Hommage à Douglass North (1920-2015)

Douglas North, économiste néoclassique à la réputation internationale, s’est éteint.

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Hommage à Douglass North (1920-2015)

Publié le 28 novembre 2015
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Par Hicham El Moussaoui.

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L’économiste américain Douglass Cecil North s’est éteint le 23 novembre 2015, à l’âge de 95 ans. Cette sommité scientifique fut le récipiendaire du Prix Nobel d’économie en 1993 en compagnie de Robert William Fogel, grâce à leurs recherches appliquant les méthodes quantitatives de l’école néoclassique au domaine de l’histoire économique afin d’expliquer les changements économiques et institutionnels.

D’ailleurs, il fut le premier historien économiste à gagner le plus prestigieux prix de la profession : le John R. Commons Award. D. North a contribué à l’émergence de la « nouvelle histoire économique dans les années 1960 et 1970 (également appelée cliométrie en référence à Clio, la muse de l’Histoire), et qui a aidé à réviser beaucoup d’idées reçues dans ce domaine. L’histoire économique, une fois modernisée par l’utilisation systématique de la théorie économique et des méthodes économétriques, est devenue une branche de la science économique.

D. North a  eu une longue carrière d’enseignant. Il a été professeur d’économie à l’université de Washington à Seattle de 1950 à 1983. Il rejoignit l’université de Saint Louis en 1983 et il fut directeur du Centre de Politique économique de 1984 à 1990. En 1991, il a rejoint l’université de Cambridge.

À côté de sa modernisation de l’histoire économique, le Professeur North a eu le grand mérite de faire ressortir l’importance des institutions pour la croissance et le développement. Il a mis en évidence que l’économie traditionnelle ne reconnaissait pas pleinement que les marchés étaient intégrés dans les institutions, qui évoluent lentement et qui ne peuvent être comprises sans l’étude des cadres culturels dans lesquels ils sont insérés. Ainsi, quand il a examiné pourquoi le coût du transport maritime avait fortement baissé de 1750 à 1910, par exemple, il a constaté que la raison n’était pas parce qu’il était devenu moins coûteux d’exploiter des navires, mais plutôt en raison de l’augmentation des échanges, la diminution de la piraterie et l’amélioration des infrastructures portuaires. Une nouvelle ligne d’étude a été ouverte et a été baptisée « la nouvelle économie institutionnelle ». C’est ainsi qu’en compagnie de Ronald Coase et d’Oliver Williamson il fonda la Société Internationale pour la nouvelle économie institutionnelle qui tint sa première réunion à St. Louis en 1997. Ses recherches vont s’articuler autour de la propriété privée, les coûts de transactions, de l’organisation économique dans l’histoire et le développement économique.

La mise en lumière du rôle des institutions lui est venue de ses recherches sur la croissance des pays et ce qui fait la différence entre les nations qui s’enrichissent et celles qui restent pauvres. Ainsi, il va expliquer que la révolution industrielle n’était pas la source de croissance mais en était plutôt le résultat. Il souligne le rôle qu’ont joué les structures des droits de propriété dans l’amélioration de l’allocation des ressources. Par exemple, Douglas North montre qu’aux États-Unis, le chemin de fer transcontinental n’a réussi à décoller que le jour l’État a décidé de donner aux compagnies une bande de terrain le long de la voie ferrée. Bref, l’amélioration de la qualité des institutions qui permet l’amélioration des incitations des individus à faire le meilleur usage des ressources dont ils disposent. Par institutions, le Professeur D. North entendait les règles et les contraintes sociales qui encadrent les interactions individuelles et permettent aux agents économiques de se coordonner. Il s’agit à la fois de règles formelles, écrites (constitutions, lois, règlementations, etc.) et des règles informelles, tacites (normes sociales, us et coutumes, règles de conduite, routines, etc.). La valorisation du rôle des institutions dans la régulation de l’ordre social, va être reprise par d’autres disciplines, notamment dans l’histoire économique, la théorie des choix publics (Public choice), l’économie de développement et bien d’autres domaines.

Par ailleurs, l’on ne peut pas parler des contributions de D. North sans mentionner ses recherches dans la théorie de changement social. Contrairement à l’approche de la théorie de jeux conventionnelle, considérant les institutions comme des solutions optimales d’un jeu répété non coopératif, assurant le bien-être collectif d’agents substantivement rationnels, Douglass North (1990) va introduire la notion d’asymétrie dans son analyse des institutions. Une institution ne constitue pas obligatoirement une solution favorable pour tous car elle sert prioritairement les intérêts de ceux qui ont un pouvoir de négociation leur permettant d’élaborer, d’imposer et de développer des règles. Se pose alors la question de la persistance d’institutions inefficaces dans l’optique du développement. C’est la raison pour laquelle D. North (2009) va insister sur l’importance d’avoir un ordre institutionnel à accès ouvert qui, en garantissant l’égalité des chances, l’appropriation  des fruits de son travail et la rémunération au mérite, est le seul cadre dans lequel une société peut évoluer de la violence et la misère vers la paix et la prospérité.

D. North a toujours mis au défi le consensus intellectuel  sur la manière dont l’histoire et la science sociale expliquaient l’évolution sociale. Ainsi, il a été parmi les pionniers à utiliser les enseignements de la science cognitive afin d’expliquer les comportements individuels, notamment les croyances et les schémas mentaux. Conscient des limites de la théorie néoclassique à tenir compte des processus dynamiques, il va intégrer le rôle de la culture dans l’explication de l’évolution et du changement de l’ordre social. D’ailleurs, D. North exigeait dans toutes ses missions de consulting dans les différents pays, d’y passer d’abord six mois afin de s’imprégner de sa culture locale, de son système de croyances et de son environnement institutionnel, avant de commencer sa mission proprement dit. Pour North la culture est un élément déterminant de la performance économique d’une société.

Bref, en partant des concepts néoclassiques de rationalité, et en utilisant les techniques quantitatives, D. North va ensuite s’en éloigner pour aller vers une explication en termes d’institutions qui permettent de réduire l’incertitude, les coûts de transactions et fournit les bonnes incitations. Une évolution intellectuelle qui a déçu les néoclassiques, mais qui a enchanté  les nouveaux économistes du développement qui, grâce aux travaux de North, ont a pris conscience de l’importance des institutions, ce qui leur a permis de changer de cap en matière de conception des politiques et stratégies de développement.

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