Le prix du baril continue de baisser… et l’Arabe Saoudite ne semble pas réagir… Pourquoi ? Le fait-elle pour ne pas renouveler l’expérience des années 80 lorsque, face à la chute des cours du baril, elle coupa drastiquement sa production, jouant son rôle de « swing producer », mais in fine perdant à la fois tant en parts de marchés qu’en prix ?
Par Aymeric de Villaret.
Les prix du Brent continuent de chuter et l’on approche bientôt de la barre des 80$ / baril. Depuis le plus haut du 19 juin 2014 (lorsque Daech était aux portes de Bagdad), le cours a chuté de -31,5 $ soit -28%.
L’Arabie Saoudite ne veut plus jouer son rôle de responsable des cours du brut
De manière très nette, l’Arabie Saoudite apparaît comme souhaitant ne pas réagir. Différentes phrases attribuées à de nombreux responsables saoudiens ainsi que l’annonce d’une baisse des prix à ses clients asiatiques sont là pour en témoigner. Même s’ils ne poussent pas les prix à la baisse, une « source » indique qu’ils seraient prêts à ce que le marché trouve son plancher et accepter des prix plus bas jusqu’à ce que d’autres au sein de l’OPEP agissent.
L’Arabie a beau avoir besoin, selon les estimations de Deutsche Bank, d’un baril à 93$ pour équilibrer son budget, le royaume souffrirait moins d’un baril bas que la majorité des autres membres de l’OPEP, notamment l’Iran et le Venezuela. Un ancien responsable de l’entreprise d’État Saudi Aramco, Sadad al-Husseini, analyse d’ailleurs la situation actuelle en expliquant que le message est : « N’attendez pas de nous que nous prenions sur nos épaules la responsabilité de diriger le marché mondial de pétrole »
Et cela alors que l’Arabie Saoudite est reconnue comme « gérant » des marchés du pétrole : le Royaume possédant une « capacité disponible » de production de brut (« spare capacity » en anglais) alors que les autres pays producteurs produisent (à l’exception parfois, mais nettement moindre, des Émirats Arabes Unis et du Koweït) au maximum de ce qu’ils peuvent.
Le parallèle avec les années 80
Le premier choc pétrolier de 1973 (suite à la guerre du Yom Kippur) suivi du second choc pétrolier de 1979 (consécutif à la révolution iranienne), entraînèrent une forte hausse des cours du baril.
Or cette même hausse –avec son impact sur la demande mondiale – associée aux découvertes de pétrole en Mer du Nord, engendrèrent d’un côté le ralentissement de la demande et de l’autre l’arrivée d’une nouvelle offre. Face à cette arrivée, l’Arabie Saoudite choisit la stratégie de défense de prix et coupa de manière drastique sa production (voir graphe ci-après). Elle passa ainsi, selon les chiffres de BP Statistical Review, de 10 Mb/j dans les années 1979 à 81 à 3,6 Mb/j en 1985.
Évolution de la production de l’Arabie Saoudite de 1978 à 2013
Les coupures des années 80 n’empêchèrent pas la chute du brut. Mais cela n’empêcha pas les cours du baril de baisser et en 1986, ceux-ci tombaient dans la zone des 15$ – l’Arabie Saoudite se décidant alors à remonter sa production – alors qu’ils étaient proches des 40$ auparavant. Il fallut cinq ans à l’Arabie Saoudite pour remonter sa production et reprendre les parts de marchés perdus : de 5,5 Mb/j en 1987, elle n’atteint les 9 Mb/j qu’en 1991. Ainsi le royaume avait-il perdu de 1986 à 1990, tant en volumes qu’en prix ! La grande erreur, selon certains, aurait été de continuer à couper la production pour maintenir les prix alors que face à la nouvelle offre, il fallait trouver un nouvel équilibre pour les prix et aller contre les marchés était un non-sens.
Conclusion
Un certain parallèle avec aujourd’hui ? Force est de constater que l’on peut trouver beaucoup de similitudes entre ce qui s’était passé lors des années 80 et aujourd’hui, avec :
1) L’huile de schiste américaine prenant la place du pétrole de la Mer du Nord
2) Un cours du baril élevé depuis un certain temps
3) Une croissance de la demande faible.
Soit des marchés de pétrole passant d’un état de rareté à un état d’abondance. Ainsi, l’Arabie Saoudite aurait intérêt, si l’on suit ce parallèle, à laisser les marchés s’autoréguler et laisser les autres pays producteurs, tant au sein de l’OPEP qu’en dehors, participer aux efforts de coupure nécessaires.
Il est si facile de se reposer sur un leader.
C’est étonnant. Vous passez totalement sous silence l’aspect géopolitique… pourtant essentiel dans le « prix » du pétrole.
Prétendre que le « prix » du pétrole est encore fixé par un « marché libre », c’est comme donner la clé de la cave à un banquier central : une farce bien alcoolisée.
La baisse subite du « prix » du pétrole est politique.
Elle permet d’atteindre plusieurs objectifs :
-taper sur l’Iran (qui demeure l’arche-ennemi)
-taper sur la Russie (exactement d’ailleurs comme au début années 80)
-redonner du carburant au consommateurs US (particuliers, entreprises) alors que les économies s’essoufflent
Seul contre argument : « oui mais ça met à mal l’industrie US dans les hydrocarbures non conventionnels ».
L’endettement.
Un problème qui peut être arrangé entre bons amis (FED, banques), en tout cas pour un temps.
Si vous lisez mes publications précédentes, vous verrez que je commente souvent sur l’aspect géopolitique du pétrole.
Exemple avec le lien ci-dessous :
http://aymericdevillaret.wordpress.com/egypte-libye-syrie-oui-le-petrole-est-une-matiere-premiere-geopolitique/
Je précisais même : Oui, le pétrole est une matière première géopolitique
L’article d’aujourd’hui a plus pour but de montrer que l’Arabie Saoudite comme le commente la personne suivante a tellement de réserves qu’elle n’a pas intérêt à perdre des parts de marchés.
Ensuite, il y a plein de raisons possibles quant au « timing » de cette décision, dont celles que vous citez.
L’AS a le pétrole le plus rentable du monde, c’est dans son intérêt de casser le cartel, plutôt que de se sacrifier pour maintenir un prix du baril haut pour les autres.
Le roi Al-saud est persuadé que dans 100 ans on aura encore besoin de son pétrole, qu’on ne trouvera pas d’alternative et c’est pour cela qu’il voulait jouer la cartellisation plutôt que la concurrence. Mais d’année en année de plus en plus d’avancés dans le nucléaire tendent à prouver le contraire.
En deca de 80$ le baril, le pétrole de sables bitumineux n’est pas rentable.
Another Gulf official said U.S. oil prices could fall to around $70 a barrel before substantial quantities of U.S. shale oil production become uneconomic—suggesting some in OPEC expect prices to fall further.
“$70…is the magic number,” the official said.
Et oui, les autres pays du Golfe (Emirats Arabes Unis et Koweit) sont d’accord…
Cela rejoint mon message précédent sur une volonté de gêner les producteurs d’huile de schiste américains !
http://aymericdevillaret.wordpress.com/2014/10/09/les-etats-unis-vont-ils-rejoindre-lopep/
Il ne faut oublier la conséquence de la baisse des prix de 1985.
Avec la baisse des prix, la consommation de pétrole aux USA est repartie en forte hausse et la production a diminué. Les importations sont donc repartis en hausse.
Entre 1985 et 1990, la production de pétrole au Moyen Orient a augmenté de presque 7 millions de bails par jour.
Résultat, en 1990, c’est la guerre du Golfe.
Source
Consommation et production de pétrole aux USA 1970-2013
http://img4.hostingpics.net/pics/739999OilUSA19702013.png