Que faut-il penser de l’ “index de libéralisation financière” qui est diffusé actuellement sur internet ? Est-il crédible ? Les critères retenus pour mesurer le degré de libéralisation sont-ils pertinents ?
Par Vladimir Vodaresvski.
Un index de libéralisation financière est diffusé sur le net. Il est présenté comme étant élaboré par le FMI. En fait, cet index provient d’un document de travail, intitulé A new database of financial réforms, du département de recherche du FMI. Ce dernier indiquant que ce document ne doit pas être présenté comme reflétant l’opinion du FMI.
Ce document de travail définit 8 critères de libéralisation financière, et les applique à différents pays. La conclusion est que la finance a été totalement libéralisée dans les pays occidentaux, notamment en France. Ces critères peuvent être également considérés comme des critères de dérégulation, l’étude faisant un amalgame dans ses commentaires.
Ces critères seront d’abord présentés, puis ils seront commentés.
Les critères de libéralisation sont donc les suivants. Plus ils sont respectés, plus la finance est libéralisée.
– Le contrôle du crédit et le niveau des réserves. Ce critère dépend, d’une part, du montant que les banques sont obligées de mettre en réserve auprès de la banque centrale. Plus ce montant est faible, plus l’index de libéralisation est élevé.
D’autre part, ce critère dépend du montant de crédit qui serait réservé à un ou plusieurs secteurs, ainsi que du montant des crédits bonifiés (c’est-à-dire subventionnés). Moins il y a d’obligations dans ces deux domaines, plus l’indice de libéralisation est élevé.
– Existence de plafonnement des crédits octroyés par les banques. S’il n’y a pas de plafonnement, c’est un critère de libéralisation.
– Libéralisation des taux d’intérêt. Ce critère regarde si les taux offerts sur les dépôts, ainsi que sur les crédits octroyés par les banques sont libres.
– Entrée dans le secteur bancaire. Ce critère mesure la possibilité pour une nouvelle banque d’entrer sur le marché bancaire d’un pays, qu’elle soit nationale ou étrangère, et si les banques peuvent librement investir de nouveaux domaines (être des banques universelles).
– Les échanges de capitaux. Ce critère dépend de la liberté d’échange des capitaux, à l’intérieur du pays, ainsi qu’avec les autres pays. Il dépend du fait qu’il existe ou non des barrières, ou un taux d’intérêt fixé arbitrairement.
– Privatisations. Il s’agit de regarder si les banques sont privées ou plus ou moins étatisées.
– Le marché obligataire. La libéralisation du marché obligataire, selon le document de travail, dépend, d’abord du fait qu’un tel marché existe. Puis, le critère prend en considération les mesures gouvernementales pour développer ce marché, comme des exemptions de taxes. Enfin, le critère prend en compte l’ouverture aux marchés étrangers.
– Supervision du marché bancaire. Ce critère est basé d’abord sur l’application des critères de Bâle. Si ceux-ci sont appliqués, c’est signe de libéralisation.
Ce critère dépend également de l’indépendance des autorités de régulation face au pouvoir. Enfin, ce critère dépend du fait que la supervision couvre toutes les institutions financières, sans exception.
Ces critères appellent plusieurs commentaires. D’abord, en ce qui concerne la méthode. Il y a ainsi une confusion entre libéralisation et dérégulation. Ce qui n’est pas la même chose. Une étude digne de ce nom doit poser les définitions. Le libéralisme, ce sont des règles. L’absence de règles, ce n’est plus une libéralisation. Une étude sur la libéralisation doit donc définir si les principes du libéralisme sont respectés. Ce qui n’est pas le cas ici, ou, de prime abord, il y a une confusion entre dérégulation et libéralisation.
La méthode prête aussi à critique car elle définit des mesures spécifiques, qui déterminent un degré de libéralisation si elles sont appliquées. Cependant, s’il existe d’autres règlements, d’autres politiques, dans le pays étudié, qui vont à l’encontre du libéralisme, cela n’est pas pris en compte. Par exemple, cet index de libéralisation s’intéresse aux prêts bonifiés. Mais il y a d’autres moyens d’orienter les prêts. Ainsi, aux USA, le gouvernement a favorisé les prêts subprime, aux personnes peu solvables, notamment par l’intermédiaire des agences Fannie Mae et Freddy Mac. Ce genre de politique interventionniste n’est pas pris en compte par cet index de libéralisation. Les pays peuvent donc respecter les critères de cet index, mais mettre en œuvre des politiques anti-libérales.
En matière de taux d’intérêt, les carences de cette étude sont également flagrantes. Aujourd’hui, il est vrai qu’il n’y a plus, ou quasiment plus, de taux d’intérêt définis par les États pour la rémunérations des dépôts ou des crédits. Mais comment ces taux sont-ils déterminés ? Ils dépendent largement des taux des banques centrales, qui sont fixés de manière totalement discrétionnaire. Toute la création monétaire est gérée, de façon discrétionnaire, par les banques centrales. Ce qui n’a pas toujours été le cas (cf. Éléments d’histoire contemporaine, sortir des poncifs). Ce document de travail réussit à traiter des taux d’intérêt sans traiter des banques centrales.
Une bonne méthode aurait été de définir ce qu’est le libéralisme, puis d’observer si les politiques des différents pays respectent les principes du libéralisme. Il ne s’agit pas de savoir si tel ou tel réglementation est appliquée, mais si l’ensemble de la réglementation respecte les principes.
D’autre part, ce qui est encore plus surprenant, cet index de libéralisation retient également des mesures… interventionnistes ! Considérer des incitations fiscales (“tax exemptions” dans le texte) en faveur du marché obligataire comme un symbole de libéralisation est tout simplement paradoxal. Le critère de développement du marché obligataire considère qu’une politique volontariste de l’État en la matière est un indice de libéralisation !
De même, l’application des critères de Bâle est considérée comme un étalon de libéralisation. Ce qui est, là encore, fort surprenant, tant cette réglementation est contraignante. Par exemple, imaginons deux banques, dont l’une prête exclusivement aux entreprises, et l’autre finance uniquement des prêts hypothécaires. Selon les accords de Bâle 1, de 1988, la banque qui prête aux entreprises doit avoir au moins deux fois plus de capitaux propres que celle qui prête à l’immobilier. Ce sont les accords de Bâle 2 qui ont imposé les agences de notation pour mesurer les risques pris par les banques, et donc leurs besoins en capitaux propres. Aujourd’hui, Bâle 3 pose problème car il impose aux banques de posséder de la dette souveraine.
George Kaplan a ainsi montré les effets du ratio de Bâle sur le crédit bancaire aux USA, dans l’article Crédit bancaire aux USA depuis 1973, et Vincent Bénard les implications de ces accords dans la crise financière, dans l’article Comment les accords de Bâle ont créé la crise qu’ils devaient prévenir.
En conclusion, A new database of financials reforms n’est en aucun cas une étude qui discute de la libéralisation de la finance. Ce n’est pas son but. Elle examine l’application d’un certains nombre de mesures, sans se soucier même si ces mesures sont libérales. Le terme d’index de libéralisation est abusif. Il part du postulat que toute l’évolution de la réglementation est libérale, sans aucunement chercher à le démontrer, et en prenant même comme critère de libéralisation des mesures interventionnistes.
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Sur le web
Index de libéralisation financière: Que faut-il penser de l’ “index de libéralisation financière” qui est diffus… http://t.co/Ec2R1muh
A lire : Index de libéralisation financière – Que faut-il penser de l’ “index de libéralisation financière” qui est … http://t.co/jtgdAieE
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Très interessant, j’ai une question concernant les accords de “Bâle”
“Aujourd’hui, Bâle 3 pose problème car il impose aux banques de posséder de la dette souveraine.”
Que voulez vous dire exatement à propos de l’obligation de possèder de la dette souveraine ?
Je vous remercie d’avance
Les critères de Bâle insistent aujourd’hui aussi sur la nécessité pour les banques d’avoir des actifs liquides. Et considèrent que les obligations souveraines sont des actifs liquides, et que les banques doivent en posséder. C’est l’objet de critiques de la part des banques aujourd’hui.