Saint-Simon, l’entrepreneur et la Révolution industrielle

Il y a dans le saint-simonisme, une exaltation des entrepreneurs.

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Saint-Simon, l’entrepreneur et la Révolution industrielle

Publié le 30 août 2015
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Par Gérard-Michel Thermeau

Claude_Henri_de_Saint-Simon
Claude_Henri_de_Saint-Simon, source Wikipedia

La chute du mur de Berlin, l’effondrement du marxisme ont plongé les contempteurs du « capitalisme » dans une profonde déprime. Ne sachant plus à quels saints se vouer, ils se sont tournés vers Saint-Simon et d’autres oubliés de la tradition socialiste du XIXe siècle. L’échec cinglant du socialisme « scientifique » a redonné une actualité aux socialismes « utopiques » moqués par le prophète, désormais déchu, Karl Marx.

La pensée confuse et contradictoire du « descendant de Charlemagne », ainsi que se définissait ce curieux rejeton d’une grande famille aristocratique, a de nouveau attiré l’attention des philosophes, toujours prompts à faire leur miel de textes ambigus et d’une pensée inachevée. Comme pour tout prophète inspiré, les textes de Henri de Saint-Simon étaient suffisamment obscurs pour permettre toutes les interprétations. Devenu Église à la mort de son inspirateur, le saint-simonisme a connu ses schismatiques, ses hérétiques et ses renégats. Une petite communauté de « barbus » installée à Ménilmontant a même défrayé la chronique louis-philipparde.

Mais si l’on reconnaît l’arbre à ses fruits, le saint-simonisme, à la différence des autres formes de « socialisme utopique », a été un courant extrêmement fécond. D’une certaine façon, il a été le seul socialisme qui ait produit quelque chose de positif et même de durable.

Il y a, en effet, dans le saint-simonisme, une exaltation des entrepreneurs. Saint-Simon a été un des premiers à concevoir la richesse comme produit de l’activité manufacturière ou commerciale et non plus de l’agriculture. La propriété foncière y est dénoncée comme produit de l’oisiveté mais le flux de richesses généré par le commerce et l’industrie y est exalté.

La réaction d’un journaliste de Télérama en juin dernier devant la pensée de Saint-Simon est typique : il note surpris « les industriels qui englobent à la fois capitalistes et ouvriers  » ? Pour un brave journaliste ou intellectuel de gauche, les « capitalistes » ne peuvent être que les exploiteurs des ouvriers.

Mais ce ne sont pas les « capitalistes » qui sont portés au pinacle par Saint-Simon, ce sont les « entrepreneurs ». Il parle de banquiers, de négociants, de maitres de forges, etc.

L’entrepreneur, une invention française

L’entrepreneur, voilà un beau terme absolument inconnu des économistes libéraux anglais : la langue de Shakespeare (ou plutôt de Bill Gates) est forcée aujourd’hui d’utiliser ce « francisme ».

Ce sont les Français, et avant tout Jean-Baptiste Say, qui ont mis en avant ce curieux personnage qu’est l’entrepreneur. Si l’économie de marché fonctionne ce n’est pas dû à une mystérieuse « main invisible » comme en était réduit à le supposer Adam Smith, pour qui n’existent que des « capitalistes » passifs qui vivent du travail d’autrui, mais à l’action des entrepreneurs, ceux qui savent affecter les ressources existantes pour dégager un profit en améliorant la productivité, en organisant le travail de façon plus efficace ou en créant de nouveaux produits. L’entrepreneur est à l’origine des innovations : il n’invente pas nécessairement mais il sait tirer profit des idées susceptibles d’une application industrielle. L’entrepreneur doit avoir l’esprit d’entreprise, le goût du risque. Les revenus des entrepreneurs, soulignent Say, sont « toujours variables et incertains ». « Il profite de ce que les autres savent et de ce qu’ils ignorent » comme il le précise.

L’entrepreneur n’est pas nécessairement un « capitaliste », il n’est pas toujours son propre maître. Il peut travailler pour autrui. Il n’est pas non plus simplement un chef d’entreprise car un certain nombre sont « routiniers » et se contentent de faire comme papa avant ou bien de suivre les autres.

Le saint-simonisme a été très influent à Polytechnique, que l’on songe à Michel Chevalier, et par là aux dirigeants des entreprises métallurgiques et des exploitations houillères. Nombre d’entrepreneurs français ont été saint-simoniens, bien au-delà du petit nombre de personnes que l’on cite d’ordinaire. Des biographes d’entrepreneurs ont récemment mis en lumière cette caractéristique : citons, par exemple, le marchand de soie lyonnais Desgrand1 tout comme le filateur alsacien Frédéric Engel-Dollfus2. De même Henri Fayol, le père du « management », a-t-il été marqué par la pensée de Saint-Simon3.

Le saint-simonisme en acte : l’industrialisme

Mais d’une certaine façon, peu importe ce qu’est ou n’est pas le saint-simonisme, moins encore ce qu’est le « vrai » saint-simonisme. Il importe surtout la façon dont il a été perçu par les entrepreneurs français du XIXe siècle.

Ils ont été sensibles à quelques caractères qui vont marquer le saint-simonisme en actes :

  • Le libre échange et la mise en relation des peuples par de grands travaux (chemins de fer, canaux). Paulin Talabot, dont un frère avait rejoint la secte dans ses excentricités à Ménilmontant, a largement contribué à la réalisation du réseau ferroviaire français et notamment le PLM, entreprise « saint-simonienne » par excellence. Le projet du canal de Suez a été pensé et préparé par les saint-simoniens avant d’être l’objet d’une captation par le trop habile Ferdinand de Lesseps. Le libre-échangisme se combine chez les saint-simoniens avec le pacifisme.
  • La volonté de favoriser les flux financiers pour la réalisation des grands travaux et des grands projets industriels par la création de banques de types nouveau : les banques de dépôt avec la création éphémère du Crédit mobilier et plus durable du CIC, de la Société Générale et du Crédit Lyonnais par des saint-simoniens.
  • L’indifférence à l’égard de la forme de l’État, et même une méfiance à l’égard des révolutions, qui va amener les saint-simoniens à saluer l’heureuse surprise du coup d’État du 2 décembre. Napoléon III, seul chef d’État « socialiste » du XIXe siècle, va être le « despote éclairé » du saint-simonisme. Le traité de commerce avec l’Angleterre en 1860, conçu par les saint-simoniens du côté français, va ouvrir ce qu’un historien a appelé la « parenthèse du libre échange ».
  • On peut y ajouter : une forme de religiosité (le socialisme saint-simonien est tout sauf athée) mêlée d’anticléricalisme (contre le catholicisme du XIXe siècle associé au « jésuitisme ») qui contribue à favoriser l’idée d’une laïcité « ouverte » ; le souci d’améliorer le sort des ouvriers notamment en favorisant l’éducation des milieux populaires : les nombreuses créations d’écoles par Arlès-Dufour à Lyon en témoigne ; le refus de l’égalitarisme social : « à chacun selon sa capacité » ; le féminisme : c’est à dire l’égalité en droits des femmes avec salaire égal pour travail égal.

Sébastien Charléty4, l’historien du saint-simonisme, notait avec ironie que les grands rêves d’un « mouvement si profond » s’étaient achevés au conseil d’administration du PLM. Construire des chemins de fer plutôt que des systèmes, ouvrir des banques plutôt que la gorge des « ennemis du peuple », contribuer à l’amélioration « concrète » des conditions de vie de la population en favorisant l’accroissement global des richesses par le développement des entreprises, élever le niveau de vie des ouvriers par la baisse des prix grâce au libre échange, tel était cependant le résultat de l’influence du saint-simonisme. Est-ce donc si négligeable ?

  1. Jean-François Klein, Les maîtres du comptoir, Desgrand père & fils (1720-1878), Réseaux du négoce et révolutions commerciales, PUPS 2013, 368 p.
  2. Jérôme Blanc, Frédéric Engel-Dollfus, un industriel saint-simonien, Généalogie et Histoire, 2003 – 189 pages
  3.  Jean-Louis Peaucelle,« Saint-Simon, aux origines de la pensée de Henri Fayol  » in Entreprises et Histoire, n° 34, 2003, p. 68-83
  4. Sébastien Charlety, Histoire du Saint-Simonisme, Gonthier 1931
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  • C’est une période charnière et donc intéressante. Avec Saint-Simon, Auguste Comte, Emile Durkheim, Charles Dunoyer, c’est une sorte de Colloque Walter Lippmann avant l’heure qui se joue dans le Tout-Paris, entre d’un côté les écoles socialistes, de l’autre l’École de Paris — héritière des physiocrates —, et le Journal des Économistes. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’historiens pour s’y intéresser…

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