Les centres de progrès (32) : Budj Bim (aquaculture)

Budj Bim représente l’ancienne quête de l’humanité pour éviter la faim en gérant délibérément l’environnement.

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Les centres de progrès (32) : Budj Bim (aquaculture)

Publié le 26 février 2023
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Un article de Human Progress

Le trente-deuxième Centre du progrès est le site historique de Budj Bim, dans le sud-est de l’Australie. Budj Bim, qui signifie « tête haute », est un volcan endormi dont la lave séchée a été façonnée en une série de canaux, de déversoirs, de murs et de barrages artificiels qui pourraient représenter le plus ancien système d’aquaculture de l’humanité.

L’aquaculture désigne l’ensemble des activités de culture de plantes et d’élevage d’animaux en milieu aquatique. L’élevage de poissons et d’anguilles constitue une avancée en matière de sécurité alimentaire. Après tout, les animaux sont plus difficiles à gérer que des plantes mais ils constituent également une meilleure source de protéines. L’aquaculture a façonné les premières sociétés humaines dans certaines régions du monde, tout comme l’agriculture dans d’autres, en encourageant l’installation permanente et en définissant les rythmes de la vie quotidienne. Le vaste complexe aquacole de Budj Bim illustre la manière innovante dont les hommes ont organisé leur environnement pour lutter contre la faim au cours de l’histoire.

Quelques autres animaux cultivent leur nourriture dans un environnement aquatique. Le poisson-demoiselle, par exemple, désherbe ses jardins d’algues rudimentaires et défend agressivement sa récolte contre d’autres créatures beaucoup plus grandes. Cependant, aucun autre être vivant que l’homme ne s’est approché de la véritable aquaculture.

Les ruines de Budj Bim sont plus anciennes que les pyramides égyptiennes et que le Stonehenge anglais. Certaines parties du système de maçonnerie ont été construites avant 4500 avant J.-C., ce qui précède les premiers exemples d’ingénierie hydraulique dans de nombreuses civilisations de l’hémisphère nord. La datation au carbone 14 suggère que l’Homme a pu créer de nombreux étangs artificiels dès 6000 ans avant J.-C. La construction de certains des sols du vaste site a peut-être même commencé entre 6000 et 7000 ans avant J.-C.

Aujourd’hui, cette vaste zone humide modifiée, qui s’étend sur près de 100km², est paisible et isolée : une scène tranquille d’eau, de roche volcanique et de vie sauvage. Les pique-niqueurs apprécient la vue des cygnes noirs qui glissent le long des nombreux ruisseaux alimentés par des sources et des koalas qui observent d’en haut les grands gommiers manna tordus et les bois noirs anguleux. De nombreuses zones immergées lorsque le système d’aquaculture était actif sont maintenant asséchées. Mais les preuves de l’importance ancienne de l’endroit sont visibles dans les vestiges en pierre éparpillés de pièges à anguilles préhistoriques, de canaux artificiels et de sites d’habitation répartis dans la région de Budj Bim. Une récente série d’incendies a révélé des étendues inconnues du complexe qui avaient été envahies par la végétation.

Les autochtones sont les Gunditjmara, un groupe clanique aborigène australien. En 2019, l’UNESCO a désigné le paysage culturel de Budj Bim comme un site du patrimoine mondial, notant que « l’aquaculture a agi comme la base économique et sociale de la société Gunditjmara pendant [au moins] six millénaires. » Bien entendu, il est possible que d’autres clans aient également contribué à la création et à l’entretien du complexe de pierres de Budj Bim au cours de sa longue histoire.

Le site est probablement né d’une série d’éruptions volcaniques qui ont débuté il y a environ 30 000 ans et ayant engendré un déversement de lave qui a durci en roche basaltique et qui a ensuite fourni le matériau de construction brut du système d’aquaculture. Le volcan Budj Bim, également connu sous le nom de Mont Eccles, est entré en éruption au moins dix fois, l’éruption la plus récente ayant eu lieu il y a environ 7000 ans, soit environ 5000 ans avant J.-C. Des outils en pierre trouvés sous la plus ancienne couche de cendres volcaniques prouvent que les humains ont habité la région bien avant l’éruption du volcan. Les histoires orales des Gunditjmara semblent décrire l’éruption du volcan comme faisant partie d’un mythe de la création, ce que certains chercheurs considèrent comme une preuve que les Gunditjmara pourraient avoir « certaines des plus anciennes traditions orales existantes ». Les Gunditjmara sont fiers de leur tradition de narration. Selon leur mythologie, le volcan endormi est un dieu créateur ou un être ancestral qui a donné naissance à la société Gunditjmara. Les Gunditjmara appellent la zone de coulée de lave remplie de roches tungatt mirring ou « pays de pierre ».

 

Budj Bim et la quête de l’Homme

Il est certainement vrai que la lave durcie du volcan constituait une ressource naturelle avantageuse. Mais en fin de compte, c’est l’ingéniosité de l’Homme qui a transformé les reliefs de lave et les cours d’eau d’un marécage rocheux en une source constante de nourriture abondante. Les élevages d’anguilles constituaient la base du régime alimentaire des Gunditjmara et un produit à échanger avec d’autres clans. En d’autres termes, l’aquaculture était le moteur de leur économie et de leur culture. Cette pratique était également liée à la religion des Gunditjmara, qui considéraient l’anguille comme un animal sacré. Les habitants pratiquaient également l’élevage du poisson galaxia et mangeaient des moules d’eau douce et d’autres créatures aquatiques. Ils complétaient leur régime de fruits de mer avec la viande d’animaux terrestres qu’ils chassaient, comme les canards, ainsi que les dindons des plaines, les goannas et les kangourous. Ils géraient leurs terrains de chasse grâce à un système de feux intentionnels de faible intensité qui brûlaient les broussailles sèches dangereuses et contribuaient à créer des habitats idéaux pour la chasse au gibier. Ils cultivaient et mangeaient également divers légumes comme le murnong, également appelé marguerite de l’igname.

Comme pour l’agriculture, les tâches nécessaires au maintien d’une société fondée sur l’aquaculture sont souvent dictées par le changement des saisons. Si l’on peut trouver quelques anguilles dans la région tout au long de l’année, à certaines périodes elles se comptent par millions. L’espèce indigène d’anguille, Anguilla australis, peut atteindre plus de un mètre de long et peser plus de trois kg. Le poisson galaxia local, une espèce mince au motif tacheté, mesurant généralement environ 10 cm de long, est également migrateur et, à la bonne saison, on peut en capturer des dizaines de milliers. Au printemps, les anguilles voyagent le long des rivières depuis la mer jusqu’à leurs zones d’alimentation marécageuses à l’intérieur des terres. Pendant la saison humide qui suit, les marais regorgent d’anguilles. Puis, en automne, elles retournent à la mer pour se reproduire.

Les populations locales ont compris que ces schémas migratoires prévisibles constituaient une opportunité qu’elles pouvaient exploiter pour s’assurer un approvisionnement stable en nourriture. « Cela nous montre qu’ils avaient un niveau élevé de compétences techniques, de compréhension de la physique et de l’environnement naturel », selon l’archéologue Ben Marwick de l’université de Washington. S’appuyant sur leurs observations des changements de niveaux d’eau et des routes de migration des anguilles, les Gunditjmara ont manipulé les inondations saisonnières à l’aide de canaux et de déversoirs artificiels, détournant le flux d’eau pour piéger les anguilles et les poissons. Ils veillaient également à ne pas faire de récolte excessive au risque d’épuiser les populations d’anguilles ou de poissons.

Si vous pouviez remonter le temps jusqu’à l’époque où le système d’aquaculture était en service, vous pourriez observer des ouvriers ajustant soigneusement la maçonnerie, remplaçant peut-être le basalte dans une zone où les pierres plus anciennes s’étaient effondrées ou ajoutant une nouvelle section. Les chercheurs pensent que les ingénieurs antiques « modifiaient continuellement le système ». Les pierres formaient un réseau complexe de canaux artificiels – dont certains mesuraient plus de 30 mètres de long – qui détournaient l’eau pour guider les anguilles et les poissons en migration. Certaines de ces créatures aquatiques étaient piégées dans des filets tissés à la main pour une récolte immédiate, tandis que d’autres étaient guidées dans des bassins ou des enclos pour être pêchées plus tard. Il y avait en tout au moins 70 systèmes d’aquaculture fonctionnels. Dans ces étangs artificiels, les anguilles encerclées grossissaient, se nourrissant d’insectes locaux, d’escargots d’eau, de grenouilles et de petits poissons, jusqu’à ce que le moment soit venu de les manger. Des paniers tissés placés dans des déversoirs construits à partir de roches volcaniques et de structures en treillis de bois les capturaient alors.

En vous éloignant du système de pièges élaboré pour visiter la communauté sédentaire voisine de peut-être 600 personnes – bien que cette estimation de la population soit susceptible d’être révisée à la hausse – construite au bord des voies d’eau, vous auriez vu de nombreuses huttes en pierre avec des foyers. Vous auriez également vu des femmes tresser des paniers à destination des barrages utilisés pour retirer les anguilles adultes, des hommes revenir des pièges à anguilles en transportant une nouvelle récolte dans ces paniers, et des personnes préparer les anguilles pour la consommation, d’abord en les nettoyant et en les vidant. Et vous les auriez vus fumer la viande riche et huileuse de l’anguille avec des feuilles brûlées de bois noir. Les chercheurs ont trouvé des lipides d’anguille dans la terre sous les arbres brûlés et évidés, ce qui suggère qu’ils étaient utilisés comme foyers de cuisson familiaux et fumoirs pour préparer les anguilles en vue de leur commerce avec d’autres tribus.

Le fumage est souvent considéré comme la première méthode de conservation de la viande utilisée par l’humanité. Il permettait de la stocker pour la saison morte, de la transporter et de l’utiliser comme marchandise. En asséchant la chair, le fumage la rend moins hospitalière pour les bactéries qui ont besoin d’humidité pour se développer, et les produits chimiques libérés par la fumée ont des propriétés antibactériennes qui la préservent davantage. Le fumage permet également de cuire la chair de l’anguille, qui est toxique consommée crue. Le sang d’anguille contient une toxine potentiellement mortelle qui provoque des crampes musculaires et peut empêcher les battements cardiaques. La cuisson permet de décomposer cette toxine. Les Gunditjmara servaient les anguilles de différentes manières. Les os et la peau pouvaient être utilisés pour cuisiner un bouillon de cuisson savoureux, et la viande pouvait être agrémentée de plantes locales comme le varech et le salicorne.

Pendant des millénaires, le système d’aquaculture a fourni un approvisionnement alimentaire fiable. Il était toujours utilisé lorsque les Britanniques sont arrivés dans la région au XIXe siècle et ont fourni les premiers comptes rendus écrits sur les installations élaborées en pierre. En 1841, le fonctionnaire colonial et prédicateur britannique George Augustus Robinson, arrivé lors d’une expédition d’exploration, a décrit le système d’aquaculture comme « ressemblant au travail de l’homme civilisé ». Mais il nota également, témoignant des préjugés de l’époque que :

« Après inspection, j’ai découvert qu’il s’agissait de l’œuvre des indigènes autochtones, construite dans le but d’attraper des anguilles.[…] Il n’est guère possible qu’un seul poisson s’échappe. De multiples cours d’eau conduisaient à d’autres tranchées ramifiées et étendues d’une forme des plus torturantes. »

Aujourd’hui, le peuple Gunditjmara cogère avec le gouvernement australien le parc national de Budj Bim qui englobe les ruines du système d’aquaculture tentaculaire de Budj Bim. Certains des descendants des anciens ingénieurs et pêcheurs qui ont conçu le complexe aquacole continuent de capturer des anguilles et de les cuisiner selon les méthodes traditionnelles. Plusieurs localités australiennes organisent même des festivals de l’anguille pour célébrer les recettes de l’anguille, anciennes et modernes.

Toute société a besoin d’un approvisionnement régulier en nourriture pour fonctionner. Budj Bim illustre l’ancienneté de la quête de l’humanité pour éviter la faim en gérant délibérément l’environnement. Pendant des millénaires, les Gunditjmara ont transformé et enrichi leurs écosystèmes locaux par des feux de défrichement, des infrastructures en pierre et des étangs artificiels. Leur système élaboré de manipulation de l’eau pour piéger, stocker et récolter systématiquement les fruits de mer représente l’un des plus anciens systèmes d’aquaculture au monde. Pour ces raisons, Budj Bim est à juste titre notre trente-deuxième Centre du progrès.

 

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