athènes et sa démocratie a lassé le monde Grec. La réitération des erreurs passées (Synédrion et seconde conféderation athenienne) laisseront un goût amer. La démocratie, ils en veulent plus ! Phillippe de Macédoine tombe d’ailleurs au bon moment puisque, ultime sort du destin, il va parvenir avec son fils a domestiquer la cité grecque. Ils vont faire en sorte de transfigurer ce modèle en la confrontant avec la monarchie. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’ils ont assumé et depassé l’héritage.