Les dirigeants européens ont la solution miracle pour faire redémarrer l’économie. Il y a certes le fameux plan de relance de 120 milliards d’euros qui consiste à créer plus de dette pour sortir de la crise de la dette (!), mais il y a aussi et surtout les fameux eurobonds.
Par Yann Henry
Les détails du projet ne sont pas encore finalisés, mais le principe serait de collectiviser les dettes des États de la zone euro. Il y aurait par conséquent un assouplissement des conditions d’emprunt pour les États devant actuellement payer des taux élevés au prix d’une augmentation des taux pour les États bénéficiant pour l’instant de taux faibles. Les États les moins bien gérés pourraient ainsi en profiter pour se désendetter.
La première objection à ce projet est éthique : les États surendettés ne le sont pas devenus par hasard, et ceux qui ont maîtrisé leurs déficits le doivent à la (relative) rigueur de leur gestion et non à la chance. Certains ont dû sérieusement serrer les cordons de la bourse (Finlande, Slovaquie et Estonie) et ne voient pas pourquoi ils auraient à payer pour ceux qui ont vécu au-dessus de leurs moyens et qui ont parfois un niveau de vie qui reste plus élevé que le leur.
La ministre des Finances finlandaise se refuse ainsi à payer la dette des autres États et déclare même que « la Finlande ne s’accrochera pas à l’euro à n’importe quel prix et est prête à tous les scénarios ». Pour le ministre estonien des Finances : « les Grecs doivent faire des réformes et réduire leur niveau de vie. Ils ne l’ont pas encore assez fait. Leur salaire minimum reste deux fois plus élevé que le nôtre en Estonie. Je ne pense pas qu’ils le méritent. ».
La création d’eurobonds introduirait en effet un nouvel aléa moral considérable, formidable incitateur à une déresponsabilisation croissante. La morale de la fable de la cigale et de la fourmi s’en retrouverait inversée et, pour paraphraser l’économiste français Frédéric Bastiat, l’Europe deviendrait officiellement cette grande fiction à travers laquelle chaque État s’efforcerait de vivre aux dépens des autres États (en l’occurrence surtout de l’Allemagne).
L’efficacité économique d’une telle mesure est en outre très douteuse. Ces eurobonds ne constituent en effet pas une nouvelle solution : ils ont déjà existé par le passé, même s’ils n’en portaient alors pas le nom. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’évolution de l’emprunt à 10 ans des 12 fondateurs de la zone euro (la Grèce n’a en fait rejoint les 11 autres pays qu’en 2001 au lieu de 1999, faute de satisfaire aux critères de Maastricht…) :
L’étendue correspond à l’écart entre la valeur la plus élevée et la moins élevée; source Eurostat
On s’aperçoit qu’en 1999 chacun des États empruntait à des conditions plus ou moins similaires, exception faite de la Grèce qui attendit 2001 pour voir ses taux converger avec ceux des autres. Jusqu’au deuxième semestre de 2008, les conditions d’emprunt de ces États demeurèrent proches les unes des autres.
On remarque également que les conditions d’emprunt de l’ensemble des membres de la zone euro sont restées pendant cette période proche de 10 ans à des niveaux très inférieurs à ce qu’ils pouvaient espérer auparavant.
Nous avons donc déjà connu pendant près de 10 ans une situation analogue à celle que l’on vise à mettre en place en créant des eurobonds, ce qui ne nous a manifestement pas empêchés de nous retrouver dans la situation actuelle de surendettement. S’il y eut certains cas de gestion rigoureuse où les gouvernements ont profité de la baisse des taux pour se désendetter (comme en Finlande), plus courant fut le comportement de passager clandestin. Celui-ci consiste à bénéficier des avantages de l’union économique sans en respecter les règles de gestion rigoureuse, et à profiter de la baisse des taux pour emprunter et dépenser toujours plus. Et lorsque les investisseurs se sont rendu compte que certains États pouvaient faire défaut, ils ont revu leurs primes de risque pour prêter aux membres de la zone euro. On constate ainsi, depuis le deuxième semestre 2008, une différenciation nette de leurs conditions d’emprunt :
Malgré tout, quoi qu’il advienne du projet des eurobonds, la collectivisation des coûts a déjà été engagée par les États européens par l’entremise du Mécanisme européen de stabilité qui va intervenir par l’achat des dettes souveraines sur le marché secondaire. Cet organisme risque fort d’être un tonneau des Danaïdes puisque ses membres (dont la France) sont irrévocablement engagés (article 9.3) à honorer sur demande tout appel de fonds dans les sept jours après réception, faute de quoi les récalcitrants seront poursuivis en justice.
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