Par Pierre Garello.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Mr. Ban Ki-Moon, a formé en novembre dernier un groupe d’experts en lui confiant pour mission d’«examiner et d’évaluer des propositions et de recommander des solutions qui permettraient de mettre fin à l’incohérence qui prévaut actuellement entre les droits légitimes des inventeurs, les droits de l’homme, les règles commerciales et la santé publique dans le contexte des technologies de la santé. »
Ce groupe d’expert, baptisé High Level Panel for Access to Medicines (Groupe d’experts de haut niveau sur l’accès aux médicaments) a remis aujourd’hui son rapport dont les principales conclusions avaient filtré avant l’été et qui nourrissait, avant même d’être publié, de vives inquiétudes.
Accès aux médicaments et droits de propriété intellectuelle
Si personne ne nie l’intérêt, voire même l’urgence, d’un meilleur accès aux médicaments, la mission confiée aux experts surprend par sa formulation qui suggère une incompatibilité entre accès aux médicaments et droits de propriété intellectuelle et qui incite donc à un affaiblissement de ces derniers. La publication du rapport du groupe d’experts montre que ces craintes étaient fondées.
Pourtant, la réalité est plus complexe que ne le supposent les experts. Il est évident que l’accès aux médicaments suppose qu’en amont des médicaments appropriés aux besoins soient développés. Or, la quasi-totalité des médicaments développés ces dernières décennies l’ont été précisément dans des pays offrant une forte protection de la propriété intellectuelle (comme la France).
Et la mise sur le marché de médicaments adaptés s’est plutôt accélérée. De plus, 95% des médicaments considérés comme essentiels pour les pays pauvres d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (plus précisément 350 sur 375) ne sont pas protégés par la propriété intellectuelle. Il semble donc difficile de voir dans les brevets accordés aux inventeurs (pour les inciter à chercher) la source première d’un moindre accès aux médicaments, et à des médicaments nouveaux.
Certes, on peut déplorer que l’industrie pharmaceutique ait des contraintes financières et donc des priorités dans le choix des médicaments à développer, mais cela n’implique en rien que le monde — y compris la situation des plus pauvres —serait meilleur si l’on abolissait la propriété intellectuelle.
Manque de réalisme des nations unies
Le rapport des Nations Unies est, en fin de compte, décevant par son manque de réalisme. Les bonnes intentions ne suffisent pas à faire de bonnes politiques. Certes la protection octroyée par les brevets n’est peut-être pas un système parfait, mais dans un monde de rareté relative aucun système n’est parfait et il est légitime, en effet, de s’interroger sur les moyens de palier ses faiblesses. Mais là n’est pas le propos du rapport. Ils veulent changer le système en profondeur. Ils veulent « déconnecter les considérations de coût avec les considérations de prix », mais pour instaurer quoi ?
La véritable question est la suivante : est-ce qu’un modèle basé sur l’initiative individuelle et la motivation du profit est moins performant qu’un système basé sur d’autres principes ? Le système de marché s’est accompagné de progrès rapides dans la mise au point et la mise sur le marché d’un éventail impressionnant de médicaments nouveaux. Les auteurs du rapport demeurent pourtant sceptiques.
Dès lors, la question qui hante tous les commentateurs est tout naturellement de savoir quel système, à supposer que celui de la propriété intellectuelle soit affaibli, est prévu par les Nations Unies ? Qui décidera des médicaments et traitements à développer et qui en financera le développement ? Devons-nous confier ces questions graves à des gouvernements qui n’ont pas pu, en près d’un siècle, régler le problème, pourtant bien plus simple, du logement social ?
Plutôt que de se lancer dans une chasse aux sorcières, les experts des Nations Unies devraient prêter une plus grande attention aux multiples rapports produits par de nombreux organismes qui oeuvrent depuis longtemps pour améliorer l’accès aux soins de santé pour les plus pauvres : manque d’infrastructures (routes, électricité, frigidaires,…), manque de compétences médicales, manque d’une organisation sérieuse des systèmes de santé, corruption… et la liste est encore bien longue.
Ce rapport détourne l’attention des vrais problèmes plus qu’il n’aide à les résoudre.
Il serait intéressant d’avoir la liste de ce “groupe d’expert” et un aperçu de leur pedigree. Cela permet souvent d’éclairer les conclusions de bien des rapports.
“manque d’infrastructures (routes, électricité, frigidaires,…)”
Pas politiquement correct : les pauvres doivent bouffer de la nourriture avariée pour sauver la planète du RCA !