Réfugiés : j’ai honte pour l’Europe

La comparaison entre les migrants qui fuient aujourd’hui et ceux qui fuyaient l’holocauste est inévitable et doit réveiller les consciences.

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Laurent Bartkowski-Some kind of tribute to ... (CC BY-ND 2.0)

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Réfugiés : j’ai honte pour l’Europe

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 6 septembre 2015
- A +

Par Guy Sorman

Laurent Bartkowski-Some kind of tribute to ... (CC BY-ND 2.0)
Laurent Bartkowski-Some kind of tribute to … (CC BY-ND 2.0)

 

Il est parfois nécessaire de comparer ce qui n’est pas comparable. Ne serait-ce que pour éveiller les consciences anesthésiées. Entre 1933 et 1940, plusieurs millions de réfugiés échappés d’Allemagne, de Pologne, des Pays Baltes, fuyant le Nazisme, se heurtèrent à des frontières fermées. Ils s’appelaient Nathan, Samuel ou Rachel. Nathan par exemple, prescient, fuit l’Allemagne dès l’été 1933, cinq mois après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler. Il veut partir pour les États-Unis : refus de visa. Il tente l’Espagne, également refusée. Un peu par hasard, il échoue en France qui ne l’accueille pas mais ne le refoule pas non plus ; ce n’est qu’à partir de 1938 que le gouvernement Daladier issu du Front populaire, livra aux Allemands les Juifs qui tentaient de passer en France. Nathan survécut au Régime de Vichy, en rejoignant dans les Pyrénées, les rangs – clairsemés – de la Résistance, aux côtés de Républicains espagnols, rescapés de la Guerre civile. Nathan avait dix frères et sœurs, tous assassinés dans les camps de concentration nazis et sa mère, morte de faim dans le ghetto de Varsovie. Ces six millions de victimes de l’Holocauste ne suscitèrent pas- en dehors du peuple juif- une grande émotion, jusqu’au procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961. Auparavant, l’extermination des Juifs avait été immergée dans l’inconscient collectif, comme une sorte d’accident collatéral de la guerre mondiale. Franklin Roosevelt et Winston Churchill, informés de leur situation, dès 1933, avaient toujours refusé que ce que l’on n’appelait pas encore l’Holocauste, ne les détourne de leur stratégie globale, la défaite des Nazis et l’alliance avec le régime de Joseph Staline.

Venons-en à ce qui n’a aucun rapport avec ce qui précède : la fuite, par millions, des réfugiés de Syrie, d’Irak et d’Erythrée. Sans rapport parce que Latifa, Ali et Ahmed ne sont pas massacrés avec la même efficacité industrielle que le furent Samuel, Nathan et Rachel ? Sans rapport pourquoi ? Devrait-on croire que ceux-là courent le risque de se noyer dans la Méditerranée, de mourir étouffés dans un camion, de crever de soif sur une route grecque, parce que Ali, Latifa et Ahmed sont des touristes ou trivialement à la recherche d’un emploi en Angleterre ? Eh non, eux aussi fuient l’extermination : ils prennent le risque de mourir noyés parce qu’ils savent que l’alternative c’est d’être gazés, mitraillés, bombardés, affamés. Ce n’est pas l’Holocauste. Ou n’est-ce pas encore l’Holocauste ? Comment, d’ici quelques années, nommera-t-on cette marée humaine qui déferle vers l’Europe ? Comment justifiera-t-on dans nos livres d’histoire et nos lamentations officielles cet exode que les Européens, les peuples et leurs gouvernements, tentent de réduire  à une « crise » technique qui exigerait seulement quelques ajustements légaux dans la définition du statut de réfugié ?

Exodus-Dennis Jarvis (CC BY-SA 2.0)
Exodus-Dennis Jarvis (CC BY-SA 2.0)

Si Nathan était encore en vie, je ne doute pas un instant de ce qu’il reconnaîtrait en Ali ou Ahmed, son propre visage, son propre destin, sa propre détresse. Nathan reconnaîtrait tous les arguments qui, en son temps, lui furent opposés à ces mêmes frontières : la situation économique en Europe de l’Ouest ne permettait pas de l’intégrer, l’opinion publique n’était pas favorable aux étrangers, les Juifs et autres métèques étaient déjà trop nombreux pour qu’un gouvernement se risque à en accueillir plus. Nathan n’exagérait-il pas la menace qui pesait sur lui et les siens ? Ce Monsieur Hitler finirait bien par devenir raisonnable… Le dictateur de l’Erythrée Issayas Afewerki, Bachar el-Assad, les bandes islamistes qui ravagent tout le Proche-Orient deviendront-ils raisonnables ? Nul en Occident n’agit pour qu’ils le deviennent. La seule initiative jamais envisagée, par François Hollande, pour bombarder le quartier général de Bachar el-Assad fut bloquée – en 2013 – par Barack Obama, ce Munichois. Le seul chef de gouvernement occidental qui prend actuellement la mesure réelle du drame et propose des solutions humanitaires à la mesure de ce drame est Angela Merkel : allemande, elle sait, elle ne se réfugie pas dans des arguties juridiques ou économiques. Elle sait qu’Ahmed, c’est Nathan, soixante-quinze ans plus tard.

Les objections d’apparence rationnelle, on les connaît : ces gens-là qui ne sont pas européens ne sauraient s’assimiler et l’économie ne pourrait pas les absorber. Mais ce qui a l’air vrai est faux. Ces « réfugiés », acceptés en Europe, y apporteraient leur éducation et leur force de travail : pour la plupart ils sont jeunes et entreprenants comme en témoigne leur exil. La migration est une sélection tragique qui privilégie les forts contre les faibles  Les États-Unis se sont toujours développés plus vite que l’Europe grâce au dynamisme qu’y apportent les migrants. Tandis que l’Europe décline à mesure qu’elle vieillit : l’intégration culturelle serait impensable n’est-ce pas ? L’ objection paraît subtile mais suppose bizarrement que l’Europe soit culturellement, ethniquement, religieusement un pur joyau sans tache. L’Europe, en vérité, est une accumulation métisse, un creuset de cultures qui toutes ensemble font la civilisation européenne. Il me revient qu’un ancien Premier ministre, Michel Rocard, confronté à une immigration moindre, venue d’Afrique, avait cru régler le problème en déclarant que « l’Europe ne pouvait pas accepter toute la misère du monde ». On rétorquera qu’à ce jour, la Jordanie, le Liban et la Turquie ont accueilli trois millions de « réfugiés » et l’Europe… trois cent mille. Voilà pourquoi j’ai honte pour l’Europe, son égoïsme, sa myopie historique et son arrogance de petit bourgeois satisfait. Voilà pourquoi, Ahmed est aujourd’hui mon frère ou Latifa ma sœur. Car Nathan, voyez-vous, était mon père.


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  • Moi j’ai honte de voir M. Sorman de faire des comparaisons aussi fausses.

    Un Syrien s’échappant de l’enfer syrien et tentant de rejoindre par exemple l’Allemagne à travers la route des Balkans franchira successivement la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et l’Autriche pour enfin atteindre son but. Mais dès son entrée en Turquie, il ne sera plus en danger de mort.

    Partant de là, s’il quitte la Turquie, il perdra sa qualité de « réfugié » pour simplement devenir un « immigré économique » à la recherche de confort matériel.

    « Ces « réfugiés », acceptés en Europe, y apporteraient leur éducation et leur force de travail : pour la plupart ils sont jeunes et entreprenants comme en témoigne leur exil. »

    Oui oui que des universitaires et des entrepreneurs contrariés, et pas un seul islamiste… Et en passant, comment combattre l’Etat Islamique si les premiers concernés décident de fuir plutôt que de combattre? Il faudrait envoyer des armées de mercenaires étrangers pendant que les jeunes hommes syriens se carapatent vite fait? Heureusement qu’en Europe dans la WWII il y avait des gens plus courageux que ça…

    Mais bon, c’est l’article pro-immigration quotidien de Contrepoints, il faut s’y habituer.

  • Avatar
    Nafy-Nathalie Diop
    6 septembre 2015 at 8 h 29 min

    Chouette article !

  • Guy Sorman, celui qui annonçait a l époque du « Printemps Arabe »une formidable bonne nouvelle pour le monde à honte, mais pas pour lui.

    La honte , c’est comme les conséquences de ces choix , ça ne le concerne pas.

  • Densité de population au km de :
    Lybie : 4
    Etats-Unis : 35
    France : 121
    Syrie : 127
    Allemagne : 232
    Israël : 380
    (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et estimations de la population de la Banque mondiale)

    Il parait plus simple d’envahir la zone cotière de la Lybie et d’offrir un nouveau pays, même temporaire, aux réfugiés.

  • Joli et facile la comparaison,mais sans grands rapport,on pourrait plus facilement se débarrasser de daech que du reich,faut juste trouver des dirigeants qui en ont,et ainsi maintenir ces populations chez elles

  • Faire d’un article un point godwin. Done.

  • Je ne discute pas le propos. Mais seulement 300.000 réfugiés acceptés par l’Europe? Vous êtes sérieux là? alors que sur cette seule année on en comptera dans les 500.000? Oui, comme vous le dites, on ne saurait réduire ce problème à des statistiques, à des comptes d’apothicaire.

    Mais en même temps, pourquoi l’Arabie Saoudite ne semble pas lever le petit doigt, sinon pour instrumentaliser les conflits à leur profit? C’est pourtant un pays vaste, riche et stable, qui partage le même creuset culturel que tout ces réfugiés, et dont, de plus, l’accès est bien moins dangereux que l’Europe. Pourquoi, encore une fois, les européens qui osent critiquer la non-politique européenne face à cet afflux, sont désignés comme les salops qui nous rappellent les HLPSDNH, tandis que les fanatiques sanguinaires, les américains largement responsable de cet immonde foutoir, aidés en cela par Sarkozy et cet enfoiré de BHL, eux, sont juste absents du tableau critique? Pourquoi on instrumentalise la mort d’un enfant turc venu pour se faire soigner les dents (!!!), et pas la décollation horrible d’une fillette parce qu’elle avait le malheur d’être chrétienne?

    Et pourquoi les réfugiés se ruent vers l’Europe plutôt que vers l’Arabie, l’Afghanistan ou l’Iran? L’Europe esclavagiste et pilleuse de ressources serait-elle finalement préférable à ces havres d’amour et de tolérance islamiques?

    Mes grands-parents n’ont pas l’honneur d’être des Nathan comme votre père, mais, sauf votre respect, ils ont permis à des Nathan d’échapper aux nazis en les faisant passer en France libre. Ils ont fraudé le STO, ils ont combattu l’occupant nazi, et composé avec le régime vichyste comme ils le pouvaient. Ils n’ont pas quémandé de médaille ou de certificat de « Juste » pour cela, ils ont fait ce qu’ils avaient à faire en tant qu’humains qui ont des valeurs, et contrairement à tout ces « résistants » de pacotille qu’on voit régulièrement pérorer à la télé (spéciale dédicace à Mélenchon), ils ne le revendiquent pas à tout bout de champs.

    Je me sens héritier de ces valeurs, et je ne vous permets pas de me traiter de nazi parce que je critique sévèrement la faiblesse et la désorganisation des états européens face à cet afflux massif d’étrangers, et pas plus parce que je critique sévèrement le comportement d’une partie significative de ces étrangers, qui réclament du hallal, qui volent, qui envahissent la propriété d’autrui, et ne se comportent pas avec respect, mais comme des malandrins à qui tout est dû.

    Je suis d’accord sur la nécessité d’agir et d’aider ces populations, mais pas en se comportant comme des passoires, impuissants et écrasés de culpabilité, pas sans conserver la souveraineté et la dignité nationale de notre pays qui a des valeurs, mais aussi des lois et des coutumes à respecter. Facilitons les procédures administratives pour les cas qui le justifient, soyons humains et rationnels, mais clairs et fermes, et pas question de se laisser manipuler par l’émotionnel et l’instrumentalisation politique.

  • même ici on retrouve un article sur la repentance et la culpabilisation , digne d’un édito du monde ou de libé …. vous en avez pas marre ?
    Cela dit le pédigrée du monsieur fait rêver : enseigner l’économie à science po ça pose son homme …lol …

  • Oui sauf que l’Europe n’accueille personne, il y a quand même un problème à déclarer que l’europe doit être charitable, les gens qui se déclarent prêts à accueillir une famille chez eux sont autrement plus admirables que les gens qui en appellent à la solidarité européenne qui reste une solidarité forcée.
    En réalité il existe des limites à la charité, il est rare que une personne accepte de faire passer la famille d’un autre avant la sienne; même quand elleest généreuse.
    On doit discuter de la liberté de circuler, des aides sociales de ce genre de choses, sinon, pour beaucoup les déclarations d’intention ne changent rien.
    Autoriser à entrer ne suffit pas il faut trouver les sous ensuite. S’en remettre à » l’Europe » pour collecter l’argent est il sans « risque » ou efficace?
    Pourquoi pas une collecte de fonds? mettre sa bouche où on met son argent.

    Et pour faire vivre une famille le temps qu’elle trouve un travail et de quoi vivre il faut autre chose qu’une piécette de deux euros par ci par là dans un tronc.

    Ouvrir les frontières c’est la partie facile! Ilm faut le faire…mais ne le fait on pas déjà?
    Prétendre discerner le migrant économique de la personne fuyant l’horreur est déjà plus ardu. Juste les syriens?

  • Le Liban: Un très joli pays dans les années 60. Sorman a oublié les vues de Beyrout avec ses immeubles détruis. Personnellement, à l’époque, j’étais très étonné de voir des photos couleurs de décombres quand on avait l’habitude de voir les dégats de la 2nde GM en noir et blanc.

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