La liberté une et indivisible

En tant qu’absence de coercition, la liberté est une et indivisible. Elle ne doit pas être confondue avec la possibilité de faire des choses.

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La liberté une et indivisible

Publié le 23 juillet 2012
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En tant qu’absence de coercition, la liberté est une et indivisible. Elle ne doit pas être confondue avec la possibilité de faire des choses.

Par Éric Ng Ping Cheun.
Publié en collaboration avec Audace Institut Afrique.

La liberté serait-elle, comme le pouvoir pour Michel Foucault, partout et nulle part ? La supplique de Kafka – “Que de mal on fait au nom du Bien” – résonne devant les crimes commis au nom de la liberté, tant il est vrai que “lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté” (Confucius). Les ennemis de la liberté se recrutent aussi bien parmi les totalitaires que parmi ces pseudo-libéraux qui ont “la liberté à la bouche et le servage au coeur” (Chateaubriand).

Selon Abraham Lincoln, “le monde n’a jamais eu une bonne définition du mot liberté”. Il y a eu plutôt confusion. Depuis Montesquieu, comme le peuple paraît faire à peu près ce qu’il veut dans les démocraties, “on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple”. La liberté serait le pouvoir de se satisfaire : cette idée de la liberté-pouvoir se retrouve dans des affirmations telles que, “quand je peux faire ce que je veux, voilà ma liberté” (Voltaire), ou la liberté comme “l’absence d’obstacles à la réalisation de nos désirs” (Bertrand Russell), voire comme “l’absence de gêne extérieure” (Thomas Hobbes).

En vérité, écrit Lord Acton, “il n’y a pas plus de proportion entre liberté et pouvoir qu’il n’y en a entre éternité et temps”, car “la liberté dépend de la division du pouvoir”. On ne peut assimiler la liberté à la liberté-pouvoir : le pauvre peut avoir moins de possibilités de faire des choses que le riche, mais il est plus libre qu’un riche vivant dans une société totalitaire.

Une fin, et non un moyen

John Locke nous donne la vraie définition de la liberté individuelle : celle-ci est absence de coercition, c’est-à-dire une situation où l’individu n’est pas soumis à la volonté arbitraire de quelqu’un d’autre, mais suit la sienne sans entraves. En tant qu’absence de coercition, la liberté est une et indivisible. C’est par l’usage de cette liberté qu’apparaissent de multiples libertés secondaires.

Le philosophe Isaiah Berlin fait la distinction entre liberté positive et liberté négative. La liberté positive est tout ce qui est interdit, sauf ce qui est explicitement permis. La liberté négative est tout ce qui est permis, sauf ce qui est interdit par des règles générales. La vraie liberté est négative alors que les libertés secondaires sont des libertés positives.

La liberté n’a pas de limites, mais elle a des frontières qui délimitent la souveraineté de l’individu par des règles qu’il est tenu de respecter. Depuis Kant, la liberté s’arrête là où commence celle des autres. Ce qui suppose que l’individu ait une sphère privée protégée par des droits de propriété, à l’abri d’immixtions d’autrui.

Suivant cette éthique kantienne, la liberté est une fin pour servir l’homme, et non un moyen pour se servir des hommes. On doit respecter la liberté comme une valeur en soi sans porter un jugement sur les conséquences, bonnes ou mauvaises, de son application dans un cas concret. La liberté est autant une occasion de faire bien qu’une faculté de faire mal. Notre foi dans la liberté repose sur la confiance de la voir libérer davantage de forces pour le bien que pour le mal.

La liberté est essentielle à l’individu afin qu’il affronte l’imprévisible. Dans un monde d’omniscience, il n’y aurait guère de raisons de plaider pour la liberté. Or l’homme est sujet à l’ignorance et à l’erreur, tant il vit dans l’inconnu et dans l’incertain. Toutes les institutions de liberté, comme le marché ou la règle du droit, sont des adaptations à la relative ignorance de l’individu sur les faits dont dépend son avancement. Le monde demeurera, suivant Pascal, “dans l’ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l’homme”.

Par la reconnaissance de l’inconnaissance, de l’inéluctable ignorance humaine, l’homme ne sera jamais le maître de son destin. Ainsi, nul ne saurait créer une société à dessein ni maîtriser délibérément les activités humaines. Le progrès ne peut être dirigé ni être dosé. Selon le sociologue Edgar Morin, “travailler dans l’incertain et dans l’inattendu, c’est le destin de la pensée et de l’action humaines”.

Le système des principes

Ainsi, les phénomènes sociaux sont les résultats de l’action des hommes, mais non de leurs desseins. L’ordre ne crée pas la liberté, mais la liberté engendre un ordre non intentionnel. C’est un ordre spontané, cher à Friedrich Hayek, où chaque individu est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions.

Cet ordre libéral, qu’on appelle le libéralisme, est défini par Benjamin Constant comme “le système des principes”, dans lequel toute action du pouvoir est guidée par des principes. Les hommes ne peuvent sauvegarder la liberté qu’en suivant des principes, et ils la détruisent en se servant d’expédients politiques ou en faisant preuve d’opportunisme dans l’action collective.

Que constatons-nous ? Que la liberté est une plante rare et délicate. Qu’elle est un concept inactuel dans les débats parlementaires chez nous.

On prétend être un homme de principe, mais on fait comme si “en politique tout est possible”. On se considère être un homme libre, mais on ne jouit pas de la liberté absolue de conscience. On professe la compétence et la loyauté, mais on se sert des hommes à ses propres fins politiques. On se dit humaniste, mais on salit l’humanité qui est dans l’homme.

Faisons du plaidoyer pour la liberté un plaidoyer pour les principes.

—-
Sur le web.

(*) Éric Ng Ping Cheun est directeur de PluriConseil, Ile Maurice, www.pluriconseil.com, auteur du livre Alice in Dodoland: Looking to the Mauritian economy (2012)

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  • Je suis dubitatif quant à l’ordre qui serait généré par la liberté, il me semble qu’il faudrait plutôt parler d’organisation, plus dynamique. Ce dynamisme, qui entraîne des restructurations, qui génère de nouveaux moyens de gestion des contingences matérielles, disqualifie les principes et autres références culturelles intemporelles. Le monde change et nous recréons, ensemble, continuellement, la modélisation de la réalité, ce qui fait que la négociation est incontournable (ce qui n’est absolument pas incompatible avec la liberté, au contraire).

    • Ce qui n’empêche pas qu’il faille respecter certains principes pour garantir la liberté.

      • C’est la question des moyens. Une loi écrite pour faire respecter un principe qui garantie la liberté dans un certain système de contraintes matérielles peut devenir néfaste dans un autre. Le principe est une légitimation forte et peu flexible, surtout quand on érige des croyances en principes, ou inversement quand il n’y a pas de consensus sur leur distinction.

        Je veux dire… je serais presque d’accord, mais je suspecte une certaine naïveté de ma part sur le sujet. Les “principes” qu’on rencontre au quotidien (d’une autre dimension que ceux auxquels on pourrait lier cet article, j’en conviens) sont le plus souvent des contraintes artificielles dédiées à empêcher la liberté.

        • Bien sûr, c’est pour ça qu’on doit s’assurer que les principes qu’on grave dans le marbre soient universels. Comme c’est le cas des droit de propriété, de liberté…

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