Fiscalité et répression financière : l’imposition visible et invisible

Au-delà de la hausse de la pression fiscale, l’État, en orientant une partie de l’épargne publique vers des titres qui permettent de refinancer sa dette, inflige une double peine à ses contribuables.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
imgscan contrepoints888 impôts et taxes

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Fiscalité et répression financière : l’imposition visible et invisible

Publié le 3 avril 2013
- A +

Au-delà de la hausse de la pression fiscale, l’État, en orientant une partie de l’épargne publique vers des titres qui permettent de refinancer sa dette, inflige une double peine à ses contribuables.

Par Philippe Bruneau et Olivier Raingeard.

Alors que le débat sur la stratégie à conduire pour consolider les finances publiques de la France est relancé, il convient de rappeler le contexte économique et financier dans lequel il s’inscrit : celui d’un endettement vertigineux des États (88% dans la zone euro, 82% au Royaume-Uni, 102% aux États-Unis, 230% au Japon) qui réclame des mesures décisives. Cette situation n’étant pas unique dans l’histoire économique, cinq types d’actions permettent d’y remédier : la croissance économique, le désendettement, le défaut ou la restructuration, l’inflation et la répression financière. Jusqu’à présent, l’Europe a privilégié à marche forcée la voie du désendettement et la répression financière. Conséquence pour la France, à la pression fiscale explicite de la loi de Finances de 2013, la répression financière vient ajouter une imposition plus implicite, plus discrète, mais néanmoins réelle.

La voie du désendettement français, qui passe par un objectif, déjà remis en cause, de réduction du déficit à 3% du PIB en 2013, s’opère principalement par une hausse des impôts. Elle approche, au travers de la deuxième loi de Finances rectificative pour 2012 et de la loi de Finances pour 2013, les 30 milliards d’euros. Si l’augmentation de la pression fiscale était inéluctable, son ampleur fait néanmoins peser un double risque. En premier lieu, elle est susceptible de précipiter le pays en récession, d’autant plus qu’un choc de défiance semble aujourd’hui frapper les agents économiques. En second lieu, avec un taux de prélèvement obligatoire estimé de 46,3% en 2013, le plus haut niveau jamais atteint, la France se situe désormais au troisième rang européen derrière le Danemark et la Suède. Les marges de manœuvre en matière de pression fiscale sont donc très faibles. Et les risques de tomber du mauvais côté de la courbe de Laffer élevés.

Personne ne conteste sérieusement la nécessité impérieuse de revenir à moyen terme à l’équilibre budgétaire. On regrettera cependant que la voie de la réduction des dépenses – 10 milliards d’euros principalement par la reconduction des règles et principes adoptés par le précédent gouvernement – n’ait pas, pour l’instant, été explorée plus à fond. D’autant que la France est, avec un taux de 56% du PIB, la championne européenne des dépenses publiques, très loin devant les 45% de son principal partenaire, l’Allemagne. Dans ce domaine, les marges de manœuvre sont donc considérables.

On regrettera en outre que l’augmentation de la pression fiscale ne se soit pas inscrite dans une stratégie d’ensemble. Que la solution de la croissance, qui réclamerait un choc de compétitivité majeur nécessaire à la restauration de la confiance, n’ait pas fait partie de l’arsenal des mesures. Qu’en conséquences, si les premières mesures pour améliorer la compétitivité et flexibiliser le marché du travail constituent un « choc culturel », elles restent insuffisantes par la taille – les mesures de compétitivité représentent 1% du PIB contre 1,5% recommandé par le rapport Gallois – et sont sujettes à un risque d’exécution. On le regrettera d’autant plus qu’à cette imposition visible s’en ajoute une imperceptible mais aux effets bien réels : la répression financière.

La répression financière se manifeste lorsqu’un gouvernement prend des mesures pour orienter au profit de l’État des fonds qui, en l’absence de réglementation du marché, iraient s’investir ailleurs. Elle s’appuie généralement sur deux piliers : le plafonnement explicite ou implicite des taux d’intérêt nominaux à de faibles niveaux ; la création ou le maintien d’une base d’investisseurs domestiques destinés à financer les dettes publiques. Mise en place au sortir de la seconde guerre mondiale par les États afin de purger leurs dettes, elle annonce son grand retour.

En effet, la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) – matérialisée par un taux d’intérêt directeur de 0,75%, par deux opérations de refinancement à long terme et par son nouvel outil d’intervention sur la dette souveraine – et les réglementations Bâle 3 et Solvency 2 ressemblent furieusement à l’arsenal traditionnel de la répression financière. À la différence près que celle d’aujourd’hui est plus discrète et sans doute involontaire. Car, d’une part, les nouvelles règles prudentielles – favorables au recyclage des dettes publiques des pays développés, actif considéré sans risque pendant plusieurs décennies – sont principalement destinées à renforcer la résilience du système financier. D’autre part, la BCE – indépendante par statut – cherche à prévenir le risque de déflation et à assurer la stabilité du système financier.

La conséquence de ce phénomène est que la répression financière contribue à une douce euthanasie de l’épargnant. En effet, l’État français s’endette aujourd’hui à des taux compris entre 0% et 2,3%. Avec une pression fiscale récemment accrue sur les revenus et le capital et une inflation de l’ordre de 2%, le rendement réel servi aux épargnants est compris entre -2% et -4%. Il y a donc un transfert définitif de richesse des créanciers, ici l’épargnant, vers l’emprunteur, l’État, via une fiscalité visible et une autre moins perceptible mais néanmoins réelle qui fait office de double peine.


Philippe Bruneau et Olivier Raingeard sont directeur central et chef économiste de la Banque Neuflize OBC.

Voir les commentaires (4)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (4)
  • Entre -1% (2,3%*0,4-2%) et -2% (0%*0,6-2%) plutôt.
    L’Etat ne taxe pas encore (sauf ISF) un rendement nul.

  • J’adore le dessin de Le Honzec. Il me fait penser à ces gamins turbulents qui mijotent une connerie quand on ne les entend plus. Voici une excellente description de notre président. La récente affaire ne fait que confirmer le fait.

  • Soigner les symptômes n’a jamais guéri de la maladie.

  • Contrepoints fait vraiment un travail formidable, sans équivalent sur le Net français.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Depuis son élection, Javier Milei a considérablement réduit les dépenses publiques en Argentine. Le résultat, comme l'avait prédit Hazlitt, est que l'inflation est de mieux en mieux maîtrisée.

 

Le taux d'inflation en Argentine a récemment atteint son point le plus bas depuis janvier 2022, enregistrant une augmentation mensuelle de 4,2 % en mai, selon l'Institut national des statistiques et du recensement (INDEC). Bien que l'inflation annuelle ait ralenti pour la première fois depuis la mi-2023, elle s'élève toujours à 276,... Poursuivre la lecture

À l'heure où notre État se trouve empêtré dans les déficits et une dette devenue difficilement soutenable, et que la campagne des législatives s'articule autour d'une surenchère de promesses plus dépensières les unes que les autres, il est utile de se remémorer dans quelle situation s'est trouvé notre pays lors de la dernière grande crise financière qu'il a connue, celle de 1789.

Le prince n’est plus le même, mais la coexistence d’une dette énorme, fruit des règnes de Louis XIV et de ses successeurs Louis XV et Louis XVI, et de déficit... Poursuivre la lecture

La revue The Economist a publié le 22 février 2024, un intéressant article sur le Pérou comme modèle économique, que pourrait suivre l’Argentine. Cet article a étonné de nombreux Péruviens. Comment, avec la classe politique aussi minable que nous avons, pouvons-nous être un modèle ? (contrairement à l’élite française, l'élite péruvienne ne se prend pas au sérieux). Eh bien, The Economist a parfaitement raison, le Pérou est un pays bien géré sur le plan macroéconomique, grâce à une équipe basée à la Banque centrale du Pérou et au ministère des... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles