Par Jacques Garello.
Un article de la Nouvelle Lettre

« Mais qui gardera les gardiens eux-mêmes ? »
La célèbre interrogation de Juvénal est d’actualité chaque fois que les gardiens se mettent à refuser de garder. Je l’avais évoquée en 1958 à la veille de la chute de la Quatrième République, puis en 1968 quand chancelait la Cinquième.
Nous y sommes à nouveau. Le pouvoir n’est plus à prendre, mais à ramasser. Quand la police manifeste, dans la colère et l’indiscipline, c’est le signe qu’il y a vacance du pouvoir ; le monopole de la violence confié à l’État ne peut plus décemment s’exercer.
Deux vices institutionnels
Je crois inutile de m’attarder sur les causes de la grogne, ni sur la compassion électorale de la classe politique ni sur les prétendues manipulations du Front national. En revanche, il est nécessaire de regarder vers l’avenir et de démontrer qu’il faudra impérativement rompre avec deux vices institutionnels qui sapent notre pays : le recrutement des magistrats et la politique carcérale.
La France est un des rares pays libres où les magistrats des juridictions civiles et pénales sont fonctionnaires à vie, fruits d’une pépinière dirigée par l’État : l’École Nationale de la Magistrature (sise à Bordeaux). Les pays libres ont adopté des solutions tout à fait autres.
Aux États-Unis, les juges fédéraux (nommés par le président après approbation par le Sénat) sont choisis parmi les juristes professionnels (très souvent des universitaires enseignant dans les facultés de droit) et dans chaque État les juges sont choisis et renouvelés, tantôt par des commissions de professionnels, tantôt par un vote populaire.
L’exemple anglais
En Angleterre, la JAC (Judicial Appointment Commission), émanation du Parlement, nomme des juges professionnels à condition qu’ils aient une expérience prouvée. Ce sont des avocats en général. Dans les juridictions autres que pénales, juger est une véritable profession libérale, les magistrats sont concurrents, et leur clientèle dépend de la qualité de leurs jugements.
En Allemagne, les nominations de magistrats professionnels (en dehors de la Cour constitutionnelle) sont faites par les Länder, mais à partir d’un examen national (deuxième diplôme d’État) pour lequel la sélection et la concurrence sont très sévères, et ce sont des commissions qui font le choix, qui devra être confirmé après plusieurs années de formation dans les tribunaux.
On ajoutera deux particularités au système judiciaire français.
D’une part, les administrations publiques bénéficient d’un ordre juridictionnel qui leur est propre (tribunaux administratifs et Conseil d’État), ce qui est contraire à l’état de droit.
D’autre part, l’ENM est acquise aux idées les plus perverses : positivisme (le juge ne se prononce qu’en fonction de la législation en vigueur) et justice de classe (c’est la société qui crée les criminels, la délinquance économique des riches est plus grave que les atteintes à la vie et à la propriété commises par les pauvres).
Contrairement à ce que dit François Hollande, les juges français ne sont pas lâches, ils sont esclaves de l’idéologie qu’on leur a distillée.
Les places en prison
On dit qu’ils renoncent à prononcer des peines parce qu’il n’y a pas assez de places en prison. Ce n’est pas toujours le cas : certains juges sont persuadés que la prison n’est pas la meilleure façon de traiter les délinquants, et ils entonnent un couplet sur l’insertion professionnelle (les exemples de reconversion dans la drogue et les casses sont en effet édifiants).
Si le travail est rédempteur, pourquoi ne pas faire travailler les prisonniers derrière les barreaux pour qu’ils paient leur pension ? C’était l’habitude dans plusieurs des États américains (on allait même jusqu’à autoriser les prisonniers à travailler en ville dans la journée) mais elle a été abandonnée à la suite des pressions syndicales (concurrence déloyale sur le marché du travail).
Quant aux places dans les prisons, c’est une joyeuse plaisanterie, il suffit de faire appel à des entreprises privées pour construire et exploiter des prisons économiques, aménagées pour éliminer la promiscuité, la violence et l’indignité. Ces prisons privées sont plus nombreuses que les prisons publiques en Australie. Aux États-Unis, de véritables chaînes de prisons-hôtels se développent. Non seulement la sécurité y est mieux assurée, mais le sort des prisonniers et leur réinsertion professionnelle sont au programme « Clé pour le succès ».
Résumons-nous : les délinquants arrêtés par la police doivent être transférés et jugés par des magistrats ayant une expérience et l’École nationale de la magistrature doit être supprimée. Des juges de qualité n’hésiteront plus à infliger des peines de prison lourdes quand ils sauront que la prison est à la fois un lieu de punition et un lieu de rachat et de réinsertion. Quel candidat en parlera ? Il faudrait un vrai libéral !
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Bonne description des différents systèmes, mais fausses informations à propos du “laxisme” des juges.
Il suffit de fréquenter les juridictions pénales, comme moi à titre professionnel, pour constater que depuis 20 ans, les sanctions sont de plus en plus lourdes.
Les juges dans les tribunaux correctionnels ne sont pas des mous.
Je confirme que les tribunaux, et les juges des libertés, hésitent parfois à prononcer une peine ferme à cause de la surpopulation des prison.
Mais c’est le plus souvent parce qu’ils choisissent parfois la prison pour des délinquants qui ne la mérite pas !
Bonjour caffer 21
Les peines de prison sont lourdes car en dessous de 2 ans le JAP aménage la peine.
On voit alors des multirécidivistes et les juges sont forcés de mettre plus de 2 ans pour avoir une sanction réelle.
Il faut une sanction effective, amendes, prison etc.. et non des sursis ou autre rappel à la loi.
JAP : une fonction qui sert à quoi, véritablement ?
Bonjour
L’important, ce n’est pas des sanctions lourdes, mais des sanctions réelles et prévisibles.
Par exemple pour un primo délinquant pour un vol, 3 jours de prison (ou amende), et non pas du sursis réitéré.
S’inspirer du Japon qui à des prisons avec une discipline rigoureuse mais correcte et surtout propres.Instaurer les châtiments corporels en alternative à la prison pour les délits sans violence…Avoir des sanctions promptes et certaines pas forcément draconiennes , instaurer la certitude dans l’application de la peine en obligeant les détenus à purger u moins les 2/3 ou les 3/4 de sa peine, avoir des programmes fondée sur la science pour réduire la récidive…On réglerait le problème de la criminalité s&ans les excès vus dans certains états Américains comme l’Alabama ou la Floride…
Châtiments corporels : fouet, bâton, lapidation, mutilation ? Quand on commence dans ce domaine, il n’y a plus ni dignité du condamné, ni du bourreau, ni de la société. Et surtout il n’y a plus de limite…
Certitude d’une peine exécutée en totalité, sans remise automatique, ce serait déjà bien.
Pour réduire la criminalité il suffit aussi de redéfinir la notion de crime et de délit : faire appel aux services d’une prostituee, consommer, fabriquer, vendre des stupefiants, pertinent de classifier comme délictueux de tels comportement ?
Pour pouvoir élire les juges, il faudrait réécrire la Constitution. La justice n’est pas un pouvoir comme le sont le législatif et l’exécutif, mais une autorité, c-à -d une administration. Donc, il est logique que les tribunaux soient peuplés de fonctionnaires formés et recrutés par l’État.
Par nature le pouvoir judiciaire est (ou devrait redevenir) un pouvoir régalien et pas une simple fonction. C’est la contrepartie des deux autres.
En tant que citoyen et que profane du Droit (avec une majuscule) je partages volontiers la vision de Jacques Garello.
Une 6e Constitution me semble nécessaire, et je vous rejoins donc également.
Mais qui osera lancer le projet.
Et qui saura la rédiger de façon moderne, cohérente, en phase avec ce siècle ?
“Et qui saura la rédiger de façon moderne, cohérente, en phase avec ce siècle ?”
Avec les technologies actuelles on devrait arriver à rédiger une véritable Constitution citoyenne née de consultations et de débat au sein de la population. Puis, il restera plus qu’à la proposer au référendum. On a pas besoin d’un gugus ou d’un groupe de gugus pour nous montrer la voie à suivre. C’est la présomption fatale qui mène les hommes au désastre depuis des siècles.
Merci pour cet article qui résume bien la situation.
Personne n’a eu le courrage de s’attaquer à ce problème, de peur de se faire accuser de toucher à la sacro sainte indépendance de la justice. Du coup, l’administration judiciaire est un état dans l’état, avec son idéologie propre, sans aucun contrôle démocratique.
L’incompréhention de plus en plus visible du citoyen français devant la justice de son pays est un danger pour la démocratie qui n’est pas à prendre à la légère.
Vous écrivez vous même : Sed quis custodiet custodies ipsos ? peut-être qu’une “décimation” (au figuré) mettrait de l’ordre dans cette “pétaudière”