Nancy Reagan, mère de la War on drugs si controversée

La lutte anti-drogue de Nancy Reagan a sans doute créé plus de mal que de bien, en dépit des bonnes intentions.

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Prince Andrew and Nancy Reagan crédits Alberto Botella (CC BY-NC-ND 2.0)

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Nancy Reagan, mère de la War on drugs si controversée

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 mars 2016
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Par Édouard H.

Prince Andrew and Nancy Reagan crédits Alberto Botella (CC BY-NC-ND 2.0)
Prince Andrew and Nancy Reagan crédits Alberto Botella (CC BY-NC-ND 2.0)

Nancy Reagan, ancienne actrice et veuve de Ronald Reagan, est morte à 94 ans dans sa maison en Californie. Tandis que la presse internationale et française se souvient de son rôle de première dame, de son histoire amoureuse avec Ronald, un élément peu évoqué de son œuvre paraît pourtant bien plus important : celui de son implication dans le déploiement massif de la terrible prohibition des drogues menée aux États-Unis. Tandis que la presse voit en elle une femme forte et glamour, on oublie souvent de mentionner qu’elle fut une personne clé dans cette guerre contre la drogue extrêmement coûteuse et terriblement dangereuse.

Bien que la prohibition des drogues modernes fut lancée aux États-Unis par Richard Nixon en 1971, ce fut Reagan qui lui fit prendre une ampleur massive et une intensité sans précédent. En 1986 Reagan signa la loi « National Crusade for a Drug Free America » qui contribua grandement à la politique d’incarcération de masse qui caractérise aujourd’hui les États-Unis, via la mise en place de peines planchers ( mandatory minimum laws ). Entre 1980 et 1997 le nombre de personnes en prison pour des transgressions non violentes de la loi sur les drogues passa de 50.000 à 400.000.

L’implication de Nancy Reagan dans cette quête utopique et nocive d’une Amérique abstinente fut principalement réalisée par le biais de la campagne « Just say No ».

Dans cette allocution télévisée diffusée à travers le pays, elle implore les Américains « à être fermes et rigides dans leur opposition aux drogues ». Elle ajoute « Les criminels de la drogue sont ingénieux, ils travaillent tous les jours pour préparer de nouveaux et meilleurs moyens de voler les vies de nos enfants, comme ils l’ont fait en créant le crack ».

Elle devint en 1982 le visage public de la campagne « Just say No ». Pendant un de ses voyages en Californie, se souvient-t-elle, « une petite fille leva la main, et dit « Mme Reagan, que faites-vous si quelqu’un vous offre des drogues ? » Et j’ai répondu « Hé bien, vous dites juste non. » Et voilà comment c’est né ». En 1988, plus de 12 000 clubs « Just say No » avaient été formés dans les écoles à travers le pays. Des publicités anti-drogues furent financées par l’État américain, visant à effrayer les enfants de l’usage récréatif des drogues, tout en avertissant les parents sur les horribles choses qui se produiraient si leurs enfants commençaient à consommer.

Le programme d’éducation DARE (Drug resistance Education) accompagna à la même époque la campagne « Just say No ». Ce programme fut créé par le chef de la police de Los Angeles, Daryl Gates, qui pensait que « les consommateurs de drogues occasionnels doivent être dénichés et fusillés ».

L’échec de DARE

DARE, qui vise à promouvoir l’abstinence, est un échec. En 2009, une méta-analyse de 20 études démontre que les adolescents impliqués dans le programme avaient autant de probabilité d’utiliser des drogues que ceux qui ne l’avaient pas reçu1. Il ignore que certains adolescents en consommeront de toute manière, peu importe qu’on les décourage largement de le faire. En prônant uniquement l’abstinence avec des messages simplistes et naïfs comme « dites juste non », on ne leur fournit aucune information sur les façons de se protéger, de limiter les risques, et leur consommation de drogue peut alors aboutir plus facilement à de tragiques conséquences. Une éducation honnête est de loin préférable.

De manière plus générale, les messages diffusés par les campagnes telles que « Just say No » promeuvent une stigmatisation de l’usage de drogues, insistant sur le fait qu’il est foncièrement mauvais, sans en considérer les contextes sociaux et physiologiques. Cette condamnation morale absolue met aussi en avant l’idée fausse que les drogues illégales sont intrinsèquement et forcément plus dangereuses que les drogues légales. En diabolisant l’usage de drogues illégales, les usagers sont diabolisés, et c’est cette idéologie qui nourrit encore aujourd’hui la prohibition.

Nancy Reagan ne souhaitait probablement de mal à personne. L’abus de drogues, y compris alcool et cigarette, est en effet un réel problème. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et son combat en faveur de l’abstinence a alimenté l’escalade de la prohibition des drogues menée par son mari, et dont les conséquences catastrophiques perdurent encore de nos jours.

  1. PAN, Wei et BAI, Haiyan. A multivariate approach to a meta-analytic review of the effectiveness of the DARE program. International Journal of Environmental Research and Public Health, 2009, vol. 6, no 1, p. 267-277.
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  • Merci pour ce rappel. Reagan est présenté comme un ultra-libéral, alors qu’il a juste tenu quelques bons discours et en réalité mené une politique encore plus étatiste que ses prédecesseurs, aussi bien sur la « guerre à la drogue » avec sa femme que sur les armes, l’économie ( https://mises.org/library/myths-reaganomics ), le sexe, etc. Un couple nuisible comme les Clinton, en somme.

    • Reagan ne vaut pas clairement pas un Calvin Coolidge ou un Grover Cleveland, mais il a réussi à inverser partiellement l’inquiétante dynamique étatiste qui s’était installée notamment avec LBJ et Nixon, ce qui n’était pas une mince affaire.

      Reagan n’était pas libéral et il n’était pas parfait mais il reste le meilleur président de la seconde moitié du XXe siècle aux USA et il était bcp plus libéral que ses successeurs. Reagan vaut bien mieux qu’Obama, Bush, Clinton, Nixon, LBJ.

      Oui, les dépenses publiques ont augmentés sous Reagan (principal reproche qu’on lui fait) mais il est important de connaître la structure des dépenses de la présidence Reagan, c’est très éclairant :
      renforcement d’un État gendarme au détriment d’un État providence. Ce sont les dépenses militaires qui ont augmenté. On peut ne pas être d’accord avec de tels choix, mais c’est clairement une politique d’inspiration libérale et ça n’a strictement rien à voir avec le keynésianisme (comme le disent les keynésiens).
      Et pour qui se souvient des discours de l’époque, les motivations de la course à l’armement étaient théorisées et s’inscrivaient dans la droite ligne de celles de la conquête spatiale :
      – assurer la paix (en gros montrer ses gros bras et bomber le torse face au bloc de l’est au lieu de se taper sur la gueule)
      – contribuer à l’implosion du bloc de l’est (en faisant le pari que l’économie soviétique n’avait pas les reins solides pour se lancer dans une telle compétition)
      Alors bien sûr on peut lui reprocher ces choix mais dire, comme le font certains libertariens aujourd’hui, qu’il était keynésien ou libéral uniquement dans le discours, c’est franchement du grand n’importe quoi.

      Un président n’a pas les mains libres, il y a des contre pouvoirs fameux (Congrès, Cour suprême, lobbys, hauts fonctionnaires,…). Il est normal qu’un président ne réussisse pas à mettre en oeuvre toutes les politiques qu’il veut. Cela est un double tranchant: c’est une excellente chose dans certains cas (comme avec Obama) et dommage dans d’autres cas (Reagan) mais c’est comme cela et c’est le principe de la démocratie. En plus, il me semble me souvenir que le Congrès était dominé par les démocrates sous Reagan (je ne suis pas sûr de cela).

      Si on se limite à un diagnostic comptable, vous avez raison : Reagan a échoué. La gestion des finances publiques de Reagan était loin d’être excellente.
      Mais :
      1. Hors dépenses militaires, les déficits de la présidence Reagan sont les plus faibles jamais connus aux Etats Unis. L’argument qu’il était libéral dans le discours mais keynésien dans les actes ne tient pas la route.
      2. Lappréciation comptable ne tient pas compte des contingences géopolitiques de l’époque. Un discours de désengagement militaire à la Ron Paul s’il est tenable aujourd’hui, c’était totalement impossible à l’époque.
      On peut être en fort désaccord avec la politique de course à l’armement menée par Reagan durant ces années. Mais j’ai franchement du mal à voir quelle autre politique était possible face à la menace soviétique, et surtout, après coup, en termes géopolitiques et non comptables (*), il est difficile de dire qu’il a fait les mauvais choix.
      (*) cela n’excusant pas ceci, c’est vrai.

      Ses discours n’étaient pas à l’hauteur de ses actes, je suis parfaitement d’accord avec cela mais de là, à dire qu’il n’a strictement rien fait, c’est fortement exagéré et c’est faux.

      Idéaliser Reagan comme le font certains libéraux est une mauvaise chose mais le diaboliser est tout aussi mauvaise.

  • Son discours est tellement faux du début à la fin que le décortiquer prendrait un temps fou.
    Un point me frappe plus que les autres. Elle donne l’exemple d’un nouveau né dont la mère est (ou était) cocaïnomane, et nous détaille ses ennuis de santé. Puis, après nous avoir bien émus (parce que bon, pauvre gosse, quand même), elle enchaine : « voilà pourquoi nous sommes tous concernés ».

    Non, juste non. Le fait qu’une personne quelque part fasse un mauvais choix ne m’implique pas dans ta guerre, Nancy.

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