Par Youri Chassin et Youcef Msaid, depuis le Québec.
Une étude de l’Institut économique de Montréal
Dans la majorité des villes nord-américaines, les activités liées aux applications de covoiturage commercial ne sont pas prévues ni encadrées par les lois existantes. De fait, elles opèrent dans une zone grise. À l’instar de certaines villes européennes, Vancouver et Montréal ont choisi de s’opposer aux activités de tels services. Une solution plus réaliste et plus profitable pour l’économie et pour l’ensemble des citoyens serait de légaliser les applications de covoiturage commercial, simplifier le cadre réglementaire et offrir une compensation raisonnable aux détenteurs de permis de taxi, en s’inspirant des endroits dans le monde qui ont adopté de telles réformes.
Les réformes australiennes
L’un des premiers pays où les activités de transport ont été libéralisées est l’Australie. Le Territoire de la capitale australienne (comprenant la ville de Canberra) et l’État de la Nouvelle-Galles du Sud (incluant la ville de Sydney) ont choisi il y a quelques mois de légaliser les applications de covoiturage commercial. Dans la foulée, ces gouvernements s’affairent à grandement simplifier et moderniser le fardeau réglementaire entourant l’industrie du taxi.
D’une part, la réforme introduite par le Territoire de la capitale australienne en octobre 2015 élimine le statut privilégié des compagnies de répartition de taxi existantes pour les mettre en concurrence directe avec les applications comme Uber sous le même statut légal de Service de réservation de transport (Transport Booking Service). Pour les chauffeurs liés aux applications, il y aura des exigences à remplir afin de garantir la sécurité du service. Selon les informations disponibles, le coût annuel direct lié à ces exigences sera inférieur à 100 dollars australiens, en plus des coûts d’assurance1.
D’autre part, le nouveau cadre réglementaire élimine tous les coûts administratifs liés à l’opération d’un taxi traditionnel, sauf l’assurance et le coût annuel de location d’une licence de taxi. Ce dernier coût est payé par les chauffeurs qui ne sont pas propriétaires de leur propre licence2 et passera de 20 000 à 5000 dollars3. Les exigences de formation seront également réduites à ce qui est réellement nécessaire pour assurer la qualité du service et la sécurité des clients.
Une étude estime qu’après cinq ans, cette réforme générera un bénéfice annuel net de 3,5 millions de dollars par année pour les citoyens de Canberra4. Certaines distinctions demeurent entre chauffeurs de taxi et chauffeurs travaillant pour un service de covoiturage, la plus importante étant que les chauffeurs de taxi sont les seuls à pouvoir accepter des courses spontanées.
Ce privilège sera aussi préservé pour les chauffeurs œuvrant dans l’État de la Nouvelle-Galles du Sud. Cette réglementation offre un avantage considérable alors qu’à Sydney, capitale de cet État, les courses spontanées représentent environ 70 % du chiffre d’affaires des taxis5. D’ailleurs, le nombre de licences de taxi disponibles continuera d’être réglementé.
Enfin, en Nouvelle-Galles du Sud, les propriétaires des licences de taxi pourront recevoir une compensation pour leurs pertes financières découlant du changement de cadre réglementaire. Le gouvernement reconnaît donc sa part de responsabilité dans la situation difficile de certains propriétaires de taxi qui ont dû encourir des coûts importants pour avoir le droit de pratiquer leur métier. L’objectif est d’indemniser les chauffeurs propriétaires d’une ou d’un maximum de deux licences.
Les détails de l’aide à l’industrie restent à clarifier mais les documents officiels mentionnent un montant de 20 000 dollars par licence pour des détenteurs de longue date6. Les propriétaires plus récents seraient compensés plus généreusement, une somme qui pourrait atteindre 175 000 dollars pour un permis acheté en 2015, soit moins de la moitié du prix moyen d’une licence (voir le Tableau 1 pour le nombre et le prix moyen des licences).
Ces compensations seront financées en totalité par une taxe temporaire de 1 $ par course s’appliquant tant aux taxis traditionnels qu’aux services tels que Uber. Au total, le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud estime que les compensations offertes à l’industrie du taxi traditionnel devraient atteindre 250 millions de dollars sur cinq ans. La réduction du fardeau administratif devrait quant à elle entraîner des économies de 30 millions de dollars annuellement7.
La situation au Canada
Edmonton est devenue il y a deux semaines la première ville canadienne à annoncer officiellement la légalisation des applications de covoiturage commercial8. Les compagnies devront payer 70 000 $ par année à la Ville pour exploiter leur service, en plus de six sous par course pour financer les coûts de la mise en application de la réglementation. Leurs chauffeurs devront tous avoir une assurance pour pouvoir offrir le service. Aucune compensation n’a été offerte aux chauffeurs de taxi, malgré la diminution prévisible de la valeur de leurs licences.
Toronto, Ottawa et Waterloo ont annoncé leur intention de réformer la réglementation pour permettre les opérations des applications de covoiturage. C’est aussi le chemin que propose de suivre le Bureau de la concurrence du Canada9.
Conclusion
Comme toutes les innovations technologiques qui répondent à un besoin fondamental, les applications de covoiturage commercial vont continuer d’exister et de se développer, malgré l’opposition de certaines villes et les combats d’arrière-garde de l’industrie du taxi. La meilleure façon de débloquer cette impasse est de permettre la concurrence, en accompagnant idéalement cette réforme d’un plan d’indemnisation de ceux et celles qui se trouvent aujourd’hui prisonniers d’un système désuet.
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Lire sur Contrepoints notre dossier Uber
- Government of Australian Capital Territory, Chief Minister, Treasury and Economic Development Directorate, « ACT Taxi Industry Innovation Reforms: Fees and Charges », septembre 2015. ↩
- Lors d’une réforme précédente, le Territoire de la capitale australienne a cessé de vendre des licences de taxi pour plutôt louer les nouvelles licences sur une base annuelle. ↩
- Op. cit., note 1. ↩
- Voir Centre for International Economics, Modelling of Policy Scenarios for the ACT On-Demand Transport Sector, août 2015. ↩
- Government of New South Wales, « Taxi and Hire Car Licence Holders FAQs », février 2016. ↩
- Ibid. ↩
- Misa Han, « Uber passengers to pay $1 extra for trips to compensate taxi licence holders », Financial Review, 17 décembre 2015. ↩
- Elise Stolte et Gordon Kent, « Uber: The ins and outs of what Edmonton City Council passed for it and the taxi industry », Edmonton Journal, 28 janvier 2016. ↩
- Bureau de la concurrence, Modernisation de la réglementation régissant l’industrie canadienne du taxi, Section 3, 26 novembre 2015. ↩
Quelqu’un sait pourquoi, historiquement, les activités de taxi ont été autant réglementées partout dans le monde ? Pourquoi ce lobby en particulier a t-il réussi à obtenir de tels avantages et monopoles ? Ca paraît assez incompréhensible, sachant qu’il ne s’agit que de transporter des gens en bagnole. On ne parle même pas d’un domaine « vital »…
Même question, j’ai du mal à comprendre les raisons d’un tel monopole.
@ Bruno
« En 1637, le premier service de voitures à disposition des clients apparaît. Il faut attendre 20 ans pour voir la première réglementation de la profession. En 1657, le roi Louis XIV délivre 600 autorisations de voitures de louage dans la capitale par ordonnance royale. Il attribue ainsi un numéro à chaque voiture de louage et instaure un règlement : la voiture doit être gardée en bon état, les cochers ne doivent jamais avoir été condamnés par la justice et ne peuvent attribuer leur voiture à un tiers ni refuser de prendre un client souhaitant aller dans un rayon de 5 lieues de la capitale.
En 1666, les premiers tarifs sont fixés, uniquement en fonction de la durée des trajets. La province se voit accorder par Louis XIV plusieurs autorisations de voitures de louage cette année-là
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C’est le même principe qui a prévalu dans tous les pays : sécurité, propreté, entretien mécanique, assurance, connaissance géographique et touristique (les GPS n’existaient pas jusqu’à il y a peu), tarif fixes, service minimum. En instaurant un tarif unique et donc en distordant le marché l’autorité doit logiquement en échange assurer que chaque taxi pourra gagner sa vie et donc elle se doit de limiter le nombre d’intervenants. Il ne serait pas illogique, tout comme le fait Uber d’adapter le prix en fonction de l’heure et de la demande.
Il se trouve qu’avec Internet toutes ces exigences sont remplies et même mieux qu’auparavant grâce au feedback des clients.
oh que si, le transport est vital. Comme le courrier, le téléphone etc. Contrôler les transports, c’est un outil de pouvoir essentiel. La police, qu’elle soit politique ou criminelle, a toujours accorder l’importance quelle mérite au transport de personne.
Le jour où la police sera capable d’obtenir d’Uber et des autres les mêmes informations qu’elle peut obtenir des taxis, et que des amis du pouvoirs auront leur part du gâteau (comme le patron de G7 …) ça ira déjà beaucoup mieux …