Ce qu’un jeune pense de Nuit Debout

Comment la jeunesse doit-elle se positionner parmi ces revendications ? Un lycéen nous livre son analyse du mouvement Nuit Debout.

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Ce qu’un jeune pense de Nuit Debout

Publié le 1 mai 2016
- A +

Par Chimène Gabriel.

By: Maya-Anaïs YataghèneCC BY 2.0

En jouant sur les instincts révolutionnaires d’une jeunesse désabusée, d’une génération désenchantée par son époque, le rassemblement citoyen Nuit debout espère pouvoir affaiblir non seulement le pouvoir actuel, mais le système politique dans son ensemble. L’effervescence parisienne de quelques syndicats étudiants a débouché sur une vaste organisation de regroupement des luttes et des idées où chacun vient faire part de son mécontentement et essaie de trouver des solutions à ses problèmes.

Un dualisme simpliste

Cependant, bien que nimbé d’un halo de bienveillance et de positivisme, le mouvement place la jeunesse française, dont je fais partie, dans une ornière morale qui scinde la société entre participants et contempteurs : on est soit nuitdeboutiste de la gauche altruiste et morale, soit de l’autre bord, c’est-à-dire les ennemis du peuple, les empêcheurs d’évoluer.

Je sais que j’ai, au moins, deux défauts : j’ai collaboré à La Règle du jeu, revue de gauche dirigée par Bernard-Henri Lévy, ce qui est rarement bien perçu par les franges d’extrême-gauche ; et j’ai, de surcroît, dans cette revue, témoigné mon respect pour Alain Finkielkraut, ce qui, pour un certain nombre d’occupants de la place de la République, doit faire de moi quelqu’un de vaguement réactionnaire, ce terme prenant ici une valeur plutôt péjorative. À seize ans, je cumule donc deux graves handicaps si je voulais faire la révolution, mais, nonobstant le tout, je me suis rendu au rassemblement Nuit Debout de ma ville, et j’y ai rencontré quantité de gens sympathiques et ouverts, engagés par le simple fait de se réunir et de discuter librement. Les sujets fusaient : écocide, droit des travailleurs, agriculteurs, privilèges des élites, etc. Se regrouper, échanger, prendre la parole, remettre le citoyen au centre du débat, dans un esprit de pluralisme et de démocratie réelle, voilà qui est innovant, positif, plein d’espérance.

Nuit debout, royaume des contradictions

Néanmoins, l’émergence de ce mouvement a nourri chez moi divers questionnements. Comment diable a-t-on pu en arriver là : pour être de la bonne gauche morale, il faut désormais manifester contre le gouvernement socialiste.

Difficile, en effet, de prendre au sérieux un mouvement prétendument révolutionnaire et anti-système où un diplômé en économie d’Essex, qui a été cinq mois ministre des Finances et contraint à la démission par référendum – Yanis Varoufakis –, est accueilli comme un demi-dieu mais où un intellectuel qui chantait Bella Ciao sur les barricades en mai 1968 – Alain Finkielkraut –, se fait traiter de fasciste.

Difficile, en effet, de comprendre comment un mouvement peut se prétendre opposé au gouvernement quand l’un de ses plus médiatiques défenseurs, Julien Bayou, est porte-parole d’un parti, EELV, qui fait partie de la majorité gouvernementale.

Alain Finkielkraut agressé à Nuit Debout, un révélateur

J’ai lu avec attention la tribune écrite par deux membres de Nuit Debout dans Mediapart en réponse à l’ampleur médiatique qu’a pris l’agression de l’académicien Alain Finkielkraut. Pour eux, Finkielkraut contribuerait à la « réduction du débat politique aux problèmes identitaires dont l’essayiste s’est fait le héraut », semblant oublier les dizaines de livres du philosophe concernant l’amour (le Nouveau désordre amoureux, 1977), la littérature (Un cÅ“ur intelligent, 2009), Charles Péguy (Le Mécontemporain, 1992), la culture (La défaite de la pensée, 1987) ou le système éducatif français (La Querelle de l’école, 2007), autant de sujets qui ne convoquent pas la question identitaire.

Ils ont vu un « Académicien étonnement (sic : on comprendra étonnamment, on les pardonne) vulgaire menacer de coups de latte les quatre ou cinq personnes » alors que c’était lui qui faisait en effet l’objet de ces menaces.

Ils nient ensuite les insultes et crachats en précisant qu’ils « se résumaient à quelques cris de «fascistes». », ce qui est faux : on entend aussi un harmonieux saloperie. Quant au crachat, le journal Le Monde après vérification a tranché : « On a craché en sa direction, pas sur lui », mais on a craché. L’insulte fasciste est même légitimée par les auteurs du texte dans Mediapart comme « une caractérisation politique et non comme une injure », semblant minimiser la portée extraordinairement violente envers cet homme dont le père, victime de l’idéologie fasciste, a été déporté à Auschwitz.

Trois erreurs dans un article écrit à quatre mains : décidément, Nuit debout gagnerait peut-être à prendre un réel porte-parole. Hélas, comme dans nombre de mouvements citoyens, des leaders officieux commencent à émerger, alléchés par le pouvoir que suggère la tête d’un mouvement tentaculaire planétaire ayant des ramifications jusqu’à Denver, Binan aux Philippines ou Bucarest. Libération évoque notamment Frédéric Lordon, économiste, ou Julien Bayou porte-parole d’EELV, Parti dont l’ancienne secrétaire nationale Emmanuelle Cosse est aujourd’hui au pouvoir au sein du gouvernement Valls, mais qu’il conspue pourtant. La sphère politique a condamné l’agression, même Najat Vallaud-Belkacem, que Finkielkraut fustige depuis plusieurs années. Seules les Jeunesses communistes ont revendiqué l’agression via Twitter, dans un langage d’une inouïe splendeur : « on l’a téj ».

Mais passons sur Alain Finkielkraut. Son éviction sous les huées et insultes de quelques énergumènes stupides et discourtois, à l’évidence ignorant tout de l’œuvre du penseur, ne saurait dissimuler les aspects positifs de ce mouvement.

Et une ornière de plus !

L’ornière se dessine, erratique, devant ces jeunes, et moins jeunes, gens persuadés d’être dans le camp du bien, luttant pour un avenir meilleur. Rejetant en bloc les institutions, le concept fourre-tout de convergence des luttes fait cohabiter toutes les mouvances de l’ultra-gauche : anticapitalistes, antisionistes, féministes, écologistes, anarchistes, syndicalistes… Comment imaginer alors que ce rassemblement qui ne rassemble en fait que des personnes unies par le seul fait qu’elles sont insatisfaites du monde comme il va et qui comptent y prendre part activement, pourrait un jour proposer une vision commune et structurée et de réelles solutions à des problèmes tous différents et tous discutés ?

On aurait tort de penser que Nuit debout se finira, se dégonflera avec le temps comme le mouvement des Indignés par exemple : ce n’est pas le bout d’une impasse, c’est le fond d’une ornière. La jeunesse Nuit debout veut du changement dans le système, mais ne sait pas par quoi le remplacer. Elle veut aller de l’avant mais ne sait pas dans quelle direction. Fuir le système politique tel qu’il est, c’est appeler la gauche à s’abstenir aux prochaines présidentielles et offrir à Marine Le Pen la victoire sur un plateau d’argent.

Mais comment souhaiter le découragement de cette jeunesse concernée, impliquée et engagée, si cela condamne le pays à l’immobilisme ? L’application hallucinante à voir en ces quelques individus en colère contre Myriam El Khomri l’avenir de l’humanité toute entière, n’est que préjugé porté sur une jeunesse que l’on se plaît à voir impétueuse et pleine d’idées neuves. La jeunesse qui pense autre part que dans un entre-soi révolutionnaire est, quant à elle, oubliée.

Caroline de Haas a publié une tribune dans Le Monde (comme quoi, les médias ne visent pas qu’à les diaboliser…) dans laquelle elle écrit, dans un langage twitterisé (je peux m’autoriser ce néologisme, elle parle bien de « philo-réacosophe ») que « Finkielkraut a voulu faire un coup ». Semblant oublier qu’en tant qu’être humain citoyen français il avait le droit de se rendre sur cette place, la place de la République n’étant pas la propriété de ceux qui voudraient la privatiser, Caroline de Haas crie au complot anti-Nuit debout organisé par un intellectuel qui aurait tout calculé pour se faire insulter, bousculer et cracher dessus, lui et son épouse. On laissera chacun juger de l’ineptie de ce commentaire, la médiatisation s’étant faite par les nuitdeboutistes eux-mêmes en divulguant leurs propres vidéos et par Jeunesses communistes, qui a revendiqué l’attaque.

Elle s’inquiète enfin que la jeunesse, si elle se décourage, puisse être ensuite accusée de ne plus s’engager, de ne plus rêver. Elle regrette d’entendre la prochaine décennie se lamenter sur ces jeunes qui ne font rien et votent Front national, et encore, s’ils vont voter. Elle oublie une chose : à force de crier au  tous pourris et au  tous les mêmes, on ne fait qu’accréditer, justement, les thèses marinistes. Mais elle oublie autre chose : la jeunesse peut aussi ne pas passer ses soirées Place de la République et pourtant s’engager, dans une autre voie que celle qu’elle lui trace. De ma plume mal assurée de jeune lycéen j’essaie de m’y atteler, en tentant de surcroît le pari de le faire dans une langue autrement plus châtiée que son sous-style de français Twitter. Peu de jeunes se sont impliqués dans des mouvements comme le Printemps républicain, ou Le Sursaut 2016, suite aux attentats de 2015, pour défendre la laïcité face à la montée de l’obscurantisme.

En revanche, contre « l’impérialisme » de Pierre Gattaz et du « système capitaliste », ils sont des millions. Que la jeunesse s’engage, et même dans Nuit Debout si elle le souhaite ! Mais qu’elle le fasse avec le minimum de lucidité que requiert la gravité des choses, si elle ne veut pas que cela vire à l’émeute, voire à la guerre civile.

La Place de la République, qui était il y a quelques mois seulement un lieu de commémorations en mémoire des victimes des attentats où l’on venait partager empathie et douleur, communier, pleurer, déposer des fleurs, des bougies, s’est transformée en vaste agora où l’ultra-gauche lutte contre la suprématie capitaliste et s’organise comme le centre nerveux d’un contre-pouvoir citoyen qui a essaimé partout sur la planète.

On ne sait pas où ça va, mais ça y va. Espérons tout de même que ce ne soit pas dans le mur.

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  • Excellent article pour votre âge, c’est exceptionnel.

    Article: »Ils ont vu un « Académicien étonnement (sic : on comprendra étonnamment, on les pardonne) vulgaire menacer de coups de latte les quatre ou cinq personnes alors que c’était lui qui faisait en effet l’objet de ces menaces. »

    J’ai vu cet article, il fait revivre les meilleures heures de la pravda dans le genre « Un homme de 67 ans agresse une dizaine de personnes qui protestaient pacifiquement « , c’est collector !

    Pour l’avenir de la France, je suis tout à fait pessimiste.
    Il va y avoir une grande crise économique, mais l’état français ne mourra pas sans cracher sa propagande grâce aux 7 millions de salariés de l’état et au plus grand réseau d’élus de la planète.

    La tumeur est maligne, réussir à faire croire dans un pays aussi étatisé que c’est la liberté qui est cause de la crise, c’est ahurissant.

  • Un seul mot jeune homme, superbe. On aimerait connaitre un peu plus de jeunes gens de votre accabit.

    • On aimerait surtout que les médias subventionnés leur donnent davantage la parole. Ça nous changerait et ça redonnerait le moral au pays!

  • Enfin autre chose que des foutaises sur ce site!
    Félicitations, jeune homme. Vous irez loin!

    • Pour me changer les idées et continuer à m’instruire, je suis allé sur le blog de Frédéric Lordon. Le mot foutaises s’applique assez bien et quand je dis assez. ..
      Vous n’avez pas le monopole des idées – ça se saurait – ni même du coeur.

  • Nuit debout fait long feu, la CGT devient minuscule et sa corruption est publiquement dénoncée, les frondeurs du PS sont grotesques, Mélanchon outrancier : on dirait que le vent de la révolte ne souffle pas dans la direction choisie par la jeunesse d’extrême-gauche. Un jour ensoleillé, viendra le temps des purges néo-maccarthystes : journaux hyper-subventionnés, télévision d’état, administrations fonctionnant en vase clos dans leur intérêt propre, services publics paresseux et d’état d’esprit malsains. Un jour viendra le temps de reprendre notre liberté. Merci pour l’article.

  • Merci de rappeler deux caractéristiques des mouvements totalitaires :
    – contrôler la rue
    – instrumentaliser la jeunesse

    Lordon ne vaut pas mieux que Mussolini.

  • Commentaire modéré

  • Derrière la maîtrise de notre belle langue on sent la richess des idées et une pensée cohérente, en construction. Impressionnant : bravo !

  • Merci à vous tous pour ces gentils retours !! Je suis touché par vos compliments.
    Très heureux que mon article vous ait plu !

    • Difficile de ne pas adhérer à une analyse aussi pertinente!
      La liberté d’esprit est le bien le plus précieux,
      d’autant plus que l’honnêteté intellectuelle n’est pas précisément la priorité de ce pays dans lequel on étouffe,debout,assis et parfois même ventre à terre…

      P.S. « on leur pardonne » d’avoir « étonnement » mal évalué l’itinéraire des crachats et d’y patauger à l’aise?

      • Merci, oui en effet la liberté d’esprit est précieuse !
        On leur pardonne de ne pas s’être relu avant publication et d’avoir écrit étonnement au lieu d’étonnamment.

    • Vous êtes impressionnant : vous avez compris le problème alors que ceux qui ont 2 fois votre age ne voient même qu’il y a un problème. Si vous avez 15 ans et compte tenu de l’allongement de la durée de vie, cela vous laisse bien 75 ans pour trouver une solution … Je vous donne d’emblée l’agrégation de philo. Faites des études de sciences, de commerce et d’économie (et surtout pas l’ENA) et je vote pour vous à la présidentielle.

  • Je suis absolument bluffé ! Pour ma part, j’ai dû attendre mes 80 ans pour en faire (presque) autant… A l’évidence, et c’est heureux, toute la jeunesse française n’est pas vérolée (sic !) par le virus mortel véhiculé par l’idéologie socialo-communiste qui retient la France captive. Avanti !!

  • Votre rigueur de plume et d’esprit vous honore mais ne seriez-vous pas un peu trop gentil ?

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