Plongée au cœur des manipulations de Poutine et révélations sur les fraudes électorales de son parti, Russie unie.
Par Irina Bert (*)
Le déroulement des récentes élections russes montre le vrai visage du parti politique des jumeaux Poutine-Medvedev, Russie unie, dit « Nashi ». Depuis plusieurs années, ce parti est connu en Russie comme « le parti des voleurs et des menteurs ». Pourquoi ? Parce que durant les années au pouvoir de Poutine, le nombre de milliardaires en Russie n’a cessé d’augmenter, tandis que le reste de la population se partageait les miettes.
Qui vit bien en Russie? Ceux qui sont proches du pouvoir. Ils partagent entre eux les bénéfices de l’État et ne veulent pas du tout perdre leurs places confortables avec le départ de leur leader Poutine. Donc, c’est comme à la guerre : tous les moyens pour gagner sont bons. Les gens ne votent pas pour nous ? Pas de problème : ajoutons le pourcentage de bulletins nécessaires ou tout simplement sans rien ajouter, écrivons les chiffres qui nous arrangent le mieux. Dans une province, ils ont effectivement ajouté quelques pourcents pour « Nashi », mais ont oublié d’enlever le pourcentage correspondant pour les autres partis, avec un total de plus de 100%…
Le fait nouveau est que la société civile russe met à profit les nouveaux moyens de communication pour témoigner des fraudes électorales massives et grossières. Voici le témoignage d’un prêtre russe orthodoxe, requis comme observateur dans une école faisant office de bureau de vote [1] :
Fin de la journée électorale. Les bulletins à compter. Le moment de vérité… Les observateurs ne peuvent pas les toucher et ne peuvent pas s’approcher des tables où se trouvent tous les bulletins enlevés des boîtes électorales pour être comptés. (…) La responsable de la commission électorale s’approche vers le stand pour indiquer sur un grand panneau les résultats. Nous lisons :
Russie unie : 690
Parti communiste de la Fédération de Russie : 202
plus les petits pourcentages pour les autres partis…À droite, je vois les panneaux avec les résultats; à gauche, je vois les bulletins divisés en plusieurs liasses pour chaque parti. Fait étrange, les liasses avec les bulletins « Russie unie » et « Parti communiste » ont absolument la même épaisseur, mais sur le panneau je lis: 690 et 202… M’adressant aux autres observateurs, je les interroge :
— Messieurs, vous voyez ce que je vois ?
— Quoi ?
— (Désignant les liasses de bulletins de vote) Cela !!
Ils commencent à comprendre de quoi je parle…
— (M’adressant à la responsable) Qu’est-ce que vous faites ?
— Pardon ?
— Vous affichez des résultats selon lesquels la liasse de bulletins pour Russie unie devrait être presque quatre fois plus grande que pour le Parti communiste !
— Et alors?
— Mais les liasses pour ces deux partis ont la même épaisseur !
La responsable me répond d’un air fatigué :
— En bas, les bulletins ont été mal pliés, il y a des vieux bulletins… l’épaisseur du papier est différente.
— L’épaisseur du papier des bulletins communistes est quatre fois plus grande que celle des bulletins Russie unie ?!, se demandent les autres observateurs. Il faut les compter encore une fois !
— Ce n’est pas à vous de décider, nous rétorque la responsable. Si vous continuez ainsi, je vais vous faire sortir d’ici…
La fin de cette histoire et que les observateurs ont essayé d’appeler la police qui est venue en disant que leur contestation ne servait à rien car le temps nécessaire pour gérer cette plainte s’élève à 10 jours et que les résultats des élections seraient annoncés bien avant.
Des manifestations d’opposants se déroulent actuellement pour demander de nouvelles élections et la démission de Poutine. La première manifestation après les élections n’a pas été montrée à la télévision d’État russe. Par contre ils ont relayé la réunion des « Nashi » qui ont manifesté sous le slogan : « Une victoire honnête ! » Les différentes sources russes et les réseaux sociaux des étudiants russes attestent de ce que de nombreux étudiants ont été dispensés de cours et envoyés au lieu de manifestation de « Nashi », parfois même sans être préalablement prévenus de la raison de leur présence.
Une nouvelle vague de manifestions des opposants a eu lieu ce samedi 10 décembre, qui s’avère un succès sans précédent dans l’histoire encore jeune de la démocratie russe. À Moscou, le gouvernement avait pourtant tout mis en œuvre pour la saboter. Sur la place moscovite où se sont réunis les opposants, des travaux avaient subitement débutés (problème de canalisations…) de façon à réduire le nombre de participants pouvant s’y masser. Un message comme quoi les manifestants de 18 ans seraient enlevés par la police lors de la manifestation et envoyés faire leur devoir à l’armée pendant deux ans s’était trouvé largement diffusé (et contesté dès le lendemain par l’organisation « les mères des soldats » qui avaient trouvé la démarche de très mauvais goût). Le ministère de l’Éducation avait décidé de faire du samedi 10 décembre un jour d’étude avec examen à la clef, et sanctions pour les absents…
Entre la vérité et le mensonge, la guerre des Russes est de moins en moins froide.
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(*) Née à Moscou, Irina Bert vit en Europe.
Note :
[1] Source : le site web russe « L’Orthodoxie et le Monde », www.pravmir.ru. Ce site indépendant n’est pas sponsorisé par le gouvernement. Le nombre des lecteurs est d’environ 600.000 par mois. L’article en question est intitulé « Les élections. Comment ça s’est déroulé en réalité ». L’auteur est Dmitri Sverdlov, licencé en sciences économiques et sciences mathématiques, et du Séminaire orthodoxe de Kolomensk.
Franchement on s’en tamponne des élections, que ce soit en Russie ou dans n’importe quel pays. Elections, pièges à cons. C’est bien le seul truc vaguement intelligent sorti de mai 68.
Poutine a fait le choix de passer outre les bêlements démocratiques parce que c’est une lutte géostratégique qui est en train de se dérouler et si la Russie ne joue pas sa partition et bien elle est condamnée. La Chine est en train de reconstituer son empire et lorgne vers la Mongolie et ses ressources peu voire pas exploitées. Le kraïs russe de Primorsky (Vladivostok), l’oblast de l’Amour (Blagoveshchensk) et le nouveau kraïs de Zabaykalye (Chita) subissent la pression économique et démographique de la province industrielle du Heilongjiang (Harbin) qui avec plus de 38 millions d’habitants et une densité de 80h/km² surpasse ces voisins russes d’un coefficient 12.
En plus, les russes doivent se colleter avec les velléités islamistes dans les diverses républiques des confins de la fédération.
Reconstituer la grande Russie est certainement plus intéressant à terme pour les russes que de jouir des soi-disant bienfaits de la démocratie qui aurait laissé le pouvoir entre les mains de gougnafiers ou de faibles.
Fenêtre sur la cour de Russie. Je crois que les Russes se disent qu’ils ne valent pas pire que les Arabes, et que si même les Arabes ont la démocratie, ils s’humilient eux-mêmes en conservant un régime aussi débilement autocratique, qui fait injure à leur intelligence.
En même temps -et c’est pas pour justifier cette dérive autocratique intolérable- mais quand on voit que le principal parti d’opposition c’est le parti communiste de Russie, je me demande si ça vaut pas mieux de truquer les élections. Ce pays n’est vraiment pas sorti de l’auberge quand on voit que ces agissements de pays du tiers-monde qu’on croyaient révolus depuis la chute du communisme, sont toujours bel et bien présents. Aujourd’hui l’alternative est entre un retour au communisme et le maintien de l’oligarchie corrompue poutiniesque, c’est pas franchement emballant ..
c’est sans doute en grande partie parce que c’est le seul autre parti qui est vraiment connu; les autres opposants sont « muselés »
Chez nous, l’autocratie est a priori intolérable. Là-bas elle l’est moins parce que c’est elle qui permet au russe moyen d’avoir de quoi se nourrir, se loger, se chauffer en lieu et place de la pénurie organisée qui avait cours dans l’ex-URSS.
Et puis le caractère intolérable de l’autocratie poutinienne, ça me fait doucement rire. Il ne me semble pas qu’il ait déplacé de force des populations entières, massacré tout ce qui ressemble de près comme de loin à un intellectuel. Les républicains espagnols qui jouissent sous nos latitudes d’un certain lustre, tout comme les khmers rouges d’ailleurs pour peu que l’on veuille bien relire les bonnes feuilles du Monde de 1975, ceux-là donc, ne se sont pas laissés impressionner par l’ampleur de la tâche.
Carine, je n’ai pas l’impression que les arabes aient la démocratie, pour autant qu’elle soit désirable d’ailleurs. Ils se sont juste débarrassés de tyrans pas si sanguinaires que cela d’ailleurs, au profit d’autres qui ont à faire leurs preuves, n’en doutons pas. D’ailleurs, quand on s’intéresse un peu à l’histoire de la Russie on s’aperçoit que cette propension à choisir des régimes forts est inhérente à leur nature. Reportez vous à l’histoire du royaume de Kiev qui a donné naissance à l’empire russe.
c’est vrai qu’en France entre Louis XI, Louis XIV, Napoléon, la Terreur, et j’en passe, on n’a pas eu des régimes forts. L’évolution vers la démocratie est lente et plein de soubresauts, mais avant d’y être, il y avait forcément des « régimes forts » (même s’ils sont parfois affaiblis par un occupant extérieur), donc quand on regarde l’histoire de pays pas encore démocratiques, on aperçoit systématiquement une « propension à choisir des régimes forts inhérente à leur nature »
C’est vrai que le rappel de l’Ancien Régime est d’une pertinence…
Quand on pense qu’il a fallu que Louis XV sermonne les parlements quant à l’usage du droit de remontrance. C’est là qu’on peut se rendre compte de la force de ce régime. Et je ne parlerais pas de Louis XI qui a dû la longévité de son règne à son habileté politique plus qu’à la vigueur de son magistère.
Ah les bienfaits de l’Education Nationale et de ses clichés !
On a surtout connu des régimes forts avec l’émancipation révolutionnaire et démocratique qui en même temps qu’elle transformait les sujets en citoyens les dépouillait de tous les corps intermédiaires qui les protégeaient de l’arbitraire pour les laisser seuls et nus face à la puissance publique.
Ça donne envie de démocratie, assurément.
La démocratie qui serait étrangère à la « nature » de tel ou tel peuple est une thèse naïvement essentialiste mille fois réfutée, mon petit Harald. Aucun peuple n’est voué à la démocratie pas plus qu’aucun peuple n’est condamné à l’autoritarisme. Tout dépend des circonstances (Aristote, déjà).
Je ne suis pas « votre petit ». C’est une marque de connivence que je n’accorde qu’à ceux que je côtoie depuis suffisamment longtemps pour la tolérer de ceux que j’agrée dans mon entourage.
Je ne me fonde pas sur quelque thèse que ce soit mais sur l’histoire des peuples. Quant à votre Guy Sorman, il s’agit plus d’un idéologue qu’autre chose. Ses avis ne valent donc que pour ceux qui adhèrent à ses idées. Pour ce que j’ai pu lire du bonhomme, j’ai pu constater qu’il était passablement déconnecté de certaines réalités historiques et pas plus exempt de billevesées que le Simonot.
Certains chinois peuvent avoir envie de démocratie, pour autant il serait intéressant de savoir si ce sont les quelques millions qui vivent dans des métropoles ou bien l’immense masse de ceux qui vivent dans les campagnes. Je me doute du résultat, mais je veux bien vous laisser à vos rêves. L’histoire ne ment pas. Sorman, c’est autre chose.
Autre pays soi-disant voué « par nature » à l’autoritarisme : la Chine.
Sur l’appétit démocratique actuel des Chinois, je vous recommande cet excellent article de Guy Sorman :
http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2011/12/p%C3%A9kin-la-r%C3%A9volution-weibo.html
Ca n’empeche pas qu’en faisant comme ca les elites russes ont de fortes chances de se faire retammer par des vindictes populaires. Ils ont interet a bien payer les soldats et ales maintenir dans une environnement bien confine…
Un dirigeant russe a dit après le l’effondrement de l’URSS, nous avons mis 70 ans pour en arrivé là, il en faudra 70 autres pour en sortir. On peut retenir que leur soucis ne sont pas fini. CQFD
Pour faire un parallèle avec l’UE, Je vous invite à lire le livre de Vladimir Boukovski « l’union européenne une nouvelle URSS » Pour les européens nous avons et nous aurons nous aussi nos soucis !!
Cdlt
Bonjour,
Quel crédit apporter à un article qui confond le mouvement Nashi et le parti Russie Unie?
L’auteur devrait parcourir la toile russe pour y lire que contrairement à ce qu’elle affirme le gouvernement et la police sont remerciés par les manifestants pour l’organisation. Si si cela peut paraître surprenant mais que ce soit le représentant d’un parti ou de jeunes blogueurs ils sont tous unanimes sur ce point.
Cordialement,
Louis Joseph
Louis Joseph,
L’auteur utilise manifestement le terme « Nashi » dans un sens ironique et détourné, « les nôtres », comme disent les soutiens de Poutine et Medvedev.
Par ailleurs le fait que le gouvernement russe ait maintenu l’ordre de façon correcte PENDANT la manifestation ne change rien aux nombreuses mesures dissuasives qui avaient été prises AVANT la manifestation.
Nous aurons bientôt l’occasion de juger de l’infinie bonté du gouvernement Poutine.
Cordialement
Les fraudes dénoncées par l’auteur de l’article sont presentes dans toute la presse mondiale actuelle. Bonne lecture Louis Joseph !
Bon courage à tous les opposants russes au régime Poutine. Ca serait dommage si ce pays devait subir un deuxième Staline.
Pourquoi un nouvel Hitler pendant qu’on y est dans la stupidité ? C’est vrai que la police de Poutine est d’une violence incroyable. Rendez-vous compte, elle a protégé les manifestants, elle leur a même créé un couloir d’évacuation. Et quelle protestation d’ampleur. Qu’on se rende compte, Moscou c’est 11 millions d’habitants, 50.000 sont descendus dans la rue pour protester. Quelle lame de fond ! Un printemps moscovite j’imagine.
A ce compte, que penser du bourrage des urnes au congrès de Reims qui a donné la direction du PS à dame Tartine ? Que penser du bidouillage des élections de G.W. Bush ? Etc. dans la quasi-totalité des pays.
Harald, mon tout petit, je conçois que cette ablation des testicules que vous venez de subir vous laisse désorienté. Tachez toutefois de garder le sens des proportions. Comparer les élections russes au bourrage des urnes de « dame Tartine » me paraît, comment dire ? aussi niais que de comparer Poutine à Staline.
J’adore les types dans votre genre qui se permette ce genre de sortie, un peu comme les zartistes zengagés qui fustigent les tyrans à 10.000 km, bien planqués dans leur quartier bourgeois.
J’ai fait ce parallèle comme j’aurais pu en faire d’autres. Une fraude est une fraude, non ? Pour le moderne c’est bien kif-kif, non ?
Pour ma part, n’étant pas démocrate, je me réjouis de voir un Poutine conserver le pouvoir et oeuvrer au rétablissement de la Grande Russie blanche plutôt que de la voir tomber dans celles de margoulins.
Enfin, pour finir, je vous prierais de conserver par devers vous ces marques de fausse familiarité condescendante. Je la supporte déjà mal de mes amis, alors d’un baltringue…
D’accord avec vous, partie du pire régime totalitaire et de la quasi-faillite laissée par Eltsine en 1999, la Russie de Poutine :
Croissance de plus 5% par an,
Réserves de change : troisième position dans le monde,
Balance du commerce extérieur excédentaire,
PIB russe calculé en dollars triplé de 2000 à 2006.
Réforme fiscale : mise en place d’un taux unique de 13 % pour l’impôt sur les revenus, introduction d’une taxe sociale unifiée, baisse du taux de la TVA, réduction du taux des impôts sur les sociétés de 35 % à 24 %
Réforme foncière introduisant le droit de vendre les terres agricoles
Lois de dérégulation étatique, visant à réduire le contrôle bureaucratique des entreprises
ouverture à la concurrence du fret ferroviaire
Réforme des retraites avec capitalisation obligatoire et épargne volontaire
Etc. etc.
Pas mal, non ?
Les quelques dérives autoritaires n’ont rien à voir avec le totalitarisme antérieur.