Par Léna Di Scala.
Un article de Trop Libre.
Non, les Britanniques n’ont pas le monopole de la pensée libérale. Du moins, c’est ce que veulent montrer Robert Leroux et David Hart dans l’âge d’or du libéralisme français, un recueil de 41 extraits écrits au XIXe siècle par plus de 25 auteurs différents. Ce travail de sélection revêt alors une dimension fondamentale : il met en lumière nombre de travaux qui révèlent l’importance du paradigme libéral en France, de la Révolution française à la Première Guerre mondiale. Il permet de rappeler que l’Europe libérale ne se cantonne pas au Royaume-Uni, et que les penseurs français ne furent pas en reste dans la production de théories, courants et critiques issus du libéralisme.
Dans cet ouvrage, de quel libéralisme parlons-nous ?
De tous, en réalité, à savoir le libéralisme politique comme économique. Car si la notion est aujourd’hui scindée en deux, rappelons que nos ancêtres libéraux revendiquaient une liberté politique dont l’existence était conditionnée par la liberté économique.
C’est en toute logique que l’on découvre alors, dans ce recueil, des plaidoyers en faveur du libre-échange, de la division du travail ou encore de la propriété, qui sont aux fondements de la liberté individuelle. Et qu’on se laisse emporter par la ferveur des discours contre le despotisme napoléonien, ou pour la liberté de la presse. Car ces auteurs furent très souvent inquiétés par l’Empire.
Éloge de l’humanité
Le premier extrait du livre, que l’on doit à Benjamin Constant, est d’ailleurs un éloge à l’humanité. Choix judicieux des auteurs, en réponse à l’image entachée dont le libéralisme souffre en ce moment. Ce texte a néanmoins subi, et très cruellement, les outrages du temps. Il est empreint d’un positivisme qui dépasse l’entendement. Mais il ne faut pas se laisser décourager par cette entrée en matière, dont le caractère dépassé jure avec l’actualité éclatante de certains autres textes.
Le XIXe siècle a fait naître les grandes théories du libéralisme, dont la particularité française réside dans la lutte contre le protectionnisme et la montée en puissance de l’État. Mais ce fut aussi l’occasion de leur déclin, grandissant jusqu’au coup de tonnerre de la Grande Guerre. La période choisie par Leroux et Hart permet alors d’apprécier les différentes phases que le mouvement de pensée a connues, en relation avec les succès et revers qu’il a rencontré.
Une grande variété de textes
L’intérêt du recueil réside aussi dans la variété de ses textes, car si les différentes disciplines des sciences sociales sont aujourd’hui bien segmentées, cela n’était pas vrai au XIXe siècle. Ainsi les auteurs mobilisent des connaissances issues de l’histoire, mais aussi de l’économie politique ou de la sociologie naissante. Et l’on trouvera même quelques chansons populaires, écrites par Pierre-Jean de Béranger. L’apport culturel fourni par l’ouvrage met notamment au jour l’influence libérale parmi les classes populaires, trop souvent oubliée.
La voix libérale comprend plusieurs tonalités, que l’on retrouve ici, des partisans de Smith (Jean-Baptiste Say) aux pères de l’anarcho-capitalisme (Gustave de Molinari). Les divergences se situent, par exemple, dans la perception du rôle de l’État. Certains s’expriment en termes de lutte des classes, entre industrieux et oppresseurs, anticipant de ce fait la théorie marxiste. Les remèdes proposés sont – est-il nécessaire de le préciser ? – diamétralement opposés.
Malgré cela, le livre manque de diversité. Ou plutôt d’originalité. Car si l’on peut s’attendre à découvrir quelques bijoux du libéralisme, ensevelis jusqu’alors et tout juste dépoussiérés, le livre n’est pas à la hauteur de nos espérances. De célèbres auteurs, tels que Frédéric Bastiat ou Alexis de Tocqueville, sont cités à maintes reprises. Les théories présentées ne brillent pas par leur caractère inédit. Néanmoins pédagogique, le recueil semble bien s’adresser à un public moins averti.
Enfin, si l’apport personnel des auteurs est très limité, on déplore entre les lignes un certain jugement de valeur sur les extraits présentés. Et bien plus que dans l’expression d’une opinion, le problème se situe dans un manque de justifications. On aurait peut-être souhaité, de même, l’établissement d’un lien plus fort entre textes et contextes.
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Robert Leroux, David M. Hart, préface de Mathieu Laine, L’âge d’or du libéralisme français, Ellipses, janvier 2014, 32€.
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«Dans cet ouvrage, de quel libéralisme parlons-nous ? De tous, en réalité, à savoir le libéralisme politique comme économique.»
Et le libéralisme philosophique, le plus important (parce qu’il conditionne ou même cause les autres), et le plus critiquable : il compte pour du beurre ?
à lire: http://universite-liberte.blogspot.fr/
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