Par Éric Verhaeghe.
L’âge de l’open data n’est pas encore arrivé en France. En lisant la prochaine loi très pompeusement (et injustement) affichée « pour une République numérique », ceux qui attendent avec impatience l’ouverture des données publiques ne manqueront pas d’être déçus. Cette loi longue et compliquée ne pose pas les principes d’une République numérique (avec quelques idées simples et faciles à respecter ou à comprendre), mais apparaît plutôt comme un fourre-tout où la ministre Lemaire a tenté de tirer au maximum toutes les marges que lui laissaient les administrations dans le développement du numérique.
L’open data par exception
Le principal inconvénient de la loi est de ne pas modifier la rédaction de l’ahurissant article L 312-1 du mystérieux Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui pose une règle dont on ne se lasse pas :
« Les administrations peuvent rendre publics les documents administratifs qu’elles produisent ou reçoivent. »
Alors que le droit communautaire pose le principe simple d’une libre réutilisation gratuite de toutes les données publiques sauf exception, le droit français pose une règle inverse : l’administration dispose toujours de la faculté de ne pas communiquer ses données. C’est évidemment une conception très décalée de la « République numérique » où les fonctionnaires sont libres de communiquer ou non les données dont ils sont détenteurs. Le droit administratif appelle cette faculté le pouvoir discrétionnaire de l’administration.
Vers un open data élargi ?
On aurait pu imaginer que la loi sur la « République numérique » balaie ces restrictions d’un autre âge et proclame un principe général de transparence, avec des exceptions listées. Le bon sens voulait que le gouvernement mît fin au pouvoir discrétionnaire sur la communication des données publiques. Malheureusement, il n’en est rien, et la France devra continuer à faire avec cette limitation exorbitante au droit communautaire.
La loi se contente en effet de lister les documents qui doivent à l’avenir faire l’objet d’une communication de droit :
1° Les documents qu’elles communiquent en application des procédures prévues par le présent titre, ainsi que leurs mises à jour ;
2° L’ensemble des documents qui figurent dans le répertoire mentionné à l’article 17 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ;
3° Les bases de données qu’elles produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs, ainsi que le contenu de ces bases ;
4° Les données dont l’administration, qui les détient, estime que leur publication présente un intérêt économique, social ou environnemental.
Cette énumération constitue donc un solide frein au principe de l’open data, même si la loi précise que la communication doit se faire selon des standards aisément réutilisables. C’est mieux que rien, mais la France, à l’issue de cette loi, restera loin de l’open data en tant que tel.
L’open data et le fichage public
Dans le même temps où les administrations préservent leur pré carré, la loi instaure un étonnant principe : elle élargit aux administrations le droit d’accès aux documents administratifs. Autrement dit, le droit réservé aujourd’hui au public d’avoir accès à des documents administratifs sera élargi… aux autres administrations.
La communication des données publiques d’une administration à l’autre sera obligatoire. En principe, la communication devra répondre aux prescriptions en matière d’anonymat, mais on voit bien que, sous couvert d’instaurer un open data, c’est à une interopérabilité entre fichiers numériques que le gouvernement ouvre la voie.
Le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur le sujet, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner les risques liés à cette idée en termes de libertés publiques :
le Conseil d’État rappelle que l’obligation ainsi créée de transmission de telles informations entre administrations doit s’exercer dans le respect des prescriptions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés lorsque les données en cause présentent un caractère personnel. En particulier, et alors même que le traitement de ces 4 données a fait l’objet des déclarations ou autorisations requises par cette loi à l’initiative de l’administration d’origine, l’administration bénéficiaire doit, si nécessaire, procéder à de telles formalités afin de rendre effectives, à son niveau, les garanties consacrées par cette loi en matière, notamment, de finalité du traitement et de droit d’accès et de rectification. Par suite, le Conseil d’État a estimé nécessaire d’ajouter une mention renvoyant aux obligations résultant de la loi du 6 janvier 1978 précitée.
L’open data face à la stratégie publique de ralentissement
La loi qui sera prochainement débattue à l’Assemblée Nationale devrait donc amener son lot d’insatisfactions et de retards. On le regrettera. Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, avait évoqué une police 3.0 à l’horizon de 2020. Il est acquis qu’à l’horizon de 2016, la France ne sera toujours pas dotée d’une administration 2.0 digne de ce nom.
Et pendant ce temps, le pays prend du retard dans l’économie de la donnée.
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