Il n’y a aucune raison d’avoir peur des réfugiés syriens

Le flux de migrants suscite des peurs irrationnelles en Europe.

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Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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Il n’y a aucune raison d’avoir peur des réfugiés syriens

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 23 septembre 2015
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Par Yves Montenay

Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.
Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

 

Nous ne sommes venus à eux ni militairement, ni diplomatiquement, ni humanitairement… Les réfugiés syriens sont venus à nous, et nous nous devons de les accueillir. Pour s’en convaincre, il est bon de revenir à quelques données de base.

Il y a déjà huit mois, j’avais lancé un appel. J’ai été vigoureusement attaqué. Heureusement, le climat a changé. Mais trop d’information tue l’information. Essayons de revenir à quelques données de base : la loi, le nombre, l’économie et la comparaison avec l’Allemagne, et les actions possibles.

D’abord, la loi. Elle est claire et cohérente avec la morale élémentaire : nous devons accueillir les réfugiés sans condition, alors que les règles sont strictes pour les autres candidats à l’immigration : regroupement familial, études supérieures, contrat de travail très qualifié…(« strictes » ne signifie pas « bonnes » mais c’est un autre sujet). Certes, la pratique est moins simple que la loi, parce que beaucoup de ces autres candidats se déclarent réfugiés, embouteillant les services compétents. Mais c’est simple dans le cas des Syriens : ceux qui s’entassent dans les pays voisins sont bien des réfugiés de guerre et une procédure simplifiée pourrait être prévue dans ces pays (voir plus bas).

Merci à Madame Merkel ! Mais remarquons les très fortes réticences, non seulement des Français, mais aussi des Britanniques, Italiens et Espagnols, sans parler des pays de l’Europe orientale et méridionale qui sont carrément hostiles (pays baltes, Pologne, Tchéquie, Slovaquie).

 

Combien ?

Il seraient 20 000 réfugiés arrivés en Allemagne le week-end du 5 septembre, et ce pays se prépare à en accueillir 800 000 ; chiffre énorme vu de France, mais à comparer aux quelques 4 millions qui ont fui la Syrie et aux 500 millions d’habitants de l’Union européenne. Et l’Allemagne a déjà reçu d’autres vagues aussi importantes lors de la chute du communisme puis de la guerre en ex-Yougoslavie.

Les 24 000 réfugiés prévus sur deux ans en France, à prendre sur les 120 000 prévus en Europe, ce n’est donc rien ! Rien par rapport à nos 65 millions d’habitants, rien par rapport à nos 100 000 à 200 000 immigrants réguliers chaque année, rien par rapport à ce que nous avons fait dans le passé : en 1980 nous avons recueilli 120 000 Indochinois qui se noyaient en mer de Chine, et nous avions recueilli auparavant un million de pieds-noirs, les innombrables réfugiés du monde communiste, les centaines de milliers de réfugiés républicains espagnols et les juifs fuyant le nazisme. Tous se sont intégrés rapidement, et pour le plus grand bénéfice de l’économie française, sauf les réfugiés républicains maintenus dans des camps avec interdiction de travailler !

Certains disent « mais si nous les accueillons bien, ça se saura et d’autres viendront ». C’est vrai, mais deux ou trois millions de Syriens, ce n’est pas grand-chose pour l’Europe, et de toute façon ce n’est pas une raison pour laisser des gens se noyer.

Et surtout pourquoi avoir peur ?

 

Bons pour l’Allemagne, mais pas pour la France ?

On nous dit que les Allemands peuvent accueillir de nombreux réfugiés car ils ont peu de chômage, n’ont pas assez d’enfants depuis longtemps, et ont donc besoin de rééquilibrer leur pyramide des âges. C’est exact, mais ça ne change pas le problème. Quel que soit le pays, les nouveaux venus participent au développement et à la croissance pour une raison simple : ils apportent à la fois l’offre et la demande de travail et créent leurs propres emplois : il faudra davantage de manœuvres, de boulangers, de comptables… et ils seront très heureux de le devenir.

Rappelons que les hommes se donnent mutuellement du travail : les cinq millions d’Américains du début du XIXe siècle sont 320 millions aujourd’hui après une immigration massive… qui a créé des emplois pour tous. Et cela avec des immigrants extrêmement variés, que l’élite WASP (blanche, anglo-saxonne et protestante) considérait comme des barbares analphabètes et quelque peu fanatiques : Chinois, Russes, Ukrainiens, Irlandais, Italiens et d’autres Méditerranéens, en général « de base » et très religieux d’une façon très différente de celle du pays d’accueil.

Et la France des Trente Glorieuses avait un chômage très faible avec une forte immigration. Sans parler de l’Allemagne de l’Ouest de l’après-guerre qui a vu arriver peut-être 25 % de population supplémentaire en peu de temps, des réfugiés de toute l’Europe orientale, et qui ont lancé la prospérité allemande de l’après-guerre

En fait, le problème n’est pas la capacité de travail des nouveaux venus, c’est notre blocage social qui empêche la création d’emplois de mille façons : certains voudront par exemple empêcher les réfugiés de travailler le dimanche, et si nous envoyons les nouveaux venus au fond de banlieues mal desservies, on s’étonnera qu’ils ne trouvent pas facilement d’emploi, comme on s’en étonne déjà pour leurs habitants actuels.

Dans quels pays des allocations de chômage aussi généreuses aussi bien en montant et durée permettent de refuser un travail trop différent ? Pour ce dernier point, les réfugiés sont d’ailleurs « meilleurs » que les autres demandeurs d’emploi puisqu’ils acceptent des travaux très différents de ceux de leur pays d’origine. Bref, le chômage vient de notre politique sociale et non des nouveaux venus. C’est un point important, mais un peu à côté de notre sujet d’aujourd’hui. Je renvoie donc aux innombrables articles et études ici et ailleurs (on peut remonter à Alfred Sauvy), ainsi que les réformes allemandes.

N’oublions pas qu’outre les États-Unis, le Canada et bien d’autres se sont bâtis avec des immigrants extrêmement variés.

Si l’économie ne devrait pas être un obstacle, quel est le problème ?

 

L’intégration ?

Même question : pourquoi fonctionnerait-elle en Allemagne et pas chez nous ? Ce sont les mêmes réfugiés.

Serions-nous donc plus « identitaires » que les Allemands ? Je sais bien que non, moi qui suis germanophone. Serait-ce parce que les Allemands souhaitent le multiculturalisme, alors qu’une partie des Français le rejette ? Non, Angela Merkel y est opposée : les arrivants devront adopter la culture allemande.

N’oublions pas que l’intégration ou l’assimilation dépendent en partie de nous. L’accueil de la population allemande, de l’administration comme des bénévoles, est non seulement moralement très positive, mais, de plus, elle ne peut que favoriser la bonne entente. Si nous recevions des réfugiés en leur faisant grise mine, voire en les insultant, ce serait un mauvais début, et le Front national en porterait une grande part de responsabilité.

À l’opposé de l’échiquier politique, certains idéalistes (je suis indulgent) organisent un assistanat dévastateur pour l’intégration, qui s’ajoute au sabotage général de l’emploi évoqué ci-dessus.

 

Que font les autres ?

Les pays voisins de la Syrie font le gros de l’effort : deux millions de réfugiés en Turquie, 600 000 en Jordanie (pour 7,9 millions d’habitants) et 1,1 million au Liban (pour 5 millions d’habitants).

Ces deux derniers sont des petits pays et font donc un effort considérable. Par contre, quel silence dans les pays arabes producteurs de pétrole (Arabie Saoudite, Qatar, Koweit, Émirats Arabes Unis), qui, malgré la baisse récente des cours, sont toujours très riches. Les pays arabes plus éloignés, le Maghreb par exemple, n’ont pas pris grand monde non plus.

Les États-Unis, pays d’immigrants et fier de l’être, sont certes hors de portée de bateaux de fortune, mais pourquoi n’ouvrent-t-il pas des antennes dans les camps des voisins de la Syrie, en vue d’une immigration régulière chez eux ? Il viennent de bouger un peu, avec 10 000 places proposées par les États-Unis. L’effort reste minime pour ce pays de 320 millions d’habitants qui accueille un million d’immigrants par an. Par contre l’Amérique latine, bien plus pauvre, a davantage ouvert ses portes. Et je n’ai pas entendu parler de la Chine, qui veut pourtant jouer un rôle mondial.

 

Agir en amont ?

Il faut essayer, bien sûr ! Mais comment mettre fin à la guerre en Syrie ? On ne sait même pas quel est problème réel en raison de la complexité des conflits. En attendant le problème posé, ici et maintenant, c’est l’accueil des réfugiés.

Plus rapidement et plus concrètement, on pourrait imaginer que le plus grand nombre possible de pays ouvrent au Liban des centres où l’on distribuerait rapidement une certification de l’état de réfugié, permettant aux intéressés de partir directement de façon décente vers tous ces pays.

On s’y est très mal pris en ne commençant pas par là : nous ne sommes venus à eux ni militairement, ni diplomatiquement, ni humanitairement… donc ils sont venus à nous ! Et nous sommes maintenant dans la situation d’apparaître tout aussi barbares que leurs bourreaux, donc de perdre ce qui reste de notre image internationale, tout cela pour des questions économiques et identitaires mal posées.

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