La grande ouverture, défi de 2015 pour la Tunisie et pour l’Europe

Désignée « pays de l’année » par The Economist, la Tunisie doit maintenir ses efforts de transition démocratique en s’ouvrant encore plus au monde.

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Drapeau Tunisie (Crédits Gwenael Piaser, licence CC-BY-SA 2.0), via Flickr.

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La grande ouverture, défi de 2015 pour la Tunisie et pour l’Europe

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 6 janvier 2015
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Par Farhat Othman

Drapeau Tunisie (Crédits Gwenael Piaser, licence Creative Commons)

S’il est une caractéristique qui résume l’essence tunisienne, c’est son ouverture au monde. Or, en 2015, la Tunisie est appelée à transformer cette ouverture en grande ouverture, sinon une très grande ouverture, et cela impliquera l’Europe dont elle dépend structurellement.

Une ouverture d’esprit

L’ouverture tunisienne de tradition à son environnement international avec ses contradictions doit être célébrée de nouveau par le futur gouvernement appelé à incarner la raison en politique après la déraison des dirigeants de la troïka.

Exit donc les rapports conflictuels avec les pays frères et amis, voisins ou lointains ; la diplomatie tunisienne a intérêt à renouer avec sa traditionnelle politique d’équilibre, même s’il peut paraître instable ; c’est sa finesse qui l’exige et son génie propre.

Bien plus que de distance à prendre avec les belligérants dans des conflits externes où rarement le droit est d’un seul côté, la Tunisie a le plus grand intérêt d’avoir une diplomatie d’équidistance, respectueuse des uns et des autres, mais soucieuse avant tout des valeurs humanistes et des impératifs catégoriques d’éthique.

Outre la situation en Libye et le conflit en Syrie, cela concernera la Palestine où il est urgent de renouer avec la sagesse bourguibienne ayant livré une lecture visionnaire du conflit, le resituant dans le seul cadre susceptible d’être juste base pour son dénouement, celui de la légalité internationale de 1947.

Un tel cheminement vers la raison avec une voix juste indiquant la voie de la justesse ne pourra cependant se faire sans un « araisonnement dogmatique » en Méditerranée impliquant la rupture avec une doxa qui y prévaut en termes de rapports entre le Nord et le Sud.

L’ouverture ici doit être celle de la libre circulation entre les rives de notre mer commune dans le cadre d’un espace de démocratie sous l’empire d’un visa biométrique de circulation qui tient compte, tout autant que l’actuel visa, des réquisits sécuritaires, mais en étant plus respectueux de la légalité internationale et de l’éthique devant régir les rapports humains.

Une telle ouverture augurera alors d’une autre encore plus grande une fois les frontières levées entre démocraties, en s’attelant à l’édification d’une aire de civilisation entre le meilleur de l’Occident et de l’Orient. Cela doit amener à terme à une totale imbrication du Maghreb à l’Union européenne, laquelle est déjà effective sur le plan informel des rapports économiques, humains et culturels, mais aussi formels, l’Europe s’étendant géographiquement au Maghreb de par ses présides au Maroc.

Une ouverture à l’altérité

Il sera certes difficile à la Tunisie de convaincre ses partenaires de se libérer de leur dogmatisme en matière de politique étrangère ; cela le sera aussi sur le plan interne. Car tout autant que la révolution mentale qu’elle doit chercher à créer chez les Occidentaux, la Tunisie aura à s’acquitter de la même auprès de ses élites bien trop conservatrices ; elle sera d’ailleurs bien utile, sinon nécessaire, à l’advenue de la première.

Il s’agira d’une grande ouverture consistant à démontrer que l’islam est démocratique, qu’il peut être à la base d’une Démocratie islamique, et ce en toilettant l’arsenal juridique du pays de toutes les lois de la dictature, qui sont supposées islamiques et qui ne le sont point.

En effet, que ce soit les lois homophobes, de condamnation du droit à l’apostasie ou d’inégalité successorale, ou encore de maintien de la peine de mort ou des textes criminalisant le simple usage des drogues douces, il ne s’agit que de lois scélérates, sans fondement moral, appelées à disparaître tôt ou tard.

Il sera à l’honneur du gouvernement entamant le renouveau de la Tunisie d’engager cette révolution pour une Tunisie humaniste, à jamais ouverte sur l’altérité, tolérante et soucieuse à la fois d’attachement à ses valeurs ancestrales que d’imprégnation ontologique des droits humanistes. Ce ne sera rien d’autre que l’enracinement dynamique tunisien traduisant au mieux la spiritualité de son peuple s’abreuvant dans l’esprit d’un islam populaire qui est avant tout une transcendance immanente, un divin social.

Une parade au grand remplacement

La politique sera alors en mesure d’atteindre au sublime, renouant avec l’art des mots en mesure de soigner les maux, une politique magnétique, en somme. On sait, à ce propos, qu’il est une vibration aux mots que je qualifie de sémantique.

À cause de cette vibration sémantique, tout propos en politique irradie ; or, si sa base est une force d’inertie, alors une telle force et une telle inertie se retrouvent fatalement dans la vibration sémantique ainsi démultipliée. D’où les horreurs dont souffre de plus en plus le monde, fruits de politiques usant non seulement des mots creux de la langue de bois, mais aussi de ceux de la haine et du rejet d’autrui, cet autre soi-même.

Dans l’Europe en totale crise morale encore plus qu’économique ou politique, on voit cette force d’inertie sous la forme de ce qu’on a appelé Eurabia ou récemment, lors des dernières élections européennes avec l’écrivain Renaud Camus, de l’imposture du grand remplacement.

Seule une parade en mots d’amour a la vibration qui magnétise et soigne — donc en termes d’ouverture en ce monde cloisonné —, est de nature à contrer efficacement de telles supercheries mentales, exploitant des peurs irrationnelles, cherchant à faire vérité des mensonges éhontés.

En un moment crucial comme celui que nous vivons de la décadence éthique généralisée en un monde déboussolé, c’est d’un revif des valeurs qu’on a le plus besoin. Cela ne peut venir que d’un ordre amoureux à quêter et à établir sur l’étendue d’une aire de civilisation à laquelle doivent travailler toutes les vraies bonnes volontés du Sud comme du Nord.

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  • L’ouverture au monde est en effet une constante de l’histoire tunisienne, elle est ici développée avec un certain lyrisme. Il serait intéressant de savoir si les articles de M. Othman dans Contrepoints sont lus par des tunisiens ou même en Tunisie. Qu’en pensent-ils?

    • Oui, ils sont lus et médités par certains; mais la quasi-majorité, conditionnée par la bien-pensance se réclamant de la Modernité et encouragée par le dogmatisme laïque , les met sur le compte de l’utopie. Ce qui ne fait que renforcer l’intégrisme des religieux et leur refus de leur propre révolution mentale. Pour différentes raisons, ne serait-ce que l’état actuel des rapports internationaux, on n’osera aller vers et au-delà même de ce qui est jugé comme une utopie tant que le feu vert ne viendra pas de leurs gourous, les nouveaux bien-pensants d’Occident.
      C’est pour cela que je lie le sort de la Tunisie à celui de l’Europe et vice-versa. La réussite ou l’échec d’une démocratie — et non une sous-démocratie — en une Tunisie vue aujourd’hui juste en un marché pour le capitalisme mondial aidera à la sortie de la crise pour l’Europe.
      Rien que pour cela, la bataille de la Tunisie est d’abord celle de l’Union européenne qui a intérêt à prendre au sérieux les outils que je propose, fruit d’une longue expérience, aussi diplomatique que sociologique de terrain, des deux côtés de notre mer commune.

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