Salaire minimum des livreurs à New York : une fausse bonne idée

Les livreurs de New York voient leur salaire tripler, mais est-ce une véritable avancée sociale ou une bombe à retardement économique ?

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Image de Brett Jordan sur Unsplash.

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Salaire minimum des livreurs à New York : une fausse bonne idée

Publié le 12 octobre 2023
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Par la magie d’un coup de plume dont ils ont le secret, les législateurs new yorkais ont simplement triplé le salaire des 65 000 livreurs de la ville.

Les populaires plateformes Uber Eats, Doordash et Grubhub seront maintenant forcées de les payer 17,96 dollars de l’heure (puis 19,96 dollars en avril 2025), alors qu’ils ne gagnaient en moyenne que 7,09 dollars de l’heure.

En effet, le jeudi 28 septembre 2023, le juge par intérim de la Cour suprême de l’État[1], Nicholas Moyne, s’est prononcé contre les entreprises après qu’elles aient poursuivi la ville en justice en juillet, alors que la règle devait entrer en vigueur.

Pourtant, les livreurs ne sont pas salariés des plateformes. Ils ne sont donc pas soumis aux lois sur le salaire minimum.

Ces dernières l’établissent à 7,25 dollars de l’heure au niveau fédéral, et à 14,20 dollars de l’heure pour l’État de New York. Cependant, pour les salariés qui effectuent des petits boulots rémunérés essentiellement grâce aux pourboires, le salaire minimum est de respectivement 2,13 dollars de l’heure et 9,45 dollars.

Or, si l’on tient compte des pourboires, les livreurs d’Uber Eats, Doordash et Grubhub gagnent un peu plus de 14,18 dollars de l’heure selon une étude de la ville de New York (qui minore très certainement le chiffre réel[2]).

Ainsi donc, même si les livreurs étaient salariés, leur rémunération dépasserait très probablement le salaire minimum en vigueur au 1er juillet 2023, aussi bien au regard de la loi fédérale que de celle de l’État de New York : de toute façon, ils seraient très certainement classés comme employés payés au pourboire.

Bien évidemment, personne n’a jamais pu vivre avec 7,09 dollars de l’heure – ni même à 14,18 dollars de l’heure à New York, mais ces revenus constituaient un apport supplémentaire pour des étudiants ou des immigrants récemment arrivés (logés à l’hôtel, gratuitement par la ville, et recevant un petit revenu).

Comme d’habitude, lorsque nous étudions la composition des revenus de ces personnes à très bas salaires, nous découvrons la raison pour laquelle ils acceptent des revenus horaires aussi bas : il ne s’agit pas de revenus principaux, et ils vivent chez leurs parents ou, ici, souvent, des largesses d’une Amérique qui a complètement perdu le contrôle de sa frontière sud.

Il n’y avait donc pas vraiment matière à s’émouvoir du soi-disant triste sort de ces pauvres gens exploités par « des entreprises multimilliardaires [qui] profitent des travailleurs immigrés tout en leur payant quelques centimes à New York et s’en [tirent] sans problème », selon les mots de Ligia Guallpa, directrice du Workers Justice Project, basé à New York.

 

Fausse générosité

Les législateurs new yorkais ont été généreux avec l’argent des autres, une caractéristique obligée des actions publiques des « philanthropes » de gauche.

Le maire Éric Adams a déclaré dans un communiqué :

« Nos livreurs ont toujours pourvu pour nous – maintenant, nous pourvoyons pour eux. Ce nouveau taux de salaire minimum, en hausse de près de 13,00 dollars de l’heure, garantira à ces travailleurs et à leurs familles de gagner leur vie, d’accéder à une plus grande stabilité économique et de contribuer à la prospérité de la légendaire industrie de la restauration de notre ville. »

Qu’il est somme toute facile de donner une augmentation de salaire de 200 % à 65 000 personnes quand on n’a jamais créé un seul emploi de sa vie !

 

Effets du salaire minimum

Comme nous l’avons vu dans ces pages à plusieurs reprises (ici et en particulier), les effets empiriques du salaire minimum sont délétères.

À Seattle, l’augmentation brutale – mais bien moindre qu’ici à New York – du salaire minimum de 11,00 à 13,00 dollars de l’heure avait réduit les heures travaillées dans les emplois peu rémunérés d’environ 9%. En conséquence, la masse salariale de tous les emplois à bas salaire avait diminué : si certains pauvres avaient donc effectivement connu une augmentation de leur salaire, la masse des pauvres avaient vu leurs revenus baisser, en moyenne.

L’augmentation de 20 % à Seattle en 2015 était complètement folle, mais elle n’était rien en comparaison à cette soudaine augmentation de 200 % à New York !

Aux États-Unis, environ 25 % des travailleurs qui gagnent le salaire minimum sont des adolescents, qui ne représentent partout qu’une faible fraction de la main-d’œuvre. Plus de la moitié des travailleurs gagnant le salaire minimum ont moins de 25 ans.

Le salaire minimum n’est donc pas seulement cruel envers les pauvres : il est en plus un frein à la première expérience professionnelle des jeunes.

Seul un « journaliste » français peut penser que ce nouveau salaire minimum new yorkais est « une avancée sociale majeure qui se profile pour les livreurs de repas précaires » comme nous l’apprend Les Échos, qui navigue manifestement dans cette brume mentale caractéristique du gauchisme.

 

Une double attaque

Car au contraire d’une « avancée sociale majeure », cette hausse abrupte va conduire à plus de misère sociale.

Comme l’explique un porte-parole de Grubhub, la plateforme sera « désormais obligé[e] d’apporter des modifications […] qui auront des conséquences néfastes pour les partenaires de livraison, les consommateurs et les entreprises indépendantes »

Si la plateforme « rest[e] confiant[e] dans [sa] position juridique », elle « croi[t] fermement que la règle de la Ville, bien que bien intentionnée, est le résultat d’un processus d’élaboration de règles défectueux qui n’a pas été appliqué de manière cohérente au secteur de la livraison de nourriture. »

Cet euphémisme verbeux cache le fait qu’au moment même où les hommes de l’État imposent une augmentation de salaire à Doordash, Uber Eats et Grubhub, ils plafonnent dans le même temps les commissions qu’ils peuvent recevoir des restaurateurs !

En effet, non contents d’augmenter les coûts des plateformes de livraisons, les hommes de l’État new yorkais ont décidé de plafonner leurs ventes. Elles sont ainsi attaquées des deux côtés du compte de résultats !

Les restaurateurs avaient demandé à la ville que les commissions de Uber Eats, Doordash et Grubhub soient limitées à 15 % du prix de la nourriture.

Ce chiffre est absurde, car l’informatique développée par ces plateformes pour mettre en ligne les moteurs de recherches, les menus, les commentaires et autres fonctions de paiement est particulièrement élevée.

 

Droit fédéral

La bonne nouvelle – si l’on peut dire – est que cette seconde attaque est probablement une violation du droit fédéral de contracter librement.

La ville de New York s’immisce en effet au milieu d’un contrat entre deux entreprises pour en fixer le prix.

Au lieu d’avoir affaire à une cour politisée de l’État de New York, DoorDash, Grubhub et Uber Eats peuvent poursuivre la ville de New York en justice auprès d’un tribunal fédéral.

Lors de la première audience, le 19 septembre, le juge Gregory Woods a déclaré que les plaignants alléguaient à juste titre que la loi violait la Constitution américaine et celle de l’État de New York en les privant de leur droit de conclure des contrats avec des restaurants, et en les forçant à opérer dans la ville à perte. Le juge a donc autorisé la poursuite du procès.

Il a également déclaré que les sociétés ont allégué de manière plausible que l’objectif « pas si voilé » de la ville en plafonnant les commissions à 15 % pour les commandes de nourriture, et à 5 % pour la publicité et d’autres services était « un protectionnisme économique pour les magasins familiaux locaux et un antagonisme envers les consommateurs et les riches plateformes situées hors de l’État » de New York.

 

Arrière-pensées mafieuses

En effet, les restaurateurs new yorkais sont apparemment derrière cette volonté de la ville de limiter les commissions, les coûts publicitaires et les prix des livraisons : les plateformes demandaient typiquement jusqu’à 30 % du prix des plats facturés par les restaurants avant que la ville profite de la pandémie pour règlementer cette question.

Ce qui est remarquable dans cette sombre affaire est que – comme l’ont fait remarquer les plaignants –, cette limite sur les commissions « nécessiterait des frais de livraisons plus élevés, résultant en une augmentation des prix pour les consommateurs, et de plus faibles revenus pour les restaurants ».

De plus, nous pourrions ajouter que si cette limite était appliquée, les plateformes n’auraient pas d’autre solution que de diviser leurs coûts par deux, c’est-à-dire de réduire drastiquement la qualité et les fonctions de leurs sites web.

Enfin, ceci réduirait la possibilité qu’ont les consommateurs de comparer les restaurants via l’internet avant même de goûter à leurs produits. Les plus mauvais restaurateurs ont clairement intérêt à réduire la concurrence, mais ceci au détriment des meilleurs d’entre eux.

Bien évidemment, jamais un restaurant n’a été obligé de souscrire aux services de tel ou tel site web et la solution à l’hypothétique problème d’un éventuel surcoût de ces services est de laisser la concurrence jouer entre eux.

 

Conclusion

L’analyse économique nous montre que cette ordonnance municipale est en fait contraire aux intérêts des différents acteurs. Au final, après avoir demandé l’aide de l’État, ils finiront par pâtir de leurs manigances.

Entre les syndicats de livreurs demandant des salaires minima délirants, des restaurateurs voulant limiter les prix d’un service marketing qui accroît pourtant leur chiffre d’affaires, et ceux qui réclament des actions qui favoriseraient les moins bons, New York semble surtout victime d’un incroyable déficit de raisonnements microéconomiques corrects.

Pour Frédéric Bastiat, « l’État [était] la grande fiction à travers laquelle Tout Le Monde s’efforce de vivre aux dépens de Tout Le Monde » mais, à New York, l’État est cette brutale réalité à travers laquelle chaque corps de métier essaie comiquement de trouver le plus sûr moyen de se causer tort.


[1] Bizarrement, la « Cour suprême » de l’État de New York est en fait un ensemble de tribunaux de première instance et n’a donc rien de « suprême ». Dans l’État de New York, les Supreme Courts sont le premier échelon juridictionnel au niveau des cantons ; viennent ensuite les Appellate Divisions (au nombre de 4, situées dans la ville de New York pour l’une, et dans trois zones plus rurales pour les autres) ; puis les Court of Appeals, qui sont une cour unique (malgré le pluriel) de dernier ressort. Les  Cours suprêmes de l’État de New York situées dans la ville de New York sont très politisées et coutumières de rendre une justice loufoque qui plairait assez aux radicaux français du Syndicat de la magistrature.

[2] Les chiffres de l’étude se fondent sur les données comptables des plateformes (page 7). La partie payée par ces dernières leur est bien connue au centime près. Mais la « partie pourboire » n’est jamais que ce qui est rapporté par les livreurs via les plateformes.

Or, s’il est presque impossible de frauder sur les salaires aux États-Unis, il est en revanche fort connu que les pourboires sont d’autant plus minorés qu’ils sont payés en liquide. Le fisc fédéral (Internal Revenue Service) audite d’ailleurs fréquemment les serveurs qui déclarent moins de 12 %. Ils font partie des rares contribuables à bas salaires qui sont dans le collimateur du fisc, généralement plus intéressé par les gros fraudeurs…

Sans entrer dans les détails de l’étude économique des pourboires (ici et ), il convient de rappeler que les livreurs reçoivent pratiquement tous leurs pourboires en liquide – le client donne quelques dollars lorsqu’ils arrivent à sa porte – et nous pouvons donc être quasiment certains que les chiffres des services de la ville de New York concernant les pourboires sont tout simplement faux, les pourboires étant minorés. Les études économiques sur le sujet (ici et ) suggèrent que l’évasion pourrait représenter plus de 60 % des pourboires (ici).

Curieusement, les deux chiffres de 7,09 dollars sont exactement égaux et s’élèveraient à ces 14,08 dollars de rémunération totale. Aucune explication n’est avancée dans l’étude de la ville de New York à propos de cette curieuse égalité au centime près : pourquoi les livreurs recevraient-ils le même montant de rémunération horaire de la part de leur employeur, et de la part des clients ?

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  • si demain matin on multiplie le prix du lait par deux les agriculteurs laitiers au bord de la faillite seraient tirés d’affaire…

    ou pas;..
    si demain on rend les logements gratuits alors la crise du logement est terminée..ou pas…

    etc etc;..

    Fausse générosité fausse générosité…à l’egalitées des chances face au marché, on préfère créer des rentes de situation.. des privilégiées et les autres…

  • Court of AppealS
    La Court des Appels.
    Le pluriel s’applique à Appeal et pas à Court.

  • C’est bien beau tout cela, mais face à l’agressivité du système, vous faites quoi pour éviter l’exploitation d’une partie de la population ? Visiblement, tout le monde n’est pas apte ou suffisamment éclairée pour se défendre face à des prédateurs économiques. Car si vous remarquez bien les tendances générales, c’est assez visible que les lois du marché sont toujours orientées vers les plus riches. Par exemple, on préfère apporter de la main d’œuvre étrangère peu exigeante plutôt que de payer les métiers du bâtiment correctement. Ah, oui, ça changerait le prix des construction et les promoteurs se feraient moins de bénéfices ? Bin, la loi du marché parlerait. Mais les prédateurs ont bien compris leurs intérêts et les libéraux d’un jour sont souvent très partisans et pas forcément capables de laisser réellement faire le marché.

    -3
    • Le libéralisme n’est pas agressif, c’est l’état et la politique qui est agressif et utilise la contrainte. Dans un marché libre les deux contractants sont libres. Bien entendu ce n’est pas parfait, mais cela respecte les liberté individuelles. Le marché libre c’est la paix, le marché étatique c’est la guerre.
      Votre exemple de la construction est emblématique du surcoût qu’entraine l’intervention de l’état, foncier rare, normes idiotes, Laissons le bâtiment libre et des solutions low cost apparaitront.
      Dites vous bien que dans une population où coexiste des loups et des agneaux, ce ne seront pas les agneaux (les sans-dents) qui seront au pouvoir mais les loups et ils pourront contraindre la population dans le sens de leur intérêt.

    • On préfère surtout payer les personnes en situation régulière au chômage plutôt que de laisser aux entrepreneurs les moyens de payer plus ceux qui travaillent pour eux. Il est très facile de se défendre face à un prédateur économique : aller offrir ses services à celui qui sera ravi de les payer à leur juste prix… mais ça ne marche pas pour les tire-au-flanc.

      • C’est marrant, quand je dis qu’il faut laisser faire le marché pour les métiers en tension, j’ai des notes négatives. Il va falloir m’expliquer ce que les lecteurs entendent par « liberalisme » ici…
        Et ça illustre bien mes propos, un grand nombre de libéraux sont surtout des enfants gâtés qui ne supportent pas la.frustration, ils veulent bien la loi du marché mais que quand elle les arrange…

        -1
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