Par Bernard Zimmern.
Un article d’Emploi 2017
L’INSEE vient de publier des statistiques accablantes : en 2014, la France a vu les créations d’entreprises croître, elle est championne européenne ; mais elle est aussi championne du chômage, championne d’autant plus indiscutée qu’on regarde le chômage réel et pas celui des chiffres officiels.
La quasi simultanéité de ces deux informations statistiques est d’autant plus importante que nous sommes à la veille d’un grand salon, celui des Entrepreneurs, et qu’il faut se demander, avant qu’il soit trop tard, s’il faut continuer à créer des entreprises. Cela ne va-t-il pas aggraver le nombre de chômeurs en 2015 alors que celui-ci doit déjà augmenter de plusieurs dizaines de milliers ?
Certes, corrélation ou simultanéité ne signifie pas causalité ; mais on peut s’interroger.
En effet, l’histoire des mesures économiques prises par les gouvernements de la Vème République montre que le chômage a entraîné une forte création d’entreprises.
C’est sous Lionel Jospin qu’ont été créés les premiers programmes encourageant la création d’entreprises par les chômeurs avec ACCRE et EDEN, un nom propre à rêver. Ces programmes ont dès le départ créé de l’emploi car il a fallu plusieurs réunions interministérielles de dizaines de hauts fonctionnaires représentant tous les corps publics intéressés, pour parvenir à décider si la subvention ou le prêt seraient de 10 000 francs de l’époque, soit environ 2 000 euros, ou de 15 000 francs, environ 3 000 euros d’aujourd’hui.
Ces programmes ont été renforcés par l’introduction en France du microcrédit, sur le modèle du Bangladesh à l’initiative d’une économiste audacieuse : elle parvenait par son charisme à faire prêter quelques milliers d’euros par les banques pour un total d’une quinzaine de millions d’euros avec des coûts remarquablement faibles ; les frais de l’ADIE ne dépassaient guère 1 euro par euro prêté. Mais les quinze millions ainsi dépensés autour des années 2003 ne coûtaient en fait rien puisqu’il s’agissait essentiellement de l’argent de la Caisse des Dépôts qui est quasiment l’argent de l’État.
Ce sont sur ces traces que se sont lancés les politiques au pouvoir en France de 2002 à 2012, avec la SARL à 1 euro de Renaud Dutreil, l‘aide à la personne de Jean-Louis Borloo et enfin l’autoentrepreneur. On a vu les créations d’entreprises s’envoler dès 2004.
Que les chômeurs aient été poussés à créer des entreprises fait donc peu de doute. Mais l’on peut se demander si la causalité inverse n’est pas encore plus vraie.
Il s’agit d’une question d’autant plus sensible et urgente qu’encore une fois nous sommes à la veille du Salon des Entrepreneurs et que, s’il faut réduire la création d’entreprises pour réduire le chômage, il est plus que temps d’agir ; sans la création d’entreprises, le nombre de chômeurs va déjà croître en 2015 de plusieurs dizaines de milliers.
La création d’entreprises n’est plus en effet ce qu’elle fut pendant longtemps : la tentative de fous cherchant à gagner de l’argent ou élever leurs conditions sociales en innovant et en apportant à leurs concitoyens le bénéfice d’innovations. On oublie aujourd’hui que la bande Velcro fut le résultat de l’observation d’un individu se demandant pourquoi en marchant dans les Alpes, il se retrouvait avec des têtes de brindilles accrochées dans ses chaussettes. Ou d’un X-Pont qui s’amusait sur les plages à consolider les châteaux de sable de ses enfants avec des aiguilles de pin, et a créé La Terre Armée, l’une des grandes sociétés d’ouvrages d’art.
Maintenant, la création d’entreprises est une industrie étatique consistant à rendre à la collectivité ce qui lui a été détourné par l’avidité des anciens entrepreneurs. Ce n’est plus aux riches que doit revenir le soin de créer des entreprises, car cela c’est le vol, comme dirait Proudhon ; c’est à la collectivité de financer les entreprises car seule la collectivité est propre ; elle est forcément désintéressée car elle n’a pas de nom ; elle est vraiment anonyme et pas seulement nominalement comme les sociétés des riches.
Il y avait jusqu’à présent un moyen de créer des emplois rapidement, c’était de faire creuser un trou pour y mettre les feuilles mortes, puis de faire creuser un autre trou pour enterrer la terre du premier, et ainsi de suite. Mais c’était trop long. Un moyen plus rapide est de prendre l’argent dans la poche de ceux qui en ont encore et de le brûler. De toute façon, l’argent n’a pas d’odeur même en brûlant.
Certes, l’inconvénient est de créer des emplois pour ceux chargés de prendre cet argent, car il faut voter des lois, les faire exécuter, trouver ceux qui ont encore de l’argent, le leur faire rendre sans qu’ils crient trop fort (un vieux problème rencontré par tous ceux qui ont été habitués à plumer la volaille) mais le processus s’améliore chaque jour et faire disparaître la richesse demande de moins en moins de main-d’œuvre.
La création d’entreprises qui ne servent à rien est à cet égard un moyen extrêmement efficace car le bon peuple ne se rend compte de rien, il croit qu’on le soigne alors qu’on le saigne.
Il reste cependant une étape qui devrait être le couronnement de cette avancée : c’est la création d’un prix, à la manière de ceux que l’ANVAR distribuait avant sa fin prématurée, pour récompenser tous ceux qui ont inventé de nouveaux moyens de pomper l’argent public.
Les héritiers de l’ANVAR ont heureusement compris, trente ans après l’Allemagne, que l’innovation ce ne sont pas seulement des moyens matériels descriptibles sur un brevet mais des innovations financières ou de pur marketing. C’est ce à quoi devrait se consacrer le Salon des Entrepreneurs : créer un prix récompensant les sociétés les plus efficaces à faire disparaître sans bruit le plus d’argent public possible. Nous aurions alors une chance de voir les créations d’entreprises se réduire et le chômage régresser enfin dans notre beau pays.
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