Russie: Démocratie ou « Dermocratie »?

Les russes parlent aujourd’hui de « dermocratie », avec un jeu de mot puisque « derm » en russe signifie « m… »

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Russie: Démocratie ou « Dermocratie »?

Publié le 8 décembre 2011
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La démocratie de Poutine? Les russes parlent aujourd’hui de « dermocratie », avec un jeu de mot puisque « derm » en russe signifie « m… ».

Par Tatiana Kryzhanovskaya
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

Des milliers de personnes ont défilé lundi à Moscou pour demander le départ de Vladimir Poutine, après le net recul enregistré par son parti, Russie unie, aux dernières élections législatives.

En Russie une autre campagne électorale s’est finie, les élections ont été officiellement régulières et le nouveau Parlement de Russie débutera ses travaux après les vacances de Noël. Comment comprendre les résultats ?

Après décompte de 99,9% des bulletins, les scores sont les suivants : Russie Unie 49,3%, Parti Communiste 19,2%, Libéraux-démocrates 12%, Russie Juste (Spravedlivaya Rossia) 13,25%, Parti démocrate uni (Yabloko) 3,43%, Patriotes russes 0,97%. Le niveau de participation a été en moyenne de 60,2%.

Il y a historiquement des régions plus pro-gouvernementales et moins pro-gouvernementales, des régions plus libérales ou plus communistes. Mais il y a aussi des régions où le citoyen est encore capable de décider librement de son bulletin, et d’autres où ce n’est pas le cas. En observant les régions du sud du Caucase comme la Tchétchénie, le Daghestan, la Kabardino-Balkarie, où le parti pro-gouvernement Russie unie a obtenu 99% des voix, il ne fait aucun doute que le principe de se faire dire « pour qui voter » fonctionne parfaitement. Deux manières d’atteindre 99% : soit persuader les gens par tous les moyens (ce qui est peu démocratique) de ne voter que pour ce parti, ou d’être en mesure de manipuler et de falsifier les résultats. Savoir si les citoyens de ces républiques sont réellement capables d’exprimer leur opinion et de voter pour le parti qu’ils veulent reste une grande énigme. Si le gouvernement peut contrôler pour qui les citoyens votent et peut les punir pour un « mauvais choix », risqueront-ils de voter différemment ?

La campagne électorale a été brutale, sans règles ou restrictions pour Russie unie, qui a même publié des bulletins de vote « spécimen » comme des exemples de la façon de procéder le 4 décembre – avec curieusement Russie unie comme seul bon choix de vote ! Ces bulletins spécimen ont été imprimés et diffusés avec l’argent du budget, ce qui constitue une violation des règles de campagne, mais le gouvernement a déclaré que ce n’était pas du matériel de campagne, mais un « manuel » pour ceux qui ne connaissent pas la procédure.

Il n’y avait presque pas de nouveaux partis sur les listes. Peut-être cela est-il dû à la procédure d’enregistrement plus difficile (par exemple l’augmentation du nombre de signatures requis pour être enregistré comme parti ou le pourcentage de votes pour entrer au parlement a également été relevé de 5% à 7%). Ou peut-être cela est-il dû à l’absence d’opposition réelle dans le pays. La liste des partis était bien connue, et sur la base des derniers résultats préliminaires, le nouveau parlement sera composé des mêmes partis que le précédent, uniquement avec des proportions un peu différentes. Les communistes, des libéraux-démocrates et Russie Juste ont tous amélioré leurs résultats en comparaison aux dernières élections. Mais parmi les quatre partis il n’y a pas de vrais démocrates ou de vrais libéraux, en dépit des déclarations officielles et promesses de campagne.

Enfin, ces élections sont les premières où le Parlement est élu pour 5 ans et non plus 4 ans, suite à la récente modification constitutionnelle (qui a également prolongé le terme du mandat présidentiel de 4 à 6 ans). Cette extension de la « période de pouvoir » étend du même coup les intérêts des partis à être élus.

Le pourcentage de personnes qui sont allées voter est légèrement plus faible qu’en 2007 (63,78% en 2007 et 60,2% en 2011). Russie unie a en revanche perdu environ 15% des votes en comparaison à 2007. Cela donne l’espoir que les Russes deviennent capables de voir que les promesses sont restées des promesses et que le seul effet du parti au pouvoir a été le lobbying en faveur des intérêts du gouvernement.

Le parti Russie Juste (Spravedlivaya Rossia) est, lui, un « cheval noir » (« inconnu ») dans cette course. Bien sûr il participait déjà à la législature précédente, avec 7,7% des voix gagnés en 2007. Bien sûr, il tentait de s’élever pour s’opposer à certaines initiatives du parti au pouvoir. Mais dans le même temps ses membres ont un passé pro-gouvernement – soit du fait de leur présence dans le secteur public soit du fait de leur soutien ouvert au gouvernement : ce parti peut ainsi devenir un outil facile de « coalition », partenaire pour la Russie Unie.

Le sentiment est donc plus que très mitigé après ces élections : alors que le président annonçait la possibilité de mener la Russie Unie au-delà de son mandat, les gens dans la rue essaient de protester contre les résultats, l’opposition dénonçant la falsification à tous les niveaux. Le soir du 5 décembre – le lendemain des élections – 10 000 personnes ont envahi les rues de Moscou : 300 d’entre elles ont été emprisonnées pour avoir osé utiliser leur droit constitutionnel d’exprimer librement leurs idées. La démocratie de Poutine? Les russes parlent aujourd’hui de « dermocratie », avec un jeu de mot puisque « derm » en russe signifie « m… ».

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Tatiana Kryzhanovskaya est une commentatrice russe.

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