L’administration et sa phobie de l’innovation

Dans son ouvrage de 1913, Yves Guyot dénonce le « misonéisme » de l’administration française, une attitude qui consiste à rejeter toute forme d’innovation.

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L’administration et sa phobie de l’innovation

Publié le 28 septembre 2015
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Par Jérôme Perrier

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Yves Guyot par Nadar – domaine public

Yves Guyot1 (1843-1928) est un homme politique, journaliste et économiste, figure de proue du libéralisme français intransigeant durant une bonne partie de la IIIème République. Après des études à Rennes, il « monte » dans la capitale en 1867 et se fait journaliste. Il s’engage aussi en politique, devenant conseiller municipal de Paris de 1874 à 1884, siégeant alors à gauche (à l’image de nombreux libéraux du XIXe siècle, et contrairement à ce que laisserait penser la curieuse tendance contemporaine consistant à identifier le libéralisme avec la droite)2. Remarqué et parrainé par Léon Gambetta, Yves Guyot se fait élire député du premier arrondissement de la capitale en 1885. Rapporteur général du budget à la Chambre en 1888, il devient ministre des Travaux publics l’année suivante, dans les gouvernements Tirard puis Freycinet. Son adhésion sans réserve au libre-échange et son opposition farouche au socialisme et au collectivisme sous toutes ses formes lui valent de perdre son siège de député en 1893, au moment précisément où les socialistes font une entrée remarquée au Palais Bourbon.

Guyot se consacre dès lors pleinement à sa carrière de journaliste, comme directeur du journal Le Siècle (1892-1902) et à la tête du Journal des économistes, qui est le point de ralliement, durant un siècle (de 1841 à 1940) de tous ceux que leurs adversaires qualifient d’« ultralibéraux » ou de « libéraux orthodoxes » – et qu’il serait plus juste d’appeler les « libéraux intransigeants ». À la tête de cette revue, mi-académique mi-grand public, qui entend défendre un libéralisme sans concession face aux multiples attaques dont celui-ci est l’objet (attaques venues à la fois des protectionnistes, des socialistes et, au tournant du siècle, des solidaristes), Yves Guyot succède à Gustave de Molinari – un personnage dans lequel les libertariens américains comme Murray N. Rothbard verront, un siècle plus tard, un de leurs plus éminents précurseurs. Guyot dirige le Journal des économistes pendant presque vingt ans (de 1910 jusqu’à sa mort, en 1928), tout en présidant également, de 1913 à 1922, la « Société d’économie politique » (dont il était membre depuis 1881). La « Société d’économie politique » est organiquement liée au Journal des économistes, l’ensemble formant la principale tribune des défenseurs d’un libéralisme intrinsèquement anti-étatique et foncièrement individualiste.

Au moment de l’Affaire Dreyfus, qui déchire la France au tournant du siècle, Yves Guyot (comme nombre de libéraux) prend parti pour le capitaine Dreyfus, et ce dès la première heure – ce qui a bien failli lui valoir d’être incarcéré. Il est aussi un défenseur du droit des femmes à une époque où la chose est fort rare (pensons par exemple à quelqu’un comme Alain, que la défense intransigeante des droits individuels et de l’égalité n’a jamais conduit à faire du féminisme un de ses chevaux de bataille). Guyot est également un farouche partisan de la séparation de l’Église et de l’État et de la laïcité, et ses attaques régulières contre le Bureau des Mœurs (chargé de la réglementation de la prostitution en France) ont contribué à la dissolution de celui-ci dès 1881. Résistant à toute tentative hâtive de classement, Guyot était fondamentalement un non-conformiste épris de liberté individuelle et un individualiste qui entendait lutter contre toute forme de collectivisme et toute forme de tyrannie.

Dans cet extrait d’un livre publié en 1913 aux éditions Alcan, La Gestion par l’État et les Municipalités, Yves Guyot entend dénoncer ce qu’il appelle le « misonéisme » de l’administration française, c’est-à-dire une attitude qui consiste à rejeter toute forme d’innovation (il utilise également le terme de « néophobie » pour qualifier ce qu’il juge être une grave tare). L’idée qu’il développe est alors assez commune chez les libéraux de l’époque (on la retrouve par exemple chez quelqu’un comme Paul Leroy-Beaulieu, notamment dans son volumineux livre L’État moderne et ses fonctions, paru en 1890)3, et elle contraste singulièrement avec ce qui deviendra un poncif au siècle suivant ; à savoir que l’État est un agent de modernisation indispensable face aux timidités d’un secteur privé, frileux et traditionaliste. En effet, notamment après la Libération et à l’époque du gaullo-communisme triomphant, l’idée dominera dans l’Hexagone que la modernisation du pays devait absolument être prise en charge par un État-stratège, ou plus précisément par une haute administration (celle des Grands Corps), seule à même d’imposer aux hommes politiques et aux capitaux privés – obnubilés chacun par une forme de « court-termisme », qu’il soit électoral ou financier – les exigences de l’intérêt général et du long terme. Il est intéressant de relire aujourd’hui les libéraux de l’époque de la trempe de Guyot pour comprendre combien l’assimilation État/progrès technique n’a absolument rien de naturel, et s’enracine au contraire dans un contexte historique bien précis.

 


 

Yves Guyot, La Gestion par l’État et les municipalités, Paris, Alcan, 1913, p. 292-298
(Livre 3ème, chapitre V) : « Le misonéisme administratif »

Le progrès est l’œuvre d’individus et non de l’État. Ce n’est pas l’État qui a découvert la gravitation ; et si l’humanité avait attendu des gouvernements l’application de la vapeur et de l’électricité à nos usages quotidiens, nous n’aurions ni chemin de fer, ni télégraphes, ni téléphones.

Le fonctionnaire conserve et toute innovation lui fait peur, car il ne sait ce qui en résultera.

Même si un fonctionnaire a l’esprit éveillé, il se heurte à l’inertie de l’organisation dans laquelle il se trouve ; enfin, si le groupe administratif dont il fait partie veut changer quelque chose, il se heurte aux autres groupes ; et puis, il faut qu’il obtienne préalablement des crédits, en tout cas des autorisations. À insister, on risque quelque chose, ne fût-ce que sa responsabilité ; et comme les risques personnels à courir sont grands et que les gains personnels sont aléatoires et insignifiants, on laisse en l’état.

Ce misonéisme administratif se montre même dans les entreprises industrielles de l’État qui, par leur nature, paraissent devoir être les plus progressives.

Le ministère des Travaux Publics, en France, est chargé de la direction supérieure des eaux de la ville de Paris ; quand, en 1889, j’y arrivai, je trouvai, à ma grande stupéfaction, que le ministre et les employés de bureau n’avaient, pour boire, que de l’eau de Seine.

D’après Le Matin du 20 mars 1906, le ministre de l’Intérieur, qui assume la direction de l’hygiène, était encore à ce régime. Cela n’empêchait pas ministres et fonctionnaires de faire de beaux discours et rapports en l’honneur de la prévoyance, de l’habileté et de la sollicitude de l’État.

Les chemins de fer fédéraux suisses s’opposent à la création de nouvelles voies ferrées qui pourraient leur faire concurrence. La direction a exigé que toute nouvelle concession lui fût soumise, et elle a émis des avis défavorables pour le Loetschberg et la ligne Moûtiers-Longeau, qui doivent mettre le canton de Berne en relation directe avec le tunnel du Simplon. Si le canton de Berne a pu résister, des cantons plus faibles ne pourraient obtenir le même résultat. J’ai montré la rivalité des chemins de fer prussiens et des voies d’eau.

Les diverses administrations ont « l’esprit de corps », et chacun considère comme un attentat contre elle un acte utile, mais qui pourrait nuire à son développement.

Au moment de l’application de la loi sur les chemins vicinaux de 1836, le corps des Ponts et Chaussées eut la préoccupation de ne pas être chargé de cette besogne. Elle était considérée comme inférieure ; de plus, elle mettrait les ingénieurs en contact avec les conseils généraux et serait une source d’embarras.

Elle resta au ministère de l’Intérieur ; mais les agents ont manifesté le désir d’éliminer complètement de la direction des routes nationales les ingénieurs des Ponts et Chaussées et de se l’attribuer, en la remettant au ministère de l’Intérieur qui aurait chargé les conseils généraux de leur entretien. Il leur aurait donné, comme subvention, ce qu’il coûte au ministère des Travaux publics ; et ils y auraient fait des économies au profit de leur réseau départemental.

Pendant mes trois ans de ministère, j’ai dû lutter chaque année, en posant la question de confiance, pour soustraire le réseau des routes nationales à cette destruction. Si l’administration des chemins vicinaux du ministère de l’Intérieur l’avait emporté, l’industrie de l’automobile n’aurait pas pris en France l’importance qu’elle a eue.

Mais la faute initiale en eût été au corps des Ponts et Chaussées qui n’avait pas compris, en 1836, l’importance du réseau vicinal et qui avait refusé, pour des convenances personnelles, son concours à une œuvre d’une utilité de premier ordre.

Dans son livre Public ownership of telephones on the continent of Europe le docteur A. N. Holcombe constate que, sauf en Allemagne et en Suisse, dans toute l’Europe, le téléphone a commencé par être exploité par des entreprises privées. Ce régime n’est plus conservé en Europe que par le Danemark et l’Espagne. L’administration des télégraphes étant centralisée par l’État, elle ne pouvait admettre la liberté du téléphone. Dès son apparition, il se heurta partout au misonéisme des administrations chargées du service télégraphique. Elles y voyaient un concurrent qu’il fallait contrarier ; plus tard, quand elles s’aperçurent qu’il résistait, elles décidèrent qu’elles devaient l’absorber. À leur tour, quand le téléphone fut devenu service d’État, les administrations du téléphone s’opposèrent au développement des autres industries électriques, spécialement de celles qui usaient des courants à haute fréquence pour protéger leurs courants plus faibles. L’introduction des progrès techniques aurait été plus rapide sous un régime de concurrence. L’auteur est plein de sympathie pour l’organisation téléphonique allemande ; mais il constate qu’en 1902, les téléphones étaient quatre fois aussi nombreux aux États-Unis qu’en Allemagne.

En Grande-Bretagne, en 1880, le téléphone fut légalement déclaré être un télégraphe et devint un monopole du general Postmaster. En 1911, il n’y avait que 644 000 téléphones en service dans le Royaume-Uni, tandis que s’il y en avait eu la même proportion qu’aux États-Unis, ils auraient atteint le chiffre de 3 000 000.

Au dîner annuel de l’institution des Electrical Engineers, le 2 février 1911, son président M. S. Z. Ferranti disait : « On ne saura jamais ce que la municipalisation des services électriques a fait perdre. Elle en a retardé les progrès et elle est largement responsable du retard de l’industrie électrique dans la Grande-Bretagne ».

Quant à l’administration des téléphones français, voici ce que je trouve dans le rapport de M. Dalimier : « Après de longues hésitations, l’Administration s’est décidée à accepter l’installation d’un « multiple » télégraphique. Les premiers crédits ont été ouverts au budget de 1911 ; mais les études préalables n’avaient pas dû être bien sérieuses puisque, malgré les missions effectuées depuis 1903 dans les villes précitées où fonctionnaient des « multiples », il a fallu, en juillet 1911, charger à nouveau des techniciens de l’examen de ces systèmes en vue du choix de la solution à adopter à Paris ».

Protectionnistes et socialistes en sont toujours au vieux préjugé que l’État et les municipalités « doivent donner de l’ouvrage aux ouvriers ». Les exploitations qui en dépendent, loin de faire des économies de main d’œuvre, doivent, au contraire, augmenter toujours les dépenses de personnel. Parmi les motifs qui leur font réclamer moins d’heures de travail, se trouve l’argument que si chaque ouvrier ne fait que la besogne d’un demi-ouvrier, cela donnera de l’ouvrage à deux ouvriers. Donc, non seulement il faut diminuer les heures de travail ; mais il ne faut pas de surproduction pendant le temps que l’ouvrier passe à l’atelier ou au chantier. Aussi partout y a-t-il des protestations contre le travail aux pièces et des demandes de travail à l’heure « pour lequel personne ne se foulera ». Non seulement chacun profitera partiellement du droit à la paresse proclamé par Lafargue, mais s’il ne fait pas l’œuvre pour laquelle il est payé, il fait une œuvre de haute solidarité sociale en laissant de la besogne aux camarades.

Si un directeur d’atelier veut introduire une machine qui peut faire ce que feraient quatre ouvriers, il est accusé d’enlever de l’ouvrage aux ouvriers, au lieu de leur en donner. Aussitôt il soulève contre lui tous les syndicats, tous les ouvriers municipaux ou nationaux, « il affame le peuple », il trahit le devoir fondamental des exploitations d’État ou de municipalités. C’est un traître : et comme pour affronter de telles colères, le fonctionnaire devrait être un héros, il se garde bien de les provoquer. S’il parvient à apprendre que quelque part une machine fait la besogne qu’il n’obtient qu’à grands frais de son personnel, il fait tout son possible pour paraître l’ignorer.

De là une dépression matérielle et morale dans toute administration d’État ou de ville.

J’ai reçu plusieurs fois des confidences extraordinaires à ce sujet.

Les socialistes ne manqueront pas de dire qu’ils ne sont pas des ennemis du progrès et en dépit des faits, de traiter de calomniateurs ceux qui les en accusent. Ils déclarent qu’ils ne sont hostiles aux nouveaux procédés ou aux nouveaux engins de fabrication qu’à condition qu’ils mettent des ouvriers à la porte et font plus de besogne à moins de frais. Il en résulte qu’ils acceptent les nouveaux procédés et les nouveaux engins si leur emploi ne génère aucune économie.

Mais alors à quoi bon ?

  • Yves Guyot, La Gestion par l’État et les municipalités, Alcan, 437 pages, 1913.


Sur le web

  1. Bibliographie sélective : Louis Fiaux, Yves Guyot, Paris, Alcan, 1921 ; Jean-Claude Wartelle, « Yves Guyot ou le libéralisme de combat », Revue française d’histoire des idées politiques, n°7, 1er semestre 1998, p. 73-109 (l’article contient des informations intéressantes, même si l’on n’est pas obligé de partager tous les jugements que l’auteur porte sur Guyot).
  2. Il n’est que de se promener dans n’importe quelle librairie. Si par hasard vous trouvez un rayon consacré au « libéralisme » (ce qui est loin d’être gagné), il y a de fortes chances pour qu’il côtoie le rayon consacré à la droite, lorsque ce n’est pas l’extrême droite !
  3. On peut y lire notamment : « Tous les progrès humains ou presque tous se rapportent à des noms propres, à ces hommes hors cadre que le principal ministre du second empire appelait « des individualités sans mandat’ » C’est par « les individualités sans mandat » que le monde avance et se développe : ce sont ces sortes de prophètes ou d’inspirés qui représentent le ferment de la masse humaine, naturellement inerte. Toute collectivité hiérarchisée est d’ailleurs incapable d’esprit d’invention. Toute la section de musique de l’Académie des Beaux-Arts ne pourra produire une sonate acceptable ; toute celle de peinture, un tableau de mérite ; un seul homme, Littré, a fait son dictionnaire bien avant les quarante de l’Académie française. Qu’on ne dise pas que l’art et la science sont des œuvres personnelles et que les progrès sociaux sont des œuvres communes ; rien n’est plus inexact. Les procédés sociaux nouveaux demandent une spontanéité d’esprit et de cœur qui ne se rencontre que chez quelques hommes privilégiés. Ces hommes privilégiés sont doués du don de persuasion, non pas du don de persuader les sages, mais de celui de gagner les simples, les natures généreuses, parfois timides, disséminées dans la foule. Un homme d’initiative, parmi les 40 millions d’habitants d’un pays, trouvera toujours quelques audacieux qui croiront en lui, le suivront, feront fortune avec lui ou se ruineront avec lui. Il perdrait son temps à vouloir convaincre ces bureaux hiérarchisés qui sont les lourds et nécessaires organes de la pensée et de l’action de l’État. »
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  • Se complaire dans le conservatisme, c’est nier les pays concurrents en adéquation avec leurs temps. C’est nier l’appauvrissement et la dépendance à venir. Il y a des valeurs à préserver et un renouvellement à perpétuer. Il y a des erreurs à retenir et toujours du courage pour aller de l’avant.
    Malheureusement, ceux qui restent en position fœtale par peur du changement, entraînent avec eux dans les abîmes de l’immobilisme tous ceux qui partagent le même système.

  • Implacable cette réfutation faite en 1913 par Yves Guyot du partage du travail, opéré en France en 1997 ! Quatre vingt années de retard dans la pensée économique de nos gouvernants !
    Merci à l’auteur et à l’Institut Coppet de nous faire redécouvrir l’acuité de la pensée économique française d’avant 1914 ! D’avant le suicide de l’Europe comme l’écrivait S. Sweig.

  • Intéressant. Ceci dit l’on part d’une réticence d’un point de vue générale à l’innovation à une réticence dû à une problèmatique de céder son emploi contre une machine qui pourrait apporter des économies. Ce n’est plus tout à fait pareil, c’est plus complexe que d’apporter une réforme qui avantage tout le monde ou une réforme qui prend en compte de manière responsable les effets négatifs de la réforme (le problème n’est pas soulevé ici).

    Donc cette réticence ne serait-elle pas dû au fait que certains veulent faire des économies au détriment des autres ? Le problème de la réticence à la réforme ne serait-il pas dû ici à une vision égoïste de ce type de réforme ? Le problème de cette réticence ne serait-il pas dû au fait que ceux qui la mettent en place ne pensent pas à une solution de remplacement pour ceux qui seront victime de cette innovation sans en profiter ?

    Sinon les économies réalisés avec les machines pourraient dans un premier temps servir à financer ces personnes qui se retrouvent au chômage dans le but de les aider à passer la main sans altérer leur niveau de vie. Ceux qui feront des économies seraient-il prêt à faire ce geste au nom du progrès ? De partager les économies au nom de l’innovation ?

    • Discours digne des anti-valeurs dénoncées par Ayn Rand…

      • « Discours digne des anti-valeurs dénoncées par Ayn Rand… »

        Je ne connais pas. Qu’est ce que ça veut dire ?

        • Vous défendez des valeurs de collectivisme. Partant de là, Ayn Rand pense que le collectivisme est basé sur les émotions, sur des représentations erronées du monde. La formidable faculté d’adaptation à son environnement de l’humanité disparait et laisse place à une fuite en avant irrationnelle.

          Effacer l’individu au profit de la collectivité conduit à une domination néfaste de la passion sur la raison, et à la déresponsabilisation. Comment bâtir des systèmes objectifs, rationnels et efficaces si les individus ne peuvent plus se baser sainement sur leurs erreurs?

          • Je n’ai pas lu de livre d’Ayn Rand, mais si je me base sur cet article paru dans contrepoints vous êtes vous même en partie en contradiction avec sa pensée :
            http://www.contrepoints.org/2015/08/29/219717-la-voie-de-legoisme-rationnel-selon-ayn-rand

             » Vous défendez des valeurs de collectivisme.  »
            Non, pas dans ce que j’ai dis dans mon commentaire précédant.
            Je défendais une valeur d’ « égoïsme rationnel ».

            Selon Ayn Rand :
            « Ne commettez pas l’erreur de l’ignare qui pense que l’individualiste est celui qui affirme : « je ferai comme bon me semble aux dépens d’autrui »

            Dans le cas de cet article, l’industriel voulait imposer une innovation (machine) aux dépens de ses employés (perte d’emploi).

            Comment bâtir des systèmes objectifs, rationnels et efficaces si les individus ne peuvent plus se baser sainement sur leurs erreurs ?

            Là je suis d’accord avec vous.

            D’ailleurs pour se baser sainement sur ces erreurs il faut déjà les reconnaître. La mauvaise fois par exemple est là aussi un égoïsme non rationnel. La volonté d’avoir raison à tous prix, aux dépens de l’autre (montrer aux autres qu’il a tord) et de la vérité. Une forme de violence.

            Maintenant je vous retourne la question :
            Comment bâtir des systèmes objectifs, rationnels et efficaces si les individus cherchent à satisfaire leur égo aux dépens des autres ?

            D’ailleurs dans l’exemple de l’article il n’y a eu ni évolution, ni innovation. A qui la faute ?

            Mais aussi comment bâtir des systèmes objectifs, rationnels et efficaces si les individus utilisent des formes de violence envers les autres ?

            Vous ne croyais pas que cette violence qui se propage au sein du corps sociale explosera à terme d’une manière ou d’une autre (méditez sur les causes de la révolution de 1789 par exemple) ?

            « Ayn Rand pense que le collectivisme est basé sur les émotions, sur des représentations erronées du monde. »

            Là par contre je ne suis pas d’accord. Il y a des exemples qui sont basés sur la raisons, voir même sur la nécessité.

            Prenez l’exemple des pays ou lieux qui souffrent d’une pauvreté endémique. Les gens se sont unis et se sont basés sur le partage parce qu’ils n’avaient pas le choix.
            Si un jour vous n’avez pas à manger c’est votre voisin qui vous nourrira. Et inversement. Dans un tel contexte l’individualisme ne permet pas de survivre, ou difficilement.

            Dans un sens je n’oppose pas individualisme et collectivisme. A chacun de faire comme bon lui semble.

            En revanche j’oppose celui qui satisfait son égo aux dépens des autres de celui qui ne le fait pas. Dans le but d’éviter de propager de la violence au sein du corps sociale et permettre plus facilement des évolutions positives.

            Pour finir un exemple poussé à l’extrème d’un acte égoïste et positif où tout le monde est satisfait, d’après « le nombril » de Jean Anouilh
            (récupérer aussi sur ce site). Comme quoi là aussi rien d’incompatible.

            « – Le déménageur (empoche, ébloui) : Merci, patron. Vous n’êtes pas égoïste. Vous pensez aux autres qui n’ont pas les moyens de faire les zigotos comme vous.
            – Léon : Oui. Penser aux autres, c’est encore une façon de se faire plaisir. On se voit bon (…) »

            • J’en reviens toujours à ma première sensation en vous lisant : vous êtes dans l’altruisme irrationnel.

              Ce qui est effectivement défendu par Ayn Rand, c’est bien l’égoïsme rationnel et contrairement à ce qui est dit dans l’introduction de l’article de votre lien, c’est cette forme d’égoïsme qui est vertueux.

              Vous dites que vous ne parlez pas de collectivisme, et pourtant vous vous attristez qu’on ne prenne pas en compte la perte d’emploi du fait du progrès. Vous demandez à prendre en compte la collectivité, à répartir l’effort d’innovation. Et pourtant nous vivons déjà dans ce système. L’employeur participe de manière obligatoire par le biais des impôts et des cotisations qui alimentent les formations du personnel, les allocations chômage et le minimum de survie. Ce que vous demandez, est déjà imposé. C’est la solidarité obligatoire. C’est l’altruisme irrationnel.

              Pour reprendre votre exemple de perte d’emplois, l’employeur ne décide pas d’appliquer une innovation pour détruire des emplois, il le fait pour progresser dans son métier et suivre la logique du marché et du commerce. S’il voit un intérêt à conserver des postes, il le ferait. S’il était libre de la solidarité obligatoire, peut-être pourrait-il décider d’être généreux. S’il juge qu’il n’a plus besoin d’une partie de sa main d’œuvre, pourquoi devrait-il la conserver ? Pour mieux freiner les bienfaits du progrès acquis ? D’ailleurs faire son business tout en se lestant de boulets inutiles, c’est la véritablement faire acte de mauvaise foi en tant qu’entrepreneur, c’est aller contre sa nature.

              Ensuite il n’est pas question d’ego dans la valeur défendue par Ayn Rand. L’entrepreneur rationnel ou autre « homme d’esprit », ne peut pas faire de bonnes affaires s’il base ses décisions sur la frime. Il en est de même s’il les basait sur le sentimentalisme. Il doit être rationnel. En cela la vision d’Ayn Rand de l’homme d’esprit s’oppose à nos hommes politiques d’aujourd’hui.

              Ensuite de quelle violence parlez-vous ? Celle de la vie qui change, en perpétuel mouvement qui oblige à s’adapter au fil du temps ? Ou celle des syndicats et autres classes politiques de connivence qui pointent une arme idéologique et interventionniste sur les égoïstes rationnels pour qu’ils partagent le fruit de leur travail. Là où un entrepreneur recherche ce dont il a besoin et le paie, le politicien lui réclame au nom de l’employé (et pour son siège d’élu) des besoins offerts à titre gracieux et gratuit en plus de sa rétribution et des moyens mis à sa disposition pour travailler. Ne s’agit-il pas de cette violence qui couve dans notre société abrutie par l’altruisme irrationnel, sa « solidarité » obligatoire, son étatisme exacerbé, sa liberté bafouée ?

              1789. C’était quoi exactement 1789? Sincèrement je n’y étais pas. Alors je vais supputer. Peut-être était-ce une famine omniprésente du fait de mauvaises récoltes. Peut-être était-ce des aristocrates, des nobles qui n’ont rien à envier à nos hommes politiques d’aujourd’hui. Peut-être était-ce trop d’impôts, trop d’étatisme royal. Peut-être était-ce une somme d’actes irrationnels, de frime et d’étiquette…

              Vous pouvez ne pas être d’accord avec cette vision. D’ailleurs mon commentaire initial ne faisait que souligner ce fait. Néanmoins sachez que l’individualisme défendu par Ayn Rand ne va pas à l’encontre d’union des individus entre eux. Ce qui a fait que les hommes se sont regroupés tient à des choix rationnels d’efficacité, de performance autant que de survie.

              Il n’est pas question d’égo, ou d’égoïsme comme il est perçu par la société. Hélas nous vivons dans ce genre de monde, où la raison cède le pas aux passions, où des bonimenteurs crachent leur refrain « spoliation! » pour mieux diviser et régner sur le credo « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Et on en arrive à une situation irrationnelle. Quel mérite à travailler? Quelle récompense pour avoir été meilleur? Pourquoi devrais-je finalement faire plus qu’un autre finalement? La complaisance dans la médiocrité entraîne la médiocrité.

              Voici deux liens qui sont étoffés de plusieurs extraits du livre d’Ayn Rand « Atlas shrugged ». Ils parleront mieux que moi de l’état d’esprit d’un égoïste rationnel :

              http://esprit-riche.com/la-revolte-datlas-atlas-shrugged-ayn-rand/

              http://salon-litteraire.com/fr/ayn-rand/content/1803837-ayn-rand-pretresse-d-atlas-et-philosophe-du-liberalisme-economique

              Pour résumer la pensée d’Ayn Rand :

              « 1. La réalité existe comme un absolu. Les faits sont les faits, indépendamment des sentiments humains, des souhaits, des espoirs ou des craintes.

              2. La raison (la faculté qui identifie et intègre les éléments fournis par les sens de l’homme) est le seul moyen de percevoir la réalité, sa seule source de connaissance, son seul guide d’action et son seul moyen de survie.

              3. Tout homme est une fin en lui-même, et non un moyen pour les autres. Il doit exister pour lui-même, et non se sacrifier pour autrui, ni sacrifier autrui à lui-même. La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie.

              4. Le système politico-économique idéal est le capitalisme de laissez-faire » (et non de copinage que l’on connaît aujourd’hui).

              Pour finir, je citerai l’Homme d’esprit d’Ayn Rand dans son livre Atlas shrugged :

              « Vous avez sacrifié la justice à la pitié, l’indépendant à l’unité, la raison à la foi, la richesse au besoin, l’estime de soi à l’abnégation, le bonheur au devoir ». Et sa devise : « Je jure, sur ma vie et sur l’amour que j’ai pour elle, de ne jamais vivre pour les autres ni demander aux autres de vivre pour moi ».

              • Bonjour,

                Oui je me suis peut-être emmêlé les pinceaux entre égoïsme rationnel et irrationnel, toujours et-il que j’aime bien sa vision d’un « égoïsme » différent d’un « aux dépens d’autrui ». Tout comme je ne suis pas contre tout ce que vous dites ou ce qui est dit dans les liens que vous m’avez donné. Parfois contre, parfois pour.

                Mais qu’est ce qui est le plus irrationnel ? D’obtenir un rapport perdant/perdant sur le long terme (pas d’innovation pour tous) ou un rapport gagnant (économie dans le futur pour l’entrepreneur) / gagnant (argent/moyens donnés par les premières économies suffisant pour retrouver un statut similaire par les futures chômeurs) sur le long terme (innovation pour la société en générale).

                Bien sûr c’est de la théorie et la réalité est plus complexe, et je ne parle pas de protections sociales (surtout qu’au début du siècle je ne pense pas que c’était comme maintenant). Juste un questionnement sur le principe. Mais aussi que ce n’est peut-être pas QUE de la faute des ouvriers si l’innovation n’a pas pu être mise en place comme montré par l’article, mais le fait de vouloir faire des économies sans se soucier des autres (donc un égoïsme aux dépens d’autrui). Dans un sens on dirait que la priorité est donnée à un moyen (argent via des économies) au lieu d’une fin en soi (innovation).

                Pour la révolution de 1789 c’est le peuple qui en avait marre et son mécontentement a été récupérer par la bourgeoisie pour renverser les nobles. Si les nobles avaient peut être été moins égoïstes avec le peuple (dans le sens d’un peu plus de partage, de ne pas mener la belle vie aux dépens du peuple, etc) ils n’auraient pas été renversés. Les bourgeois n’auraient pas pu récupérer un mécontentement inexistant. Là aussi un rapport perdant (les nobles perdent le pouvoir et/ou se font tuer) / perdant (rien n’a réellement changé pour le peuple si ce n’est pour ceux qui ont pris le pouvoir) au lieu d’un rapport gagnant/gagnant si les nobles avaient un peu plus essayé de contenter le peuple.

                Là aussi un peu simpliste mais juste histoire de dire que tout le monde a à y gagner si on sort d’un concept d’opposition ou chacun veut manger sans penser à l’autre (gouvernement vs peuple, patrons vs employés, etc). Mais tant qu’il y aura tout un camps pour nous tomber dessus lorsque l’on ose émettre une critique contre l’un de ce camps c’est pas gagné pour l’ouverture d’un dialogue serein et prendre la direction d’une solution qui favorise tous les camps.

                Ce n’est donc pas de « l’altruisme irrationnel » mais une pensée rationnelle pour éviter la création de statu qo, d’imposition par « la force » ou de conflits en générale sur le long terme.
                Et puis est ce que « penser à l’autre » veut dire « vivre pour l’autre » ? Pour ma part je ne crois pas. Je vois ça comme penser à l’autre lorsque nous avons une interaction avec lui, et après chacun fait sa vie si c’est ce que chacun souhaite une fois l’interaction finie. C’est vivre pour soi en évitant d’utiliser un moyen de coercicion lorsque nous sommes en mesure de le mettre en place pour éviter qu’il ne nous revienne un jour ou l’autre par un effet boomerang si ceux qui ont subit ce moyen de coercicion ont les moyens de renverser ce rapport de force ou de se venger en rallentissant la marche. De vivre pour soi en pensant à l’autre pour faciliter l’atteinte de son objectf. D’être civilisé et/ou moins arrogant lorsque l’on est en position de force en quelque sorte. C’est tout ce que je dis.

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