Par Éric Verhaeghe.
Progressivement, la révolution numérique s’installe dans les esprits et les pratiques. Progressivement, la question du travail dans le numérique prend forme, ainsi que celle du bouleversement que le numérique introduit dans l’ordre social actuel. Faut-il laisser le numérique infuser dans l’ensemble des branches professionnelles ou bien faut-il créer une branche spécifique ? Les deux visions commencent à s’affronter.
Une branche pour instaurer la concurrence ?
Dans l’ordre juridique actuel, les « startups » dédiées au numérique sont mélangées à leurs concurrentes traditionnelles. Par exemple, Uber relève forcément de la branche des taxis. Toutefois, certaines startups font le choix, compte tenu de leur activité, de la convention collective des bureaux d’études techniques, couramment appelée convention Syntec.
Ce choix est lui-même « hybride », dans la mesure où les bureaux d’études techniques rassemblent des composantes extrêmement diverses, qui vont des activités de conseil tout à fait traditionnelles jusqu’aux sociétés de services informatiques. Pour les startups, le choix du Syntec constitue donc une sorte de cotte mal taillée, dans la mesure où la convention collective répond très imparfaitement à leurs besoins spécifiques.
À titre d’exemple, la convention prévoit d’importantes distinctions catégorielles, emportant chacune des approches différentes de la durée du travail. Cette question est sensible dans les entreprises innovantes où l’organisation du travail peut se révéler très variable et très versatile.
L’imbrication des normes sociales applicables aux startups avec leurs concurrentes traditionnelles pose un problème structurel important : les accords de branche sont généralement antérieurs à l’existence d’Internet et négociés pour les majors du secteur. Leurs dispositions sont donc mal adaptées aux nouveaux entrants et constituent volontiers des barrières à l’entrée pour ces derniers.
Il suffit, par exemple, d’imposer des revalorisations des rémunérations minimales annuelles trop importantes pour comprimer la masse salariale de ces nouveaux venus. Cette technique bien connue du « tarif minimum » fait le jeu des acteurs mûrs et pénalisent les nouveaux arrivants.
En ce sens, l’absence d’une branche du numérique peut être perçue comme un frein au développement du numérique.
Les partisans de l’imbrication
Face à cet appel qui prend forme en faveur d’un réceptacle conventionnel spécifique pour les startups, des voix discordantes s’expriment sur la nécessaire imbrication des startups dans l’édifice conventionnel existant. Cette argumentation est largement développée dans la note du Conseil d’Analyse Économique (CAE) consacrée à l’économie numérique.
Pour les auteurs de cette note, la question des normes conventionnelles constitue effectivement un frein au développement des startups : celles-ci se heurtent à des barrières à l’entrée complexes qui retardent leur maturation.
Un frein important au développement de l’économie française, identifié par de nombreux rapports, est en effet l’accumulation des normes sectorielles qui créent effets de seuil et incitations perverses. Il faut résister à la tentation de recourir à ce type de mesures sectorielles sous peine de recréer, à brève échéance, barrières à l’entrée et protections inefficaces. Tous les secteurs ayant vocation à être transformés à terme par le numérique, il est de toute façon vain de chercher à définir un secteur « numérique ».
La logique du raisonnement est ici assez cohérente : elle consiste à soutenir que la création d’une branche du numérique déboucherait sur une protection des acteurs établis au détriment des nouveaux entrants les plus innovants. La proposition est ici très théorique, elle privilégie la diminution des barrières à l’entrée existantes dans les différentes branches professionnelles pour faciliter le développement des startups.
Élargir le statut d’auto-entrepreneur ?
Dans cette perspective, la note du CAE propose de « dynamiser » les normes existantes. Cette dynamisation propose notamment d’élargir le statut d’auto-entrepreneur pour favoriser l’émergence de nouvelles formes de travail.
La note propose en particulier cette disposition intéressante :
faciliter, plutôt qu’entraver, le recours au statut d’auto-entrepreneur. La loi Pinel a érodé la simplicité du dispositif et exposé inutilement l’auto-entrepreneur à des barrières corporatistes (obligation d’immatriculation au répertoire des métiers ou au Registre du commerce et des sociétés, suppression de la dispense de stage de préparation à l’installation). Il est au contraire opportun de faciliter l’option pour ce statut et de permettre son cumul avec d’autres formes d’emploi, y compris dans la Fonction publique. Pour supprimer la concurrence avec d’autres formes d’entrepreneuriat individuel, le régime fiscal et social de l’auto-entrepreneur pourrait être rendu accessible à tous pour la partie du chiffre d’affaires située sous le plafond
La solution consisterait donc à étendre le régime de taxation des auto-entrepreneurs à l’ensemble des acteurs actuels, plutôt qu’à réduire les avantages dont les entrepreneurs bénéficient pour limiter les distorsions fiscales avec les acteurs matures.
L’idée ne manque pas de séduire ceux qui souffrent des complexités réglementaires actuelles. Mais il n’est pas sûr qu’elle ravisse les adeptes des « acquis sociaux ».
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Il n’est pas très libéral de se poser la question. Le concept renvoie à une politique industrielle « top-down », porteuse de bien des déceptions.
Eric Verhaeghe,
J’aime bien la façon dont vous posez la question !
Réalisez-vous seulement qu’en la posant vous vous placez de plain pied dans le contexte jacobin de notre république agonisante ?
Et après, quoi ? Un accord de branche de la branche numérique ? Avec la partition écrite par les turbo-libéraux de chez Orange et Vivendi ? MdR !
On peut être libéral de diverses sensibilité. Le credo de base repose toutefois sur la liberté de contracter et de s’associer.
Que des accords de branche existent, pourquoi pas ? Il représentent alors un consensus au sein d’un groupe volontaire, et qui a obtenu la bénédiction de tous ses signataires.
Mais alors, de grâce, laissez les autres libres d’adhérer à l’un ou l’autre accord ayant obtenu l’assentiment des uns ou des autres, dans le respect des lois en vigueur; ou de s’orienter vers un nouvel accord, à charge pour eux de lui faire subir le test d’une contestation en justice, par ses employés, ou par les « partenaires sociaux ». (qui ne sont ni sociaux, ni partenaires de qui que ce soit, mais c’est une autre histoire)
De toutes façons, l’auto-entrepreneur, en tant que fier adhérent du système RSI, est un suicidé qui n’ose pas encore se l’avouer. Laissez-lui ses illusions !
« un consensus au sein d’un groupe volontaire » : ce n’est justement jamais le cas, sinon les accords de branche ne serviraient à rien puisque leur objet est de fausser la concurrence. Des accords de branche signés entre volontaires effectifs seraient même sanctionnés par la justice pour entente illicite, à juste titre d’ailleurs. On attend impatiemment qu’un juge se réveille enfin et condamne un accord de branche pour cette raison.
Il paraît que la danseuse de Culbuto veut réduire le nombre de branches de 700 à 200. Bonne idée ! Mais quel manque d’ambition quand on sait qu’il conviendrait de réduire le nombre de branches à zéro.
Vos billets sont le plus souvent pertinents, mais à la lecture de celui-ci on s’attend à chaque détour de phrase à lire qu’au final c’est le principe même de cette architecture règlementaire dont il faut s’affranchir. Mais non. Vous maintenez le cadre, ce qui rend le propos finalement sans objet, car il ne s’agit en rien de facilitation mais de l’imposition d’une contrainte initiée par ceux-là mêmes qui vont en bénéficier.
le numérique est le tronc sur lequel des branches poussent constituant ainsi l’économie 2.0 du XXIéme siécle. mettre des normes sur le numérique….rien de tel pour en faire un bonzaï au mieux et au pire un arbre mort !
Le numérique (mathématiques appliqués + algorithmie) a déjà absorbé les lettres, les sons, les images, les vidéos, les télécommunications, les moyens d’épargnes et de paiements (bitcoin) …
Le numérique va bientôt absorber l’État et rien ne pourra l’arrêter, aujourd’hui on peut se passer de banque, de monnaie Fiat, demain (très très bientôt) on se passera de l’État.
C’est le modèle administratif qui va disparaitre, et avec lui, les branches professionnelles.