L’histoire, les musulmans, la politique et la démocratie

Côté musulman la démocratie est impie, et, côté occidental, les musulmans ne peuvent être démocrates

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L’histoire, les musulmans, la politique et la démocratie

Publié le 30 mars 2012
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C’est un vieux débat. Au départ, les positions étaient claires : pour un musulman, les règles de la vie sont établies par Dieu qui les a dictées à Mahomet, ce n’est pas l’affaire des Hommes. Or la démocratie, c’est leur donner le pouvoir législatif et donc celui de changer les règles. Donc côté musulman la démocratie est impie, et, côté occidental, les musulmans ne peuvent être démocrates.

Par Yves Montenay.

 

Il existe un célèbre rapport de l’ambassadeur ottoman en Grande-Bretagne disant en substance à la fin du XVIIIe siècle :

« Ce pays n’ira pas loin, car les Anglais dépensent une énergie considérable pour la politique et l’élaboration des lois au lieu de prendre, comme nous, celles édictées par Dieu ».

Peu après, ce fut l’effondrement de l’Empire ottoman, et la splendeur de l’Empire britannique…

Ce rapport reflète bien la position de la quasi-totalité des élites politiques musulmanes jusque vers 1750-1800 de celle de leurs élites religieuses jusque tard dans le XIXe siècle, et l’opinion du peuple jusque dans le courant du XXe siècle. Avec bien sûr de très importantes différences suivant les milieux sociaux et les pays.

Nous en signalerons quelques-unes ci-après.

L’année 1800 est le début d’une rupture.

La date est symbolique, c’est celle du choc psychologique subi par les musulmans lorsque quelques milliers de paysans français commandés par le général Bonaparte bousculèrent en quelques jours des institutions séculaires. Depuis, les deux sociétés, musulmane et occidentale ont eu des contacts de plus en plus fréquents. Dans un premier temps, au XIXe siècle, cela touchait surtout les élites.

Côté musulman, comme d’ailleurs à la même époque côté japonais, les élites ont constaté la supériorité militaire et économique occidentale, tout en restant convaincues de leur supériorité religieuse ou nationale. La réaction a été : « prenons aux Occidentaux les outils qui leur permettent de nous vaincre, et nous retrouverons notre supériorité ». Ce fut d’abord par l’importation de militaires et d’industriels. Puis au fur et à mesure que la compréhension de l’autre monde progressait, on a examiné des outils plus juridiques et sociaux, comme la démocratie ou l’égalité hommes-femmes.

Cette élite musulmane s’est alors divisée, une partie, notamment en Turquie, s’est éloignée de l’islam de manière plus ou moins avouée, tandis qu’une autre s’est attaquée à une relativisation du dogme, par exemple en commentant la partie du Coran où Mahomet énonce des règles juridiques en tant que chef d’État : « il faut en garder le principe général, mais les modalités pratiques correspondaient à la situation de l’Arabie à cette époque et ne correspondent plus à celle d’aujourd’hui ».

La partie qui s’était éloignée de l’islam (encore une fois de manière souvent inavouée) a pris le pouvoir par la force en Turquie avec Atatürk, et à certaines époques dans d’autres pays : Sadam Hussein, la famille Assad, le chah d’Iran ou Bourguiba peuvent plus ou moins se rattacher à ce courant. On voit qu’ils ont été remplacés par des islamistes, ou en Syrie sont menacés de l’être. On remarque aussi que parmi les outils occidentaux, ils avaient retenu l’égalité homme-femme ou entre pratiquants de religions différentes, et plus généralement des pans entiers des législations occidentales, ainsi que l’alphabétisation généralisée ; mais pas la démocratie, officiellement, parce que le peuple n’était pas mûr pour l’occidentalisation, mais aussi probablement tout simplement pour conserver leur pouvoir. Le moyen terme a semblé leur donner raison, mais pas le long terme.

Leur échec relatif, car il reste beaucoup de traces de leur action, notamment en Turquie et en Tunisie, provient d’une part du fait qu’ils ont choqué des convictions religieuses anciennes, d’autre part de ce que leurs emprunts à l’Occident n’ont pas toujours été heureux. Je pense notamment au dirigisme, au socialisme, puis au libéralisme de façade, en fait prédateur, car familial, féodal et clanique. Tout cela a considérablement freiné le développement de leurs pays, et a terni l’image de l’Occident. Enfin, ils ont persécuté les islamistes, ce qui a donné à ces derniers l’avantage d’être des opposants à des régimes très durs, donc la sympathie du petit peuple encore renforcée par leur action charitable.

Ces islamistes, ou les mouvements qui les avaient précédés, ont cherché la solution au problème de la supériorité occidentale dans le retour à une époque où cette supériorité n’existait pas, au moins dans leur esprit (nous n’allons pas nous lancer dans la comparaison des civilisations au VIIe siècle). C’est notamment le cas des salafistes aujourd’hui.

Mais depuis le XIXe siècle, et surtout depuis quelques décennies, ce ne sont plus seulement les élites, mais les masses qui ont été au contact avec l’Occident, soit en émigrant, soit par le biais des médias et notamment de la télévision, soit un peu plus tôt à l’occasion de la colonisation. Et comme le pouvoir tant colonial que postcolonial était autoritaire, l’idée de démocratie a pris une valeur positive, y compris pour les islamistes qui souffraient de la répression. Et on rencontre maintenant des islamistes disant que c’est par l’intermédiaire du peuple que Dieu exprime sa volonté.

On retrouve ma vieille idée selon laquelle les hommes en général, et les musulmans en particulier, retiennent des textes ce qui les arrange, même si ces textes sont sacrés. Nombreux sont les musulmans ayant une interprétation économiquement libérale du Coran, bien que cela surprenne beaucoup d’Occidentaux. Je connais même un musulman pieux qui en a une interprétation féministe.

Tout cela est développé dans mes articles sur le site Turgot où la discussion a fait rage entre mon idée d’adaptation individuelle à la modernité par interprétation des textes, et les idées de ceux qui estiment que la lettre du Coran bloquera toute évolution chez les musulmans.

Par ailleurs, si l’islamisme a généré des partis politiques, ce n’est pas pour autant qu’il a une politique. C’est rappeler dans un intéressant article de Slimane Zeghidour dans El Watan (Alger) du 13 septembre 2011 : il n’y a pas de doctrine islamiste comme il y a une doctrine marxiste, fasciste ou libérale. Le cursus académique des penseurs islamiques, leur conviction que l’Islam recèle en lui tout le savoir humain, leur peu d’intérêt pour les autres civilisations, tout cela fait qu’ils sont hors d’état de créer une idéologie en prise sur le siècle.

Or, exercer le pouvoir ne consiste pas à protéger la religion, mais à imaginer des solutions efficaces à des problèmes de plus en plus complexes.

D’ailleurs si j’étais islamiste, je ne voudrais pas le pouvoir parce que je risquerais de disqualifier la religion en lui faisant porter le chapeau de l’échec des Hommes qui agissent en son nom ; c’est d’ailleurs ce qui arrive en Iran, même si la répression ne permet pas à ce rejet de l’islam de se manifester.

Remarquons le rôle de l’argent du pétrole : c’est lui qui permet aux régimes iranien et séoudien de tenir, c’est lui qui finance les islamistes d’Égypte, de Tunisie, de Syrie, d’Afrique subsaharienne, et j’en oublie. Bref, c’est lui qui assure une clientèle, tout en retardant le moment de vérité de l’efficacité gouvernementale : « le pétrole paie nos erreurs, nous pouvons donc continuer à en faire ».

Que conclure ?

Surtout rien de général ! Ce serait une erreur une fois sur deux, du fait de la diversité des musulmans en tant qu’individus, de la mondialisation des idées qui les touchent de plus en plus, de l’impréparation des islamistes à la politique, dont la pratique pourra faire pencher les uns (et les unes) vers moins de dogmatisme et les autres vers une crispation violente comme en Iran.

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Publié initialement sur Le Cercle Les Échos.

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