L’embargo pétrolier contre l’Iran a fait un peu désordre au sein de l’Union européenne : il a mis en évidence une fois de plus des objectifs de politique étrangère divergents entre les États membres.
Un article d’Open Europe.
La semaine passée, Bruxelles a annoncé l’interdiction de contrat pétrolier à l’échelle européenne entre l’Iran et les États membres. L’UE espère avec ces sanctions étouffer les finances de la République islamique, et ralentir la progression de son programme nucléaire. Cependant, comme avec d’innombrables autres objectifs de l’UE en politique étrangère, les objectifs semblent d’ores et déjà sabotés par l’absence de consensus entre les États membres.
Les diplomates ont admis que la négociation de l’embargo avait été difficile. Certainement un euphémisme, étant donné que l’application de l’embargo a été retardée de six mois pour s’assurer qu’un accord serait signé. Le désaccord majeur vient du fait que la Grèce, l’Italie et l’Espagne sont beaucoup plus dépendants des exportations iraniennes que leurs voisins du Nord. La Grèce importe jusqu’à un tiers de son pétrole à l’État islamique, avec lequel elle a négocié une tarification favorable. L’Italie et l’Espagne achètent 10% de leur pétrole à l’Iran.
Forcer ces pays à s’approvisionner vers d’autres producteurs avec un tel taux de dépendance pétrolière et dans un laps de temps relativement court ne fera sans aucun doute qu’engendrer des coûts supplémentaires à leurs économies (pour ne pas mentionner la hausse potentielle des prix dont nous parlons ci-dessous). Tout cela semble pour le moins contre-productif quand ces pays ont déjà du mal à rester à flot dans la tempête qui secoue la zone euro. Non pas que ces pays abandonnent tout objectif politique aux dépens de raisons économiques uniquement, mais ce problème d’approvisionnement en pétrole met en évidence l’ampleur que la crise de la zone euro continuera à avoir jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée.
Cela dit, les craintes d’une crise énergétique imminente sont alarmantes. D’une part, l’Arabie saoudite a assuré les gouvernements européens qu’elle allait accroître sa capacité de production pour remplacer les importations iraniennes, ce qui représentent une part relativement faible de la consommation globale du pétrole dans l’UE. Les faiblesses de l’offre peuvent également être comblées par la Libye, qui va surement stimuler ses exportations après une année de rémission.
Une hausse des prix massive est certainement peu probable, puisque ce seront les raffineries qui absorberont le surcoût plutôt que le consommateur. À la condition qu’elle ne change pas de fournisseurs au Moyen-Orient, la Chine deviendra le plus grand consommateur de pétrole iranien, ce qui créera un monopsone [1] avec lequel elle peut faire baisser les prix. L’Iran s’est montré disposé à vendre du pétrole sous le prix du marché pendant les embargos précédents. Notons l’effet secondaire intéressant qui fait de la Chine la grande bénéficiaire de cette interdiction en absorbant l’offre excédentaire iranienne à bas prix. Ce n’est pas la faute de l’UE, mais tout cela concourt à saboter la tentative d’embargo qui pouvait avoir un impact financier décisif sur l’Iran.
Quel impact sur l’avenir énergétique de l’Europe ?
Il se pourrait qu’il y ait des répercussions, aux  deux conditions suivantes :
D’abord, l’Iran ne doit pas bloquer le détroit d’Ormuz, par lequel l’Europe fait transiter le pétrole saoudien. Cela semble peu probable car cela engendrerait vraisemblablement un conflit militaire ouvert puisque les États-Unis ont promis de se porter garant du transport des cargaisons de l’UE.
Ensuite, l’Iran doit s’assurer de ne pas mettre de bâtons dans les roues de l’UE en coupant immédiatement son approvisionnement en pétrole (chose que l’Europe gérerait avec difficulté comme le démontre leur début tardif pour enclencher un embargo contre l’Iran).
Est-ce que ces précautions vont permettre à l’Iran de “revenir s’assoir à la table des négociations” ?
Comme Catherine Ashton, la représentante des affaires étrangères de l’UE l’indique, l’objectif est de “ramener l’Iran à la table des négociations”. On ne sait pas si ça sera le cas – l’Iran a déjà survécu aux embargos précédents, dont certains ont même renforcé le soutien au régime. Sans le soutien de la Chine et de l’Inde à l’embargo (ce qui est hautement improbable), l’Iran ne sera l’objet que d’une pression minime. Même si d’aventure ces pays décidaient de se joindre à cet embargo, les prix du pétrole monteraient en flèche ce qui créeraient plus de problèmes encore dans la zone euro.
Dans l’ensemble, cet embargo fait un peu désordre. Qu’ils soient ou non valables, cet épisode a mis en évidence une fois de plus des objectifs de politique étrangère divergents au sein de l’UE. Ce qui montre donc les limites d’une politique de collaboration en matière d’affaires étrangères. Cela nous rappelle également que, en dépit de sa taille, la puissance de l’UE est dans une certaine mesure éclipsée par celle de la Chine et des États-Unis. En fin de compte, ce sont leurs décisions qui feront ou déferont cet embargo, non celles de l’UE.
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Sur le web
Note:
[1] Un marché où une multitude de vendeurs doivent s’adresser à un seul acheteur.
RT @Contrepoints: Embargo sur le pétrole iranien : quelles conséquences ?: http://t.co/jygGTsJB
Au sujet du pétrole, l’évènement majeur dont on parle assez peu (euphémisme), reste quand même le fait que nous sommes aujourd’hui au/après le pic mondial(maximum barils/jour “produit” et consommés) de production de pétrole.
Voir à ce sujet l’article paru dans Nature le 26 janvier dernier en lien ci-dessous par exemple :
http://iiscn.wordpress.com/2011/05/06/bataille-et-lenergie/
C’est tout sauf prouvé. Et pourtant, on l’affirme depuis les premiers puits de pétrole.
http://www.businessweek.com/magazine/everything-you-know-about-peak-oil-is-wrong-01262012.html
Pour une discussion plus complète : http://www.liberaux.org/topic/32244-the-end-of-cheap-oil/page__st__280