Poutine, dopé au gaz

La rente gazière confère à la Russie une richesse provisoire et, plus encore, l’illusion de la richesse.

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Vladimir Poutine (Crédits Bohan_伯韩 Shen_沈, licence Creative Commons)

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Poutine, dopé au gaz

Publié le 26 février 2014
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Par Guy Sorman.

vladimir-poutine

Au long des Jeux Olympiques de Sotchi, seuls les athlètes auront été contrôlés pour dopage. Les chefs d’État ne devraient-ils pas également l’être ? Certains Jeux ne coûtèrent rien au pays d’accueil, comme ceux d’Atlanta en 1996 ou de Salt Lake City en 2002, car entièrement autofinancés par le secteur privé. À l’inverse, des nations peu fortunées comme la Chine en 2008, la Grèce en 2004 et la Russie cette fois-ci, auront pulvérisé le record de la dépense publique pour épater le monde : 50 milliards de dollars pour Sotchi. Ne devrait-on pas fixer aux États les mêmes règles de bonne conduite qu’aux sportifs ? Car, un athlète qui se dope nuit peu, tandis qu’un Poutine appauvrit des millions de Russes ; de même que le gouvernement grec avait déclenché la faillite publique de son pays.

Déduire du succès logistique des Jeux de Sotchi, comme le souhaiterait Poutine, que la Russie a renoué avec la puissance et la prospérité, serait une grave erreur de jugement. Le financement de ces Jeux comme la croissance soutenue de l’économie russe depuis quinze ans, reposent entièrement sur une aubaine : une constante hausse du prix du gaz au bénéfice du Gasprom, une entreprise qui se confond avec l’État. Poutine est dopé au gaz. La Russie bénéficie d’une rente gazière, accessoirement pétrolière, à la manière de l’Arabie saoudite, du Qatar ou du Venezuela. On rappellera d’ailleurs – ce fait reste peu connu – que la relative prospérité de l’Union soviétique dans les années 1960, dérivait aussi de cette rente minérale : quand, dans les années 1980, les prix des matières premières et de l’énergie exportée déclinèrent, ne permettant plus à l’URSS d’importer suffisamment pour nourrir le peuple, l’URSS s’effondra. Vladimir Poutine et nous tous devrions nous souvenir de ce passé si proche et, plus généralement, nous remémorer ce que les économistes appellent la « malédiction des ressources naturelles ».

Le gaz russe, le pétrole saoudien ou iranien, le soja argentin (justement surnommé « pétrole vert ») confèrent une richesse provisoire, et plus encore l’illusion de la richesse. Cette illusion et l’argent facile que génère la rente minérale dissuadent gouvernements et entrepreneurs d’innover et de se diversifier. En Russie, depuis que le prix du gaz monte, le pays ne cesse de se désindustrialiser : au pays de Poutine, il ne reste que des oligarques branchés sur les matières premières et de vastes supermarchés où tous les produits de consommation sont importés.

img contrepoints100 PoutineLa rente conduit aussi à des effets politiques notoires : en concentrant la richesse au sommet, elle perpétue les régimes autoritaires. Ceux qui sont assez astucieux pour redistribuer une partie de la rente (Poutine, la monarchie saoudienne, Chavez naguère au Venezuela, Nestor Kirchner puis Cristina Fernandez en Argentine) se constituent une clientèle populaire qui soutient le despotisme redistributeur. Jusqu’au jour où les prix se retournent : ce qui, en ce moment même, est le cas sur le marché du soja et du gaz. Soudain, les gouvernements brésilien et argentin, privés de suffisamment de ressources à redistribuer, n’ont d’autres expédients que de fabriquer de la monnaie : avec l’inflation qui en résulte, leur chute est imminente. Un sort identique guette Poutine. La raison en est que les États-Unis, grâce à la technique de fracturation, mise au point par des entrepreneurs américains, sont en passe de devenir le premier producteur de gaz au monde. Partout, les prix commencent à baisser et ils baisseront plus encore quand les Américains exporteront ce gaz vers l’Europe. En Europe même, la Pologne, la Grande-Bretagne, la France (quand son gouvernement aura fait taire ses écologistes) deviendront des producteurs majeurs au détriment, là encore, de Gasprom.

La « malédiction des ressources naturelles » est cependant une théorie ambiguë : elle laisserait supposer que leur absence est une bénédiction. S’il est vrai que la Corée du Sud ou Israël, par exemple, sont des succès économiques entièrement fondés sur l’absence de ressources naturelles, la Norvège, les États-Unis ou la Grande-Bretagne combinent habilement ressources naturelles et esprit d’entreprise. C’est donc l’esprit d’entreprise et la bonne gestion de l’État qui transforment les ressources naturelles soit en malédiction, soit en vitamines. S’il fallait parier sur l’avenir du modèle russo-poutinien, il me paraît condamné en moins de dix ans : Sotchi, à terme, apparaîtra comme la dernière fête avant l’extinction des feux et l’Histoire russe disqualifiera probablement Poutine pour dopage.


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  • Sacré Poutine , il va finir par adopter un hérisson .

  • Tut à fait d’accord avec l’article.
    Et je tiens même à préciser quelque chose d’oublié dans l’article : la croissance russe n’a été que de 1,3% en 2013, bien inférieur aux USA, UK et même Japon..Et le gouvernement a déclaré lui-même que l’ère de la forte croissance est terminée, prévoyant une croissance de 2,5% par an de 2014 à 2030, ce qui ferait passer le PIB russe de 4% du PIB mondial à environ 3,4%, autant dire que le statut d’émergent ne risque plus de lui convenir.
    Les raisons sont multiples : la démographie défaillante depuis les années 90 commence à frapper (baisse de la population active qui va s’accroître très vite en 10 ans), forte corruption, état beaucoup trop présent, trop forte dépendance au gaz et pétrole.

    Et enfin, et c’est un clair facteur de déclin : 350 millions de personnes parlaient russe en 1990, il n’y en a plus que 250 millions aujourd’hui et 150 millions prévus pour 2025. Car non seulement le russe décline fortement dans l’ex-URSS (au profit de l’anglais maintenant langue étrangère dominante mais aussi des langues locales qui veulent se réaffirmer comme langues nationales en se débarrassant du russe) mais aussi en dehors où le russe en tant que langue étrangère n’intéresse tout simplement pas (très difficile, manque d’attrait du pays, pas de vraie volonté de la soutenir), l’apprentissage du russe aurait quasiment disparu en Chine et au Japon et serait très marginal aux US.

  • Une petromonarchie la Russie..pas toujours les meme quI »ils ont le petrole nous avons les idees »comme disait cette vieille chanson de Sardou..et ces EAU et autres rentiers de produits petrolier m ont toujours parus en bonne sante j en souhaite tout autant sinon plus a la Russie!Les Russes ont bien raison de ne pas s aveulirent a la maniere de l occident

  • La Russie de Poutine est ce village Potemkine, où on dépense une fortune pour faire des jeux olympiques histoire de faire croire au monde que la Russie est grande et de retour.

  • Vous oubliez le Japon qui importe 100 % de toutes les matières premières dont il a besoin y compris naturellement gaz et pétrole. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le Japon se positionne actuellement en leader mondial pour l’exploitation des hydrates de méthane, le passage à la phase industrielle prototype étant en cours, et aussi l’exploitation des nodules métalliques des grands fonds océaniques. Quant à Israël, la mise en exploitation de gisements de gaz très récemment va permettre à ce pays d’être presque indépendant sur le plan énergétique

  • de toute façon, le jour ou la russie sera en faillite, toute sa partie orientale sera recheter par la chine !

    • alors que la france va etre  » racheter  » par le quatar…

    • C’est tendance !
      Vladivostok avait vendu son port et la ZI à la province du Heilonjiang. Le Kremlin, outré, a fait annuler la vente !

    • Même en faillite la Russie n’autorisera jamais ça, question de fierté nationale, surtout dans un pays ayant l’arme nucléaire. Déjà qu’ils ont du mal à abandonner leurs anciennes colonies alors leur propre territoire…Et puis je ne crois pas à une faillite de la Russie, pas avec toutes leurs ressources naturelles, mais plutôt à une longue période de stagnation/très faible croissance.

      • le problème de la russie, c’est qu’elle a beaucoup de ressources naturelles, mais pas de main d’oeuvre pour les faire valoir, alors que la chine a peu de ressources naturelles, mais une population trés abondante…
        ensuite, le territoire de la russie, on a du mal à savoir ou il s’arrete exactement, au 19ième siècle, par exemple, l’alaska était russe. mais ils ont vendu au USA.
        je ne pense pas à une guerre entre la chine et la russie, mais plutot à une colonisation progressive de l’extrème orient russe par des chinois.

  • Le chancelier Schmidt à la fin de la période glaciaire appelait l’URSS une Haute Volta armée de missiles atomiques !
    La rente gazière russe est follement dilapidée et la réhabilitation du pays profond attend toujours. Seules les métropoles brillent.
    Poutine osera-t-il reprendre la Crimée ? J’en doute, malgré les gesticulations.

  • 1. Croire au gaz de schiste, c’est croire aux mirages, les puits s’épuisant très rapidement, mais on en reparlera dans 10 ans.
    2. Comparer Israel, pays totalement sous perfusion américaine, à la Corée du Sud, en parlant de succès économique, c’est vraiment pitoyable, mais je mets cela sur le compte des liens très forts de Guy avec ce pays.
    3. Poutine nous aura tout de même évité un conflit nucléaire en Syrie, et un dépecage par les milices wahabites. Il se murmure que les deux missiles égarés en mer par les américains auraient en fait été interceptés et déroutés par les russes, ce qui aurait calmé tout le monde.
    4. Sur la rente énergétique et l’exploitation politique de Sotchi, avec le gâchis que cela représente, je suis globalement d’accord avec Guy, mais ça n’est pas parce que l’on n’aime pas l’état Russe hypercentralisé, que l’on doit aimer la superpuissance américaine et ses 700 Milliards de dépenses militaires/an…

  • UN ARTICLE CARICATURAL
    Je me rends régulièrement en Russie depuis 20 ans, je la connais donc un petit peu…
    Si il est exact que les matières premières jouent un rôle important dans l’économie russe, réduire celle-ci à une sorte d’Arabie du nord est caricatural et inexact.

    Je rappelle quand même que la Russie reste le deuxième exportateur d’armes au monde, loin devant la France, qu’elle exporte également des technologies et des réacteurs nucléaires, et qu’elle reste de loin numéro 1 mondial dans le secteur de la construction et du lancement de fusées spatiales, notamment.
    De nombreux constructeurs automobiles extérieurs (Renault, Toyota, ect…) y implantent des usines.

    Quand à l’image des supermarchés ou ne se trouveraient que des produits d’importation, elle est totalement fausse: dans les rayons (que je connais bien car j’y fais mes courses) se trouvent essentiellement des produits agro-alimentaires russes. les produits importés, français notamment, sont réservés à une clientèle plus aisée.
    Donc, je le répète en conclusion, limiter la Russie à un pays pétrolier ou gazier en déclin est inexact. Croire cela risque d’entrainer de sévères déconvenues à l’avenir…

    • la russie était le grenier à blé de l’europe en 1914. son potentiel agricole et trés important ( celui du kasackstan également ) .
      depuis quelques années, les céréales ukrainienne et russe font la pluie et le beau temps sur le marché mondiale ( quand la russie décide de fermer le robinet, comme en 2010, les prix s’envolent ) et c’est pas prés de changer…

  • La comparaison entre la Russie et les pétromonarchies du golfe n’est qu’à moitié pertinente (encore heureux que la Russie se soit en partie déindustrialisée au profit des services, car ceux-ci étaient quasi inexistants auparavant ! La qualité de vie, ça ne consiste pas à avoir une usine métallurgique dans son jardin…). Là où l’article touche juste, c’est sur l’utilisation de la rente pétrolière. Si un pays, au lieu de troquer sa rente contre une autre rente, consomme bêtement sa rente pour entretenir l’oisiveté de la population (le pire, c’est le Venezuela) ou en gaspillages somptueux (comme le deviendra Sotchi lorsqu’il s’avérera que le privé voudra bien racheter les installations pour un dizième de leur coût), ce pays s’appauvrit. Lorsque le pétrole est échangé contre des participations dans des entreprises de bonne qualité qui offrent un return réel, on ne perd rien au change, on diversifie ses actifs, et la rente reste alors intacte.

    Le problème de base, c’est le complexe du fonctionnaire. Dans le but de singer le modèle du secteur privé (où il arrive quand même qu’un investissement produise un return), fonctionnaires et politiciens appellent toute dépense publique un « investissement ». Payer les salaires des enseignants et des rats de ministères devient « investir dans l’enseignement », boucher les trous de la sécu s’appelle « investir dans la santé », créer un comité théodule s’appelle « investir dans une meilleure efficacité de l’Etat », etc. Et donc, lorsqu’ils paient les milices bolivariennes avec l’argent du pétrole, les chavistes venezuéliens sont vraiment persuadés d’ « investir dans la sécurité publique », de troquer une rente contre une autre. Le fait que plus ils « investissent dans la sécurité publique », plus le nombre de meurtres augmentent (pour finalement atteindre le niveau le plus élevé au monde), n’a strictement aucune importance, car « un investissement public, c’est pour le long terme ». En fait, dans le secteur public, il est extrêmement impoli et particulièrement déplacé de demander « et alors, le return de votre investissement, il est où ? ».

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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