Par Francis Richard
Le 28 janvier, Alain Finkielkraut était reçu à l’Académie française par Pierre Nora. À cette occasion il a prononcé un , comme c’est l’usage, où il a fait l’éloge de
“J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, et que son “après” n’avait rien d’attrayant.”
“Depuis la conférence de Durban, organisée par les Nations unies en septembre 2001, l’antisémitisme parle la langue immaculée de l’antiracisme. Et, dès lors que les Juifs ne sont plus en butte au fascisme ou à la réaction, mais doivent répondre du comportement d’Israël, ils minimisent leurs tourments ou les abandonnent carrément à leur sort en tant que complices d’une politique criminelle.”
Ces trois passages abordent en effet des thèmes que l’on retouve dans La seule exactitude, livre, qui, paru l’automne dernier, reprend les interventions d’Alain Finkielkraut, hebdomadaires sur les antennes de RCJ (Radio de la communauté juive) et mensuelles dans les colonnes du magazine Causeur, pendant les années 2013 et 2014 et la première moitié de l’année 2015.
La France aussi est mortelle
Alain Finkielkraut évoque un livre d’Éric Dupin, Voyages en France (2011). L’ancien journaliste à Libération s’est rendu à Tourcoing et a rencontré Claude Levasseur, un retraité actif qui s’occupe d’Emmaüs. Celui-ci est allé plusieurs fois au Maroc et a ressenti une chaleur au contact de ses habitants, qui y sont chez eux. À Tourcoing il n’en va pas de même :
“Claude Levasseur n’a pas peur de l’Autre, mais il accepte mal de devenir l’autre à Tourcoing. Il souffre de ne plus se sentir chez lui chez lui. Il n’est pas hostile aux étrangers, il se retrouve avec stupeur “en étrange pays dans son pays lui-même””.
“Cette situation et ce sentiment sont inédits” : mais les médias ne sont pas à l’heure, ils sont en retard, ils sont dans l’inexactitude. Ils plaquent le passé sur le présent. Ils pensent que la France fait une rechute de nationalisme, de xénophobie, de protectionnisme…
Pour eux, il ne faut pas faire de distinction entre les résidents. Pourtant, remarque Finkielkraut, “si les nations ne distinguaient pas leurs citoyens et ne leur réservaient pas certaines prérogatives, ce ne seraient plus des nations, ce seraient des galeries marchandes, des salles des pas perdus ou des aéroports”.
Certes ce n’est pas une raison pour refuser tout droit aux étrangers, ni d’ailleurs non plus pour succomber à la détestation nationale : “Nous voici enfermés dans une alternative inacceptable : ou bien la xénophobie ou bien, en guise d’appartenance et d’hospitalité, le rejet dédaigneux de notre héritage.”
Le rejet dédaigneux de l’héritage
Notre héritage ? Parlons-en :
“Le vocabulaire des étudiants s’appauvrit, leur orthographe est erratique, leur syntaxe s’effondre. Roland Barthes rappelait, en 1979, cette confidence de Flaubert à George Sand : “J’écris non pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour les lecteurs qui pourront se présenter tant que la langue vivra.” La langue au sens non technique du terme. Il incombe à l’Université française de retarder sa mort.”
Notre héritage ? Il n’est plus question de parler des morts, des livres qu’ils ont écrits. Pourtant le philosophe Alain, dans Propos, ne disait-il pas :
“Tout homme imite un homme plus grand que nature, que ce soit son père, ou son maître, ou César, ou Socrate ; et de là vient que l’homme se tire un peu au-dessus de lui-même.”
Tout cela est révolu :
“Chacun désormais est censé penser par lui-même, s’exprimer et se faire, dès son plus jeune âge, une opinion. L’heure est venue des petits cogito à tablette et des créateurs en barboteuse.”
Le rejet de l’héritage est aussi le rejet de sa finitude :
“Voici le temps où chacun est à même de devenir ce qu’il veut : l’homme, une femme ; une femme, un homme, et pourquoi pas les deux ? Ce n’est pas une victoire de la différence. C’est une victoire sur la différence.”
En conformité avec le credo de l’interchangeabilité.
La mémoire moutonnière
Les médias ne sont pas à l’heure. Ils vivent dans le passé, plus précisément dans les années trente du siècle précédent :
“L’analogie entre les années trente et notre époque, tout entière dressée pour ne pas voir le choc culturel dont l’Europe est aujourd’hui le théâtre, occulte sans vergogne le travail critique que mènent, avec un courage et une ténacité admirables certains intellectuels musulmans.”
Il cite Abdennour Bidar, Mohamed Kacimi…
L’analogie entre les années trente et notre époque ? Les nouveaux Juifs, ce sont les immigrés. Le fléau des années trente ? L’antisémitisme. Celui de notre époque ? L’islamophobie. Les Juifs qui portent encore ce nom ? Ce sont des usurpateurs :
“Ils ne sont plus juifs : en se mobilisant en faveur d’Israël, ils ont sacrifié l’éthique à l’ethnique et, sans état d’âme, ils ont abandonné la défense des persécutés pour le soutien aux oppresseurs.”
Et Dieudonné, qui dit n’être pas antisémite, voit pourtant Israël partout. Israël vu par Dieudonné ?
“Ce n’est pas un pays, c’est une pieuvre, un être insaisissable et omniprésent, qui étend ses tentacules sur toute la surface du globe. Quand l’antisionisme s’affranchit de la géographie, il renoue avec l’antisémitisme.”
L’islamophobie ? Bien sûr il ne faut pas faire d’amalgame. Finkielkraut en convient :
“Je partage cette inquiétude, je me garde de confondre l’islam et l’islamisme, mais je constate que, pour empêcher le glissement de l’un vers l’autre, la politique des pays européens tend de plus en plus, et au prix de l’autocensure, à ménager la susceptibilité des musulmans et à satisfaire leurs demandes.”
Ce onzième commandement, “Tu ne feras pas d’amalgame”, est sélectif. C’est l’antiracisme qui veut ça. Et c’est au nom de ce commandement que “ceux qui s’interrogent à haute voix sur les problèmes posés à l’Europe par l’islam et l’immigration” sont “traînés dans la boue et poursuivis devant les tribunaux” :
“Appliquée à l’Autre, toute généralisation devient raciste : aucun concept n’a le droit d’englober les individus.
Appliqué au Même, en revanche, l’amalgame devient licite et même bienvenu: tous racistes, tous oppresseurs.”
- Alain Finkielkraut, La seule exactitude, Stock, 306 pages.
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- Dans son discours de réception, Alain Finkielkraut cite en six répliques la morale d’Un oiseau dans le ciel, roman de Félicien Marceau, dont le héros Nicolas de Saint-Damien a quitté sans prévenir l’hôtel familial :
– D’abord comment va-t-il ?
– Il va très bien.
– Il est heureux ?
– Il est libre.
– C’est différent ?
– C’est l’étage au-dessus. ↩
Le pb de Finkielkraut est au contraire très exactement l’inexactitude.
http://www.exergue.com/h/2015-04/tt/finkielkraut-le-point.html
dont j’ai pris la peine de corriger certaines
http://www.exergue.com/h/2015-04/tt/ebook-pensee-finkielkraut.html
Bravo !
Je suis étonné du silence concernant Finkelkraut qui est aux avant postes de la pensée libérale
Son livre est un journal de bord des années écoulées avec des analyses de faits quotidiens
Il met au service de ses adeptes toute la puissance de sa critique pour dénoncer toutes les anomalies patentes de nos sociétés décadentes
Le mec qui dit “taisez-vous” a son interlocuteur, qui a été un des premiers a suivre le troupeau pour interdire Dieudonné de s’exprimer, défenseur …. est libéral ?
Le meme qui dit que la crise est de la faute de personne en particulier et qui doit oublier légèrement un nom : Madoff responsable de l’origine de cette crise mondiale. Et qui après en déduit que les présidents ne sont pas responsables non plus… ah bon ? c’est quoi une crise exactement ? A part un manque de confiance généralisé ? Qui instaure ce manque de confiance généralisé ? Qui fait en sorte que ce manque de confiance dans l’avenir se transforme en confiance, et donc arrete la crise ? A part le dirigeant (et les médias bien sur) ?
Je prend un des articles que je vois “Il faudrait réfléchir de manière globale et se dire que la social-démocratie c’est l’instauration de limites. La régulation s’impose- aux existences elles-mêmes, et l’appât du gain ne peut pas nous fournir un idéal moral, ni même constituer le seul fondement de l’économie…” ou encore “il importe de compenser, par la redistribution, les inégalités”….
Il se définit lui-meme comme “conservateur-libéral-socialiste” mais outre qu’il soit assurément conservateur, mais libéral… euh non merci. Juste un socialiste-conservateur, il n’est pas plus libéral que Valls et c’est dire…
“Madoff responsable de l’origine de cette crise mondiale” Madoff est une ordure, un escroc mais il ne faut pas exagéré non plus. Dire qu’il est responsable de la crise, c’est fortement exagéré même sans lui, il y aurait eu la crise
Félicitations au “Coeur intelligent” et plein d’audace incarné par Alain Finkielkraut ! Voilà une élection heureuse …
Où peut-on se procurer son discours de réception à l’Académie française ?
Sur le site de l’académie française.