L’étrange bataille d’Alep

Hormis sans doute les présidentielles américaines, rarement événement géopolitique donna lieu à pareille surenchère médiatique. Alep devint le cimetière de bien davantage que des civils et des combattants : L’Europe, l’ONU et le droit moururent à Alep.

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L’étrange bataille d’Alep

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 6 janvier 2017
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Par Stéphane Montabert.

Alep, ville martyre, promettait de devenir la nouvelle bataille de Leningrad du XXIe siècle, l’autel sur lequel seraient sacrifiées en vain d’innombrables victimes innocentes. L’offensive de Bachar el-Assad et de ses alliés contre Alep la rebelle était un « assaut contre l’humanité » en novembre, notre « Guernica » en décembre…

Hormis sans doute les présidentielles américaines, rarement événement géopolitique donna lieu à pareille surenchère médiatique. Alep devint le cimetière de bien davantage que des civils et des combattants : L’Europe, l’ONU et le droit moururent à Alep. En fait, la Communauté Internationale toute entière mourut à Alep. Sur un ton plus léger, les espoirs de percée électorale du candidat libertarien américain Gary Johnson moururent aussi à Alep. Ainsi que les derniers restes de crédibilité de Hollande, qui ne voyait avec sa clairvoyance habituelle qu’une solution politique pour sortir de la crise.

La désinformation bat son plein

La désinformation sur Alep battait son plein, les voix lucides se faisant bien rares. Parmi elles, Éric Dénécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), qui eut doit à quelques minutes d’antenne absolument limpides – à trois jours de Noël, à minuit moins vingt…

Ce faisant, il rappela quelques vérités contextuelles sur l’apocalyptique bataille d’Alep :

« On est à mon sens sur une falsification de l’information qui est énorme. Bien sûr qu’il y a une guerre civile en Syrie, mais ça ne concerne que 30% d’Alep, ce sont soit des civils qui sont pris en otage par des djihadistes, soit des gens qui refusent de quitter les quartiers parce qu’ils soutiennent ces mêmes djihadistes. On ne vous parle pas de tout ce qui se passe ailleurs en Syrie. On se fait rouler dans la farine avec Alep. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de victimes innocentes qui périssent (…) Seul 1/3 d’Alep est victime des bombardements, et j’insiste, c’est 1/3 de la ville dans lequel des djihadistes dangereux sont présents qui, depuis des années, tirent sur les quartiers chrétiens et le reste de la ville, ce dont on ne parle jamais.

Plus ignoble encore, il rappela à quel point une « crise humanitaire » est un merveilleux outil pour éviter que les regards ne se perdent sur d’autres théâtres d’opérations :

On ne parle pas non plus du massacre humanitaire que conduisent les Saoudiens aujourd’hui au Yémen où systématiquement des hôpitaux sont ciblés, des sites archéologiques détruits. Un de nos contacts qui est rentré du terrain l’autre jour nous disait qu’en Syrie, il y a des tas d’endroits où les choses se passent bien où on peut dîner dans la rue le soir dans les quartiers de Damas, aller au bord de la mer, donc le pays n’est pas à feu et à sang [à méditer face au prochain débarquement de « réfugiés syriens », NdA]. Au Yémen, c’est totalement différent, il n’y a quasiment pas 1 km² qui ne soit pas bombardé par les Saoudiens, et on ne parle pas de cela. Dans les années 90, dans une ancienne colonie française (belge NDLR), le Congo, une guerre civile a fait 400 000 morts sur 4M d’habitants, soit 10% de la population. On n’en parle pas non plus. Aujourd’hui, le focus qui est mis sur la Syrie d’une part et sur Alep avec les désinformations qui les accompagnent est une falsification complète de la réalité, ce qui ne veut pas dire qu’on défende Bachar el-Assad, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de victimes civiles qui disparaissent, mais il y a quelque chose d’extrêmement dangereux : pour un jeune islamiste aujourd’hui, la façon dont les médias occidentaux présentent la crise d’Alep est une motivation pour passer à l’action.

Il y avait quelque chose de franchement indécent dans la façon dont les médias couvraient l’offensive du régime syrien à Alep. Si des massacres eurent lieu, ils ne furent pas forcément imputables aux méchants désignés, le régime de Damas et ses alliés russes et iraniens, mais bien aux défenseurs d’Alep, ces charmants rebelles dont les médias occidentaux pleuraient la future disparition et qui utilisaient les civils comme otages et boucliers humains.

Quelque chose ne collait pas. Les forces du régime syrien n’avaient aucun avantage à laisser des poches de population au milieu des combats. Ils laissèrent d’ailleurs volontiers les civils fuir lors du reste de la libération de la ville.

Fief de l’Etat islamiste

Les civils d’Alep-Est eux-mêmes n’avaient aucune raison de rester sur place pendant l’affrontement. Beaucoup prirent de grands risques pour partir, menacés de mort par nos rebelles « humanistes ». Mais beaucoup d’autres choisirent de rester. Lâchons enfin l’explication : parce qu’Alep-Est était un fief de l’État Islamique et les « civils » d’Alep-Est, les familles des combattants.

Alep-Est était le dernier bastion d’une capitale administrative de l’État islamique gérée en tant que telle. Les civils d’Alep-Est n’étaient pour beaucoup que des Aleppins de fraîche date. Ils vinrent simplement comme une seconde vague de nouveaux occupants lorsque les milices de l’EI déferlèrent sur la ville en juillet 2012, chassant les habitants historiques de leurs foyers avec la violence coutumière des djihadistes.

La couverture de la bataille d’Alep par les médias occidentaux est plus qu’indécente ; elle relève de la collaboration directe avec le pire ennemi de l’Occident. La même chose vaut pour l’ONU et les organisations non-gouvernementales qui prirent fait et cause pour préserver sous des prétextes humanitaires la dernière enclave de l’EI dans cette grande ville de Syrie.

Leur opiniâtreté finit par payer ; Damas et Moscou accordèrent des couloirs d’évacuation pour les combattants de l’EI et leurs familles. Le 22 décembre, les Suisses purent ainsi découvrir un reportage hallucinant de l’évacuation « humanitaire » d’Alep : cinq mille partisans de l’EI, dont seuls 20% de civils (parmi lesquels un nombre indistinct de futures bombes humaines) bénéficièrent sous la supervision d’observateurs de l’ONU d’une évacuation vers des zones contrôlées par l’EI.

Ce jour-là, le mythe des « rebelles modérés » s’effondra enfin.

Depuis, Alep reprend vie ; on y fête Noël ; les habitants reviennent ; on pense à la reconstruction ; et on découvre chaque jour de nouvelles horreurs témoignant de la brutalité de l’occupation islamiste. Selon toute vraisemblance, la reconquête d’Alep est une bonne chose. On tentait d’effrayer le bon peuple avec la chute d’Alep, alors qu’il s’agissait d’une libération. Maintenant que les faits leur ont donné tort, les grands de ce monde ne s’attardent plus guère sur le sort de cette ville.

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  • Le Congo (celui de Brazzaville) en question était bien une colonie française.

    • Je pense que l’auteur fait référence aux massacres ethniques ayant eu lieu au Congo, ex-Zaïre, ex-Congo belge. Il n’y a pas eu de génocide au Congo-Brazzaville, anciennement français effectivement.

    • En même temps, c’est vrai que 4 millions d’habitants il s’agit bien du Congo-Brazzaville …

  • Ou bien je n’ai rien compris, ou bien il ne s’agit absolument pas de « partisans de EI » dans les quartiers Est d’Alep, mais de rebelles au régime liés à Al Nosra… A ma connaissance, il y a eu une tentative de EI de pénétrer dans Alep il y a plusieurs années, mais qui a été repoussée.

    • Mais concrètement, en quoi Al Qaïda (Al Nosra est une émanation d’Al Qaida) c’est plus honorable que Daesh?

    • D’après mes souvenirs l’EI a quitté Alep après avoir passé un accord avec al nosra et nombre de djihadistes estampillés al nosra sont d’anciens ressortissants de l’EI.

      • P.S j’ai oublié de préciser qu’un fois ceci fait al nosra a changé de nom pour faire oublier son origine al qaeda et continuer a toucher les armements généreusement prodigués aux « rebelles modérés »

  • Cet article raconte n’importe quoi. Pourtant, d’habitude, j’aime bien l’auteur de cet article mais là c’est totalement faux. L’état islamique a été chassé d’alep en 2014 par les rebelles que vous accusez d’être djhadistes. Oui ce n’est pas la Russie ou assad qui ont virés l’ei d’alep mais les rebelles. Il n’y a pas d’ei à Alep-Est depuis longtemps. Oui parmi les rebelles d’alep, il y a des islamistes pas recommandables ( cela n’en fait pas des membres de l’ei) mais il y a aussi des rebelles modérés. C’était l’un des rares endroits où il y existait encore des rebelles modérés. La russie et le régime d’assad ont clairement pour but de détruire les rebelles modérés pour n’avoir plus que des islamistes et ils sont en train de réussir.

    • Mouais, enfin rebelles modérés, quand on parle de Kalash et de snipers, la modération j’ai du mal à la voir. Rebelles modérés ou pas, djihadistes ou pas, la vérité, c’est que c’est deux camps qui s’affrontent et qui voulaient chacun exterminer l’autre. Les soit disant modérés sont modérés parce qu’ils ont perdu la guerre? Parce que ne vous inquiétez pas, s’ils avaient gagné, la modération envers le camp vaincu aurait vite disparu…. Ces gens faisaient la guerre. Point barre. Et quand on fait la guerre, on prend le risque de perdre. Sinon on ne fait pas la guerre, c’est le mieux.

      D’autre part, faut quand même ouvrir les yeux, les infos diffusaient ici sont largement fausses. Le fait que seul une petite partie de la ville était touchée, que le reste fonctionnait normalement, ça fait des mois que des syriens, ayant de la famille là bas, le clament, c’est seulement maintenant qu’on leur accorde un vague interet… Quand on nous vend qu’une gamine de 7 ans raconte sa vie à Alep chaque jour, en anglais, sur son compte Twitter en plein milieu d’une ville dont il ne reste parait il plus rien…. Tout va bien. Personne ne trouve ça invraisemblable, les médias ont leur merde lacrymale à raconter, nos dirigeants versent une larme télévisuelle entre deux banquets, et le peuple, pas en reste, tweet son émotion entre deux vidéos Pornhub et la séance shopping.

      Quant au fait que ce ne soit pas les barbus de l’EI mais les barbus d’Al Qaïda, quand on en est à débattre de la couleur de la barbe du djihadiste, c’est qu’on a vraiment fait fausse route….

      Au passage, n’oublions pas qu’il s’agit aussi, largement, de camoufler la réalité de la « rébellion » syrienne, dans la mesure où les poupées gonflables qui nous servent de gouvernement à leurs heures perdues n’ont rien trouvé de mieux à foutre que d’armer et financer lourdement cette « rébellion ». Histoire de passer pour des héros. Alors que le seul résultat obtenu par ces baudruches, c’est d’avoir renforcer les groupes djihadistes et permis au conflit de s’enliser en équilibrant les forces, faisant ainsi cent fois plus de morts que prévu et offrant de surcroît un magnifique terrain d’entrainement pour nos futurs BTS Terrorisme & Attentats Urbains en stage en Syrie. Formidable.

    • Mais comment savoir ou sont les rebelles modérés quand des snipers shootent des gamins ❓
      Et puis s’allier avec des coupeurs de têtes de gamin, est-ce bien modéré ❓

    • Les rebelles ‘modérés’ ont fini en coalitions sous l’égide de al nosra. On peut dire ce qu’on veut mais al nosra mérite parfaitement le titre de terroriste.

  • Alors que Dresde ou Nagasaki ça c’est juste de la guerre propre, fair play, clean et tout (Chirurgicales comme on 10 rats plus tard) avec juste quelques victimes collatérales mais alors vraiment à peine. Ou si peu.
    Enfin on ne fait pas d’hommes lettes sans crasser des ZE

  • Il n’y a que la propagande russo-assadienne pour expliquer que l’Etat islamique était à Alep, ce qui est parfaitement faux.
    Et en Espagne entre 1936 et 1939 il y avait aussi plein d’endroits tranquilles où on pouvait aller dîner, c’est quoi cet argument ?

    • Oui, c’est vrai, c’est abusé, c’était pas des djihadistes de l’EI, mais d’Al Qaïda. C’est vrai que ça change tout. Moi c’est pareil, l’autre jour ma compagne m’a accusé d’avoir acheté des lasagnes chez Auchan alors que c’était chez Cora! J’étais fou de colère face à ce mensonge, alors je vous comprend.

    • La propagande russe ne parle pas d’EI a Alep, mais de terroristes. La vous vous trahissez: pour vous seul l’EI est terroriste.

  • Eric Denécé , a certainement raison.
    Mais a qui la faute?
    Pour moi c’est le dictateur de la Syrie, Bachar Al-Assad qui comme dans toutes les dictatures, interdit aux médias d’être présents et de faire leur boulot. Alors évidemment , ils s’informent ici et là et font confiance aux dires de leurs informateurs.
    Si les médias avaient accès , ile aurait certainement fait des erreurs , mais compensées, par la diversités des opinions.
    Denécé, parle du Congo Brazzaville et ses 4 00 000 victimes , car le Congo ( RDC) lui a le triste record de plus de 4 millions de morts sans soulevé aucun intérêt depuis des années.

    • Coté médias a Alep il n’y en avait aucun a Alep est (pour d’excellentes raisons de sécurité) pas même d’ong pour les mêmes raisons, a part une pseudo ong partisane, les casques blancs mis en scène ad usum cretinis occidentaux.

  • il faudrait qu’il cherche encore un peu cet éminent Monsieur.
    L’Etat islamiste n’a jamais été présent à Alep.
    Et dire que la communauté syrienne est offusquée ? ah oui ? de mon côté et parmi mes amis qui ont encore une partie de leur famille sur place, ce n’est pas du tout l’écho de ce monsieur que j’ai.
    1h d’électricité par jour à Homs, la partie pro régime de Damas qui reste effectivement « vivante », mais on parle d’une partie de la ville… et pas de la totalité de la population !
    je crois que ce Monsieur est un peu trop pro russe ?

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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