Propriété intellectuelle au Cameroun : quand l’État se fait voleur

Le Cameroun, zone de non droits d’auteur, n’a jamais eu d’écrivain national. Tous vivent à l’étranger, loin de cette terre hostile qui ignore la valeur de l’écrit et le mérite de ses écrivains.

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Propriété intellectuelle au Cameroun : quand l’État se fait voleur

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 janvier 2014
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Par Eric Essono Tsimi.

Carte_CamerounDans l’esprit du public (autant qu’il puisse en avoir) et même dans celui de nombreux juristes non spécialisés en droit de la propriété littéraire, la contrefaçon c’est un genre de faux, c’est le plagiat de ceux qui ne savent écrire mais peuvent reproduire matériellement des œuvres pour en tirer des profits exclusifs.

En réalité, la contrefaçon peut consister dans le fait de ne pas payer ses droits à un auteur, une violation de ses droits moraux et patrimoniaux donc. C’est écrit noir sur blanc dans toutes les lois sur la propriété intellectuelle. En France comme au Cameroun…

Libérez Enoh

Le Gouvernement camerounais considère les œuvres littéraires et artistiques comme des armes et, dans son obsession sécuritaire, désarme tous les créateurs, les dépouille, les met en prison : l’écrivain Enoh Meyomesse a ainsi été chargé du chef improbable et grotesque de détention d’armes. Puis jugé par un tribunal d’exception : le tribunal militaire, rien que ça ! L’outrageux et dangereux terroriste que voilà maîtrisé!

Enoh Meyomesse ne s’est jamais élevé à la hauteur d’un Francis Bebey par exemple ou du premier écrivain camerounais de stature internationale, René Philombe. Peu importe, l’État n’a pas qualité pour préjuger de son talent ou se prononcer sur la valeur de ses œuvres.

Au Cameroun, c’est sur titre qu’on est admis comme écrivain, en attendant qu’un éditeur veuille bien enfin accepter les manuscrits perdus dans des tiroirs poussiéreux. Ce n’est donc pas faute d’écrire qu’on n’est écrivain ici comme on le serait ailleurs.

Le maintien en détention du président de la seule association d’écrivains camerounaise n’est compris par personne et il n’y aura personne pour l’approuver non plus. Qui sert-elle à la fin, le rôle de cette justice camerounaise, cette folle invariablement dévouée au service d’un fou, le rôle de cette justice est-il de faire éclater de rire et d’attirer la suspicion, comme le plus banal des délinquants qu’elle condamne ?

La prison ou la mort

J’avais 23 ans quand, sans conclure de contrat d’édition, l’État camerounais a publié ma pièce de théâtre Le Jeu de la vengeance, pièce d’un recueil éponyme contenant notamment les œuvres de l’incomparable Dieudonné Niangouna et Angeline Solange Bonono. Ce qui dès la publication de l’ouvrage est un crime de lèse-propriété.

L’État camerounais ou plus précisément son émanation, la SOPECAM, l’EPIC (établissement public industriel et commercial) qui édite notamment le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune m’a méthodiquement dépouillé.

Non seulement un contrat d’édition n’a pas été signé avec moi, mais encore la mention de mon nom à côté de mon titre, Le jeu de la vengeance (le titre de l’œuvre comme l’œuvre elle-même sont indissociables, en droit, du nom de l’auteur) a systématiquement été oubliée. Au point que cet éditeur professionnel a fait paraître la seule pièce de théâtre au monde écrite « sous la direction de » Pierre Barrat : ce dramaturge français ainsi promu comme titulaire des droits de ma création n’a sans doute lui-même jamais perçu le moindre sou de l’œuvre qu’on lui prête.

Dix ans plus tard (j’en ai 33 aujourdhui), après plusieurs ruptures de stocks dûment constatées, alors que ma pièce a été publiée, créée et primée, est présente dans de très grandes bibliothèques à travers le monde (INALCO à Paris et une quinzaine d’universités américaines, parmi lesquelles Harvard, Yale, Berkeley et l’UCLA) je n’ai toujours pas reçu la moindre explication, la moindre réaction à mes réclamations, le moindre droit.

N’étant ni bavard ni querelleur, l’exploitation illégale et ininterrompue de cette œuvre subventionnée (l’État a donné de la main droite et a entièrement récupéré de la main gauche: contrefaçon aggravée de détournements de fonds publics) s’est donc étalée sur une décennie !

Une littérature sans écrivains : merci Paul Biya

Mais au prix de quels dangers est-on donc écrivain dans mon pays ? Ceux des écrivains qui ne vont pas en prison ou ne sont pas affamés à mort par le non-paiement de leurs droits d’auteur sont tellement médiocres qu’ils meurent tout seuls de leur belle mort. Le talentueux Daniel Alain Nsegbe, alias Mutt-lon, me pardonnera de ne pas faire grand cas des exceptions qui existent, si on sait compter jusqu’à trois.

Le Cameroun, zone de non droits d’auteur, n’a donc finalement jamais eu d’écrivain national, c’est-à-dire d’auteur découvert, produit et reconnu par les structures d’édition, le public et la critique nationaux. Tous vivent à l’étranger, loin de cette terre hostile qui ignore la valeur de l’écrit et le mérite de ses écrivains.

Ce n’est qu’à partir de la Bibliothèque Nationale de France que l’on peut écrire une histoire littéraire du Cameroun contemporain: quelle misère ! Quand le pire approche, la vie intellectuelle, souvent, dépérit, s’éteint. Sommes-nous à ce point proche du pire, enterrables à brève échéance ? La victime que je suis demande à Marie Claire Nnana (Directrice générale de la Sopecam) de lui rendre son sang qu’elle a fait couler par torrents depuis dix ans.

L’État camerounais m’encourage-t-il tacitement à porter plainte contre les diffuseurs de la Sopecam et contre les assureurs responsabilité civile professionnelle d’honnêtes bibliothécaires? Cette voie étant la plus susceptible de me faire rentrer dans mes droits dans un délai raisonnable. Cet État (de choses) choisit d’ignorer les dégâts qui déteindraient sur son image déja abimée par l’éternisation d’un dictateur qui ne s’illustre qu’à travers l’entretien de son corps et le paiement des rançons, qui à force s’apparent à des versements de cautions.

Inventer une littérature de la libération

Il est temps d’avoir une littérature camerounaise, de père et de mère pour ainsi dire. Une littérature qui tienne compte de notre histoire, qui se la rappelle, et la fasse vivre. Les bras de leviers (structures d’édition et de diffusion nationales viables, critique littéraire dynamique, subventions massives et ciblées, etc.) qui permettraient à partir du Cameroun le déploiement d’une littérature camerounaise sont inexistants.

La culture, fierté nationale, revendiquée comme telle par les Constitutions successives du Cameroun depuis son indépendance, la culture n’a pas besoin d’états généraux. Avec les moyens qui sont actuellement les nôtres, c’est dans l’industrie de la culture qu’il y a le plus de place pour l’innovation et la croissance.

Ce qu’il y a à faire, on peut bien le faire, si on met aux places qu’il faut ceux qui montrent des aptitudes à bien faire ou ont déja bien fait ce qu’ils ont eu à faire : on les connaît, mais on les ignore. L’État doit faire quelque chose bien sûr. Mais surtout, les auteurs doivent faire vivre sans délai une association qui les représente, une société littéraire, un syndicat d’hommes et de femmes de lettres.

Avant de connaître le destin qu’on leur connait, l’Académie française et la Société des gens de lettres pour ne citer que ces institutions centenaires sont des initiatives privées. L’Association des auteurs indépendants américains pèse si lourd qu’elle a pu défendre ses intérêts corporatistes face au géant Google. Il existe une association d’auteurs sénégalais référencée dans l’Organisation internationale de la Francophonie et consultée pour l’attribution du Prix des Cinq Continents.

Au Cameroun, il y a l’association que dirigeait l’écrivain embastillé Enoh Meyomesse; association dont certes on ignorait tout avant la mise en captivité de son président. Il y a aussi l’inutile et très opaque Sociladra, simple chambre d’écho du ministère de la culture, le strapontin que l’on dédie aux ministre-pour-rire.

La Sociladra est un outil d’enrôlement et de perpétuation de la mentalité de rentier et usufruitier que l’on prête aux Camerounais. La Sociladra se situe en aval du processus et ne se préoccupe (du reste très mal) que de droits d’auteurs, dont elle n’est qu’un collecteur inefficace et un « répartiteur » arbitraire.

Plus cigale que fourmi, promotrice d’une politique du court-terme et de l’expédient, sur fond de lutte de positions (et de positionnement), elle ne songe qu’à « répartir » ce qu’elle a mal gagné, comme une vulgaire association de malfaiteurs en possession d’un butin auquel il doit être fait un sort « en faisant vite, en se cachant ».

À repartir donc. Très peu à construire. Jamais à réfléchir, à évoluer, à consulter, à défendre les auteurs. Avant que n’existent des droits d’auteur, il y a toute une industrie de la littérature qu’on doit installer, des créations à protéger, des œuvres à extraire des limbes, un mouvement qui ne peut être mis en branle que :

– primo, si des auteurs peu ou mal publiés (tous les auteurs résidant au Cameroun) s’unissent comme cela se fait dans les pays qui ont une littérature;
– deuzio, si les écrivains sont libérés et de l’arbitraire de notre Justice aux ordres et de l’avidité de cette Sopecam aux ordres de son PCA, Joseph Anderson Le, journaliste en congés payés à la Présidence de la République du Cameroun où il occupe les fonctions distrayantes de directeur du cabinet civil.

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  • J’ai pas vraiment l’impression que l’auteur exalte la liberté mais bien l’état. Il fait la promotion d’un droit d’auteur imposé par ce dernier, tout en dénonçant son omniprésence.

  • Les commentaires sont fermés.

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