Hayek vs Comte. Subjectivisme en sciences sociales versus positivisme

La complexité sociale et économique, la subjectivité et la liberté humaine sont-elles réductibles à des lois rationnelles ? La réalité de l’action humaine intentionnelle n’échappe-t-elle pas au déterminisme strict et aux tentatives de prédiction quantitatives ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
hayek7

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Hayek vs Comte. Subjectivisme en sciences sociales versus positivisme

Publié le 27 juin 2012
- A +

La complexité sociale et économique, la subjectivité et la liberté humaine sont-elles réductibles à des lois rationnelles ? La réalité de l’action humaine intentionnelle n’échappe-t-elle pas au déterminisme strict et aux tentatives de prédiction quantitative ?

Par Damien Theillier.

Peut-on réduire l’univers à une mécanique simple, facilement décodable ? Et peut-on appliquer cette méthode à la société de façon à prédire les faits sociaux et à les organiser scientifiquement ?

Tel est le défi lancé par la science moderne à partir du XVIIe siècle, défi relevé par Auguste Comte et Saint Simon dans le domaine des sciences sociales au XIXe siècle.

Pourtant des penseurs, dont Hayek, ont contesté cette vision simplificatrice d’une science universelle, capable de s’appliquer à tout objet, y compris à l’homme.

Ainsi, pour Max Weber, « moins que jamais la science authentique, qu’il s’agisse de la physique ou de la sociologie, nous donne de l’univers, cosmique ou humain, une image achevée, dans laquelle on pourrait lire notre destin ou notre devoir. » (Max Weber, Le savant et le politique. Préface de R. Aron).

 

Le positivisme de Auguste Comte

Auguste Comte est le fondateur du positivisme, philosophie qui admet pour seule démarche rigoureuse la méthode expérimentale.

En effet, sa loi des trois états relègue l’état théologique et l’état métaphysique aux âges de l’enfance et de l’adolescence de la pensée. Les croyances en Dieu ou en l’âme lui apparaissent comme des fictions de l’imagination.

L’état positif est l’état de l’esprit qui a renoncé à ces fictions pour s’attacher aux lois de la nature, c’est l’âge adulte de la pensée, l’âge de la science moderne. La science doit renoncer à la question du « pourquoi » (recherche du sens et de l’absolu) pour se concentrer sur le « comment » afin de décrire les lois de la nature, dans le but d’être utile à la société.

Chez Auguste Comte, le positivisme est aussi la conviction que la démarche expérimentale peut s’étendre à l’ensemble des questions que soulève l’esprit humain. Aussi Comte envisageait-il l’extension de la méthode positive à la totalité des disciplines, y compris à l’étude de l’ordre social qu’il fut le premier à appeler « sociologie ».

C’est pourquoi Raymond Aron a écrit :

« On peut appeler positivistes les sociologues qui croient à l’unité fondamentale de la méthode scientifique. »

Mais la complexité sociale et économique, la subjectivité et la liberté humaine sont-elles réductibles à des lois rationnelles ? La réalité de l’action humaine intentionnelle, n’échappe-t-elle pas au déterminisme strict et aux tentatives de prédiction quantitative ?

 

La méthode en sciences sociales

Durkeim est un positiviste. Pour lui, la tâche du sociologue est d’expliquer comment les « structures sociales » influent sur les comportements individuels selon le principe d’un strict déterminisme. Si les phénomènes sociaux sont soumis à des lois naturelles, il faut « traiter les faits sociaux comme des choses ». D’où le projet de Durkheim d’une « physique des mœurs et du droit ».

Toutefois, contre cette réduction des sciences sociales aux sciences de la nature, est né dans le monde germanique un courant critique : la démarche « compréhensive », ou le « subjectivisme » en sciences sociales.

Ainsi, la sociologie de Max Weber est « une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale ».

Le but du sociologue est la compréhension du sens subjectif visé par les agents. Weber entend par « activité » un comportement humain auquel l’agent communique un sens subjectif. Donc, l’agir est la clé de la dynamique sociale. Contrairement à Durkheim, Weber n’envisage pas de traiter les faits sociaux comme des choses, indépendamment de leurs auteurs, de leur subjectivité, de leurs motivations et de leurs intérêts.

Cette méthode se retrouve dans les travaux de l’école autrichienne d’économie, à la suite de Carl Menger, de Ludwig von Mises et de Hayek. Selon eux, ce sont les conceptions individuelles, les opinions que les gens se sont formées d’eux-mêmes et des choses, qui constituent les vrais éléments de la structure sociale.

 

Le subjectivisme en économie : Hayek

Dans Scientisme et sciences sociales (chapitre 3, Plon, 1953), Friedrich A. Hayek a bien expliqué la différence entre l’optique des sciences de la nature et celle des sciences sociales.

Il propose d’appeler la première « objective », et l’autre « subjective », non pas parce que le savant ferait intervenir ses propres opinions ou son imagination, mais parce que son objet, les « faits » sociaux, est constitué par des opinions.

En effet, les « faits » sociaux ne sont pas des « choses » que l’on pourrait définir de façon matérielle, mais des actions humaines qui ne peuvent se comprendre qu’à la lumière des croyances de l’acteur.

Pour Hayek :

Pour ce qui est de l’action humaine, les choses sont ce que les gens qui agissent pensent qu’elles sont.

Les individus qui composent la société sont guidés dans leurs actions par une classification des choses et des événements établie selon un système de sensations et de conceptualisations qui a une structure commune, et que nous connaissons parce que nous sommes, nous aussi, des hommes. Le subjectivisme en sciences sociales est donc un réalisme épistémologique. Il prend en compte les phénomènes mentaux comme les sciences de la nature prennent en compte les phénomènes matériels.

Ce caractère essentiellement subjectif des données de l’action humaine, qui est commun à toutes les sciences sociales, a été développé beaucoup plus clairement par la théorie économique.

Ainsi en économie, les prix ne traduisent pas ce que sont les choses en elles-mêmes, mais les choses telles que perçues par les individus, en fonction de la valeur qu’ils leur attribuent. C’est le subjectivisme qui a permis à Carl Menger de démontrer que la valeur est entièrement subjective.

C’est lui qui a permis à Mises et à Hayek de proposer une théorie de la formation des prix fondée sur les préférences subjectives de l’ensemble des acteurs.

« Il n’y a probablement aucune exagération à dire que chaque progrès important de la théorie économique pendant les cent dernières années a été un pas de plus dans l’application cohérente du subjectivisme », affirme Hayek dans Scientisme et sciences sociales.

—-
Sur le web.

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • C’est pour cela qu’il est si important pour les collectivistes de contrôler la pensée de chacun, détruisant ainsi l’innovation, mais surtout l’Homme dans ce qui le définit.

  • Je ne comprends pas l’opposition subjectif vs objectif ici.

    Bien sûr que les prix ne traduisent pas ce que sont les choses en elles-mêmes, mais les choses telles que perçues par les gens.

    En revanche ça ne m’empêche pas de modéliser objectivement cette attribution de valeur par exemple. Nous avons beaucoup d’outils mathématiques pour mettre en équation, et obtenir de bons résultats (à une marge d’erreur près) un ensemble d’interactions humaines.

    A la question : « La complexité sociale et économique, la subjectivité et la liberté humaine sont-elles réductibles à des lois rationnelles ? » nous pouvons répondre aujourd’hui : à une marge d’erreur près, oui.
    les moteurs de recommandations sur internet marchent bien par exemple.

    Il n’y a pas de déterminisme, jamais, mais nous pouvons quand même estimer des probabilités de manière à obtenir un retour sur investissement conséquent.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Tadd Wilson. Un article de la Foundation for Economic Education

En dépit de ce qui est enseigné dans la plupart des universités, les idées libérales essentiellement classiques de l'économie de marché libre et du gouvernement limité ont remporté le test de base de toute doctrine : est-elle la meilleure alternative ? La preuve en est évidente, qu'il s'agisse de l'effondrement de l'économie planifiée de l'ancienne Union soviétique, ou de la réduction du secteur public dans des pays aussi variés que l'Estonie, la Nouvelle-Zélande et la... Poursuivre la lecture

L’actualité politique française, tout imprégnée d’antilibéralisme et friande de raccourcis journalistiques, a souvent tendance à réduire le libéralisme à une sorte d’idéologie politique homogène destinée à imposer le marché comme un dogme et les libertés individuelles comme une morale publique ne souffrant aucune discussion contradictoire.

C’est passer sur son histoire, ses nuances et ses théorisations sous le rouleau compresseur de l’opinion commune pour en oublier sa richesse philosophique et son inventivité fondamentales.

Plu... Poursuivre la lecture

Pour beaucoup, Friedrich Hayek est le symbole de l’ultralibéralisme.

Son ouvrage contre le planisme, La route de la servitude, a connu un succès considérable. Écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale alors qu’il était généralement admis que l’économie devait être contrôlée par l’État, il l’a condamné pour longtemps à l’ostracisme dans les milieux intellectuels de gauche qui le voient comme un épouvantail. Ses idées ont pourtant été reconnues des années plus tard et son travail a été même été couronné d’un prix Nobel.

Mais ce... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles