Et maintenant, régulons les algorithmes !

En s'attaquant aux méchants algorithmes, Axelle Lemaire croit aider le consommateur citoyen. Elle se fourre le doigt dans l’œil. Encore une fois.
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Et maintenant, régulons les algorithmes !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 20 décembre 2016
- A +

Quand l’actuelle secrétaire d’État en charge des bidules électroniques qui font pouic et touit, Axelle Lemaire, ne fait pas de rhétorique savante pour distinguer amalgame de discrimination, elle se penche onctueusement sur les petits bidules électroniques que sa charge lui impose pour en découvrir les tenants et les aboutissants et, immédiatement ensuite, proposer de les réguler.

Que voulez-vous, c’est plus fort qu’elle et c’est plus fort que tous les politiciens, notamment socialoïdes : dès que ça bouge et que ça fait des choses, pouf, il faut absolument le réguler, puis le taxer, jusqu’à ce que mort s’ensuive (après quoi, la compulsion de ces mêmes politiciens les oblige à subventionner ce qui vient de claboter).

Et cette fois-ci, l’attention se porte sur les Zalgoritmz pardon « les Algorithmes ». Mot à la fois compliqué et porteur d’un sens quasi mystique dans l’esprit du péquin moyen, signifiant à moitié « truc machin de l’informatique » et à moitié « formule magique permettant d’obtenir un résultat ». Or, Axelle, qui a probablement elle aussi une idée fort confuse de ce que ces bestiaux-là peuvent être, a bien compris qu’il y avait urgence à légiférer : pensez-donc, depuis toutes ces années, « les Algorithmes » s’ébattent et se reproduisent un peu partout, en toute liberté, sans que soit imposé le moindre puçage, la moindre vaccination ni le moindre contrôle.

Il faut faire quelque chose, vite !

Cependant, avant d’aller plus loin, essayons d’y comprendre un peu quelque chose : pour faire simple, « les Algorithmes », ce sont donc ces procédés logiques, suites d’instructions permettant d’aboutir à un résultat concret pour, par exemple, déterminer la répartition des lycéens dans les facs après leur bac, les prises en charge et le prix d’une course Uber, les suggestions Facebook, Amazon ou Netflix, etc…

Ceci décrit, le besoin d’une régulation saute au yeux : qui n’a pas été, au moins une fois, choqué par le fait qu’Amazon continue de recommander Christophe Maé dans la musique à acheter, causant d’irrémédiables troubles psychologiques pour toute une génération d’adulescents qu’on trouvera ensuite, pleurnichant sur le bord d’une plage, à se demander comment sauver les manchots de l’Arctique et les ours du Kenya ?

Plus proche des gens normalement constitués, les algorithmes sont donc ces recettes de cuisine particulièrement complexes qui permettent à Google de trier les recherches et placer plutôt un site qu’un autre en haut de la page (et, par exemple complètement fortuit, plutôt un site anti-IVG que le site officiel du gouvernement, raaah, le méchant). Ce sont aussi ces algorithmes qui permettent aux utilisateurs de Facebook de ne voir majoritairement que les articles et réactions d’autres utilisateurs globalement d’accord avec eux (et qui favorisent donc la création de vilaines « bulles » numériques où chacun est protégé de la propagdes informations officielles vérifiées). Ce sont ces mêmes algorithmes qui autorisent bien plus souvent qu’à leur tour la diffusion d’affreuses rumeurs et autres intox, montrant l’une ou l’autre vérité alternative absolument pas sanctionnée par les pouvoirs en place, qui sèment le doute, la confusion et imposent finalement à chacun d’utiliser son esprit critique que la diffusion des informations par les canaux officiels avait pourtant réussi à nettement amoindrir.

Et là, vu comme ça, « régulons les algorithmes », l’interjection d’Axelle Lemaire (ou à peu près) ne ressemble plus tant à « Recompilons le kernel » ou « Regénérons les tables de hash » qui semblent si ésotériques : on comprend tout de suite pourquoi le gouvernement (et l’État plus généralement) a subitement découvert le besoin pressant de bien contrôler tout ça !

S’ensuivent alors cinq recommandations qu’on pourra lire, éberlué, sur le rapport pondu pour l’occasion (page 6). Entre la création de cellule de contrôle, de plateforme collaborative et d’un programme de formation « à l’attention des agents opérant un service public utilisant un algorithme », auxquelles sont adjointes les recommandations de développer des réflexions et de la communication sur ces algorithmes, tout semble réuni pour le brouet habituel de fadaises consternantes qui n’aboutiront, Dieu merci, à rien du tout de concret et permettront à la France d’éviter une fois encore le ridicule le plus achevé.

Malheureusement, Axelle Lemaire semble vouloir s’y vautrer : la première recommandation vise en effet à tenter de percer la façon dont Google, Facebook ou Amazon construisent leurs réponses, en créant une communauté de chercheurs et d’experts pour tester et deviner « les algorithmes ». C’est, bien évidemment, parfaitement grotesque.

La réalité est, d’une part, que cette communauté existe déjà : tout ce que le monde comprend de commerçants, de publicitaires, d’ingénieurs et de « Géo Trouvetout » cherche déjà, avidement, à percer la façon dont sont positionnés les choix de ces géants du Net, ne serait-ce que pour en tirer un profit évident. On peine à percevoir comment une fine équipe payée par l’État pourrait faire mieux (mais on voit bien combien elle va nous coûter pour des résultats anecdotiques, voire comiques).

D’autre part, ces algorithmes sont, par définition, le savoir-faire le plus précieux de ces entreprises. Il est assez peu probable qu’elles choisissent de les exposer, ou de les rendre suffisamment simples à percer pour que les gouvernements puissent y mettre les doigts, ou, pire encore, que des concurrents s’en emparent et fassent mieux.

Enfin, et c’est de loin l’argument le plus évident et le plus important, à mesure que les technologies progressent, ces algorithmes sont de moins en moins le fait de la main de l’homme, mais bien des productions de l’intelligence artificielle dont ces sociétés s’équipent goulûment. Il faut être dans les gros fauteuils mous de l’État, occuper la confortable place d’un secrétaire d’État ou d’un ministre dans un gouvernement quelconque pour imaginer que « les algorithmes » sont entièrement compris par leurs créateurs, qu’ils sont totalement déterministes, et qu’ils peuvent être expliqués.

En pratique, depuis un bon moment, les ingénieurs de Google – par exemple – ne comprennent plus complètement la façon dont le moteur de recherche établit ses résultats, de la même façon qu’on ne comprend pas vraiment comment fonctionne le cerveau humain, sans pour autant s’empêcher d’en reproduire les grandes fonctions et de parvenir à des résultats de plus en plus stupéfiants de réalisme.

Lemaire, comme d’autres avant elle et (très malheureusement) d’autres qui lui succèderont, tente ici d’apprivoiser, de réguler quelque chose qui lui est étranger parce qu’elle ne comprend pas ce dont il s’agit, et, pire encore, quelque chose d’étranger parce qu’il dépasse de loin ce qu’un humain ou un groupe d’humains est capable de gérer en termes de complexité.

C’est donc parfaitement voué à l’échec.


—-
Sur le web

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  • Puisque ces choses nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs…

  • Situation vécue il y a déjà une vingtaine d’années: 3 ingénieurs devant un programme LISP ( l’IA de l’époque) de quelques lignes : » à votre avis, qu’est-ce qu’il fait ?  »
    Programme écrit par les 3mecs en question, dont moi-même

    • Patrick, Je pense que vous pouvez prendre n’importe quel code, même déterministe, même simple mais mal documenté, seulement 1 mois après leur conception et le résultât sera le même : « ça fait quoi déja ce truc ? »

      • C’est vrai.
        Mais en IA c’est pire puisque le programme va lui même générer du code qui peut à son tour générer du code…

        • LISP, waaaou, ca fait un bail. Moi, j’ai d’épouvantables souvenirs du Prolog et de son horrible back-tracking.Il n’y a rien à faire, moi ce sera le C forever.

  • 404 sur le fameux « rapport pondu » … un problème d’algorithme peut être ?

  • Pensez que ces gens ont fait des études… Plus cruel que le rapport PISA!

  • Il faut aider Mme Lemaire, la « Secrétaire d’Etat au Numérique » : envoyez lui toutes les spécifications techniques dont vous disposez afin qu’elle maitrise bien ce dont elle parle. Comme la moindre de ces spécifications fait un millier de pages et qu’il lui faudra en digérer quelques centaines rien que pour se faire une idée … ça va l’occuper un moment.

  • « dès que ça bouge et que ça fait des choses, pouf, il faut absolument le réguler, puis le taxer, jusqu’à ce que mort s’ensuive (après quoi, la compulsion de ces mêmes politiciens les oblige à subventionner ce qui vient de claboter) »
    C’est la description même de cette régulation d’état qui est le fond de commerce des spécialistes de l’économie de connivence. On peut se demander si cela n’explique pas la nomination si systématique de décideurs politiques totalement ignares des sujets qu’ils ont en charge.

    « pour imaginer que « les algorithmes » sont entièrement compris par leurs créateurs, qu’ils sont totalement déterministes, et qu’ils peuvent être expliqués »
    Très pertinent H16.
    Et quand on voit le besoin de contrôle absolument irrépressible qui anime ces gens, on peu se dire que la rencontre de la réalité ne risque pas de provoquer des dégâts irrémédiables dans leurs rangs.

  • Ben si on estime qu’il y a des gens qui possèdent une intelligence qui les conduit à mal penser, pourquoi ne pas étendre le concept aux algorithmes?
    Ceci dit quand on prend l’exemple de google, à la base on peut rappeler que pour des questions impliquant un jugement subjectif, l’idée de pertinence d’un recherche reste un concept flou..
    Ce qui est rigolo est que d’abord et avant tout lemaire accorde énormément d’importance à ce que sort google, or un individu normalement constitué pose un jugement de valeur sur un résultat de recherche et réaffine ses critères de recherches.

    Il y a toujours ce coté étonnant chez certains qui est en premier lieu de leur démontrer qu’ils sont stupides t qu’en conséquence leur décisions sont elles aussi stupides ou néfastes …mais que, pourtant, ces gens stupides peuvent prendre une seule décision intelligente, de laisser certaines personnes prendre les décisions à leur place…ça me fascine…je suis trop idiot pour prendre la moindre décision sauf celle de laisser une tierce personne décider à mal place.

  • Rien que la formulation citée « à l’attention des agents opérant un service public utilisant un algorithme » est à hurler de rire lorsqu’on a une notion claire de ce qu’est un algorithme.
    La pauvre poulette ne réalise même pas que les « utilisateurs » d’algorithme ce sont tous ceux qui utilisent les dispositifs modernes tels que téléphone (et pas uniquement portable!), ordinateur, GPS, TV, etc. bref TOUT le monde.
    Ça prouve l’ignorance crasse de ladite!

    • Si on doit former les fonctionnaires aux « algorithmes » du GPS, ils vont tous faire un burnout et se mettre en congé maladie !

    • « les « utilisateurs » d’algorithme ce sont tous ceux qui utilisent les dispositifs modernes »

      On peut même y inclure ceux qui, sans forcément utiliser un ordinateur, utilisent des procédures pré-définies dans leur travail. Ce qui inclus à peu près 100% des agents de service public, de l’éboueur au policier en passant par l’infirmière et l’inspecteur du travail.

  • « Si la case 3b du CERFA-2243z est cochée alors s’assurer de la présence du formulaire rose et vérifier que la 5e cellule en partant du centre de la feuille est bien renseignée avec la valeur « bleu » » est un algorithme, du type de ceux que notre administration affectionne particulièrement. J’attends de les voir dûment régulés, ceux-là !

  • Ouille ❗

    Elle devrait exiger les bandes perforées…
    Et de toutes façons, il faudra embaucher massivement des bucherons…

  • La technologie, c’est utile si cela rend un service, et utilisable si on parvient à en dissimuler la complexité à l’utilisateur. Pour savoir vraiment ce qu’il y a derrière, il faut être un spécialiste, et chaque spécialiste ne maitrise en fait qu’une petite partie de l’ensemble.

    Certains s’imaginent qu’ils maitrisent un sujet et détiennent la vérité parce qu’ils ont lu une page sur wikipedia alors qu’il y a des dizaines de milliers d’ingénieurs qui travaillent sur le sujet depuis des années. Les forums en sont pleins, y compris sur Contrepoints. Et quand c’est un journaliste qui nous explique la technologie, c’est à se rouler par terre de rire.

    Il faut être politicien et constructiviste indécrottable comme Lemaire ou Royale pour s’imaginer que l’on peut encore contrôler, diriger, planifier la technologie. Seuls les marchés peuvent piloter la technologie en éliminant les fausses bonnes idées et en répartissant les tâches. Les politiciens doivent juste s’adapter et à la limite prohiber certaines technologies comme les gaz de combat, les mines antipersonnel, les missiles nucléaires ou les robots de combat s’ils arrivent à s’entendre au niveau mondial en mettant de côté l’idéologie pour se concentrer sur l’essentiel.

  • Si Axelle veut les codes, on peut leur envoyer de la même manière et avec le même dédain que celui qui a été pratiqué par le sinistère de l' »éducation nationale » pour l’algorithme du calcul des admissions post-bac (vive le PL-SQL sans le schéma de la base)…

    A savoir, vive l’impression du code desdits algorithmes (mais quid de la branche ? celle de maintenance, celle de travail, celle de la release d’il y a une heure déployée pour quelques clients ou celle de la release d’il y a trois déployée pour quelques autres clients ?)…

    Tout ceci risque de ne pas trop plaire à une vieille sinistre de l’éducation nationale, à une ex-candidate à l’élection présidentielle, à une ex-candidate aux élections législatives, à une ancienne cadre de la BPI, à une ancienne ruineuse de région et à une actuelle sinistre de l’escroc-logie

  • Je suis persuadé que lors des soirées de beuveries dans certains ministères, ils pratiquent une sorte de jeu de rôle pervers. On tire au sort un ou deux termes ou concepts fumeux (climat, qualité,de l’air, algorithmes, logement), et c’est à celui qui pondra le texte le plus délirant.
    On peut jouer en proposant un rapport, une étude, mais aussi un projet de loi, un amendement, une directive, etc.
    Celui qui gagne est celui qui fait flamber les plus de voiture dans la rue ou (non exclusif) celui qui fait rentrer le plus de pognon dans les caisses du club.
    Ah les taquins, qu’est-ce qu’ils doivent se marrer !

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Auteur : Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of Management

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