“L’Huître” de Joëlle Stagoll

Dans L’Huître, Joëlle Stagoll raconte la rencontre décisive entre un petit garçon et une petite fille à l’école de leur village de montagne, qui pourrait bien se situer en Suisse.

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“L’Huître” de Joëlle Stagoll

Publié le 15 avril 2015
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Par Francis Richard.

L'huître Joelle StagollIl est des rencontres décisives dans la vie. Ce n’est parfois que des années plus tard que nous nous rendons compte de leur importance.

Quand une telle rencontre a lieu dans l’enfance, elle se rappelle à notre mémoire peut-être de manière encore plus vive. Parce que, ce que notre corps et notre esprit apprennent alors, participe de leur formation de manière indélébile.

Dans L’Huître, Joëlle Stagoll raconte la rencontre décisive entre un petit garçon et une petite fille à l’école de leur village de montagne, qui pourrait bien se situer en Suisse.

Cette narration se fait des deux points de vue, de l’un, puis de l’autre. Plusieurs années plus tard. Quand les vies de l’un et l’autre ont pris des chemins de traverse qui sont inconciliables, avant qu’elles ne se croisent à nouveau de manière improbable.

Le petit garçon et la petite fille ne se sont connus que le temps d’un hiver, mais le courant est tout de suite passé entre eux deux sans qu’ils n’aient eu besoin de s’exprimer beaucoup. Il y avait d’emblée une adéquation étonnante entre le blondinet aux yeux bleus et la petite noire aux tresses émouvantes.

Le petit garçon, devenu homme, n’a jamais oublié la petite fille de son enfance. Un jour il lui avait donné un caillou qui brillait et qu’il avait ramassé au bord du chemin : “Une petite pierre plate triangulaire, noire, avec, au milieu, d’un rouille lumineux, une incrustation de roche claire qui a un peu la forme d’un cÅ“ur ou d’une fleur et c’est ça qui miroite.

Il se souvient : “Tu tends la main, j’y dépose notre trésor en renfermant tes doigts dessus très fort, tu ris et, ô miracle, tu suspends tes bras à mon cou, te hisses sur la pointe des pieds et déposes un baiser timide sur chacune de mes joues tandis que je sens contre ma nuque ton poing serrant franchement le caillou.

Ce caillou, qui désormais le symbolise et qu’elle a reçu dans le creux de sa main, sera leur signe de reconnaissance, leur mot de passe, le peu de fois où ils se reverront au cours de leurs existences séparées. Car elle va quitter l’école pour aller à la Maison Rose, un sana, et lui quittera assez tôt l’école pour aller travailler en usine.

Dans cette usine, son seul et véritable ami est Ézéchiel, un noir. Lors d’une sortie pour fêter le départ de Maurice, un drame va se produire. Ézéchiel ne goûte guère la nourriture qui est proposée ce jour-là, mais Maurice ne l’entend pas de cette oreille : il veut forcer Ézéchiel à en manger et le poursuit quand il tente de lui échapper.

Le narrateur ne se souvient plus de ce qui s’est passé après – il est tombé et a perdu connaissance -, mais le fait est qu’Ézéchiel est tombé du haut de l’Éperon aux Loups et que, tous les témoignages concordent, c’est lui qui l’aurait poussé dans le vide, c’est lui qui l’aurait tué sans jamais en avoir aucun souvenir.

Pour ce meurtre oublié, et devenu handicapé d’une main et d’un pied, il va connaître la prison et son comportement là-bas ne sera pas fait pour le disculper. Il s’avèrera en effet violent dès que l’on s’en prendra à ceux avec lesquels il sympathise. Il n’est donc pas près d’en sortir.

La narratrice est orpheline. Elle a perdu ses parents et son frère dans l’eau noire quand ils l’ont traversée après avoir laissé derrière eux leur pays “où le soleil a le champ libre, où la mer et le ciel se confondent, où le regard se perd à l’horizon“.

Après s’être échappée de la Maison Rose, elle est devenue aide-soignante à l’hôpital. Sans jamais avoir oublié son amour d’un hiver, après l’avoir cherché en vain, elle a vécu sa vie, s’est mariée avec Luigi et a eu avec ce dernier les enfants, Louba et Samita, qu’elle aurait voulu avoir avec le disparu.

Pour arrondir ses maigres revenus, elle devient auxiliaire occasionnelle à la prison. Un jour, il lui est demandé d’aider un prisonnier handicapé à prendre sa douche. C’est lui. S’il pouvait subsister le moindre doute, le caillou qu’elle a conservé et qu’elle lui montre une fois suivante, le lève définitivement.

Joëlle Stagoll se met donc successivement à la place de celle qui aime un prisonnier taiseux, et à la place de ce détenu hors normes qui n’a jamais cessé de l’aimer non plus. Et elle nous fait découvrir les univers rudes qu’ils ont connu l’un et l’autre, notamment l’univers carcéral, sous une lumière crue et d’un grand réalisme.

Bien que l’histoire que Joëlle Stagoll raconte à deux voix ne réserve pas de surprise, si l’on excepte qu’elle n’a pas vraiment d’épilogue – le caillou s’est-il à jamais fermé comme une huître ? -, l’auteur sait tellement bien faire parler les sentiments de l’un comme de l’autre de ses deux protagonistes, que, jusqu’au bout, l’intérêt de lire ce roman, écrit avec des mots simples et pourtant percutants, ne se dément jamais.

  •   Joëlle Stagoll, L’Huître, Les Éditions de L’Hèbe, 352 pages.

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