Toute l’Europe dépensière se retrouve unie comme un seul homme derrière le vieux dicton de voleur « il faut prendre l’argent là où il est. » Chacun se presse donc aux portes pour faire payer le contribuable allemand. Et dans cette fronde européenne contre l’Allemagne, Angela Merkel joue contre les intérêts de son pays.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse
« L’Allemagne paiera! »
Le slogan célèbre fut le fer de lance de la campagne du Bloc national au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’assemblage de partis de droite entendait financer sa politique sociale, notamment les pensions des anciens combattants, avec les réparations réclamées à l’Allemagne. L’idée trouva son chemin dans l’opinion et le Bloc obtint plus de 70 % des sièges aux législatives de 1919.
Mais voilà, l’Allemagne, mauvaise fille, refusa de payer.
Ses élites n’étaient sans doute pas encore assez pénétrées de « l’esprit européen ».
La suite vaut la peine d’être contée. Le gouvernement français, au pied du mur et ne voulant perdre la face, n’eut d’autre choix que d’essayer d’occuper la Ruhr, le riche bassin minier du sud-ouest de l’Allemagne, en 1923, pour faire pression et peut-être se payer sur la bête. La manœuvre déclencha la colère des Anglo-Saxons (et de la République de Weimar) et se solda par un repli piteux. Comprenant qu’il ne mettrait pas la main sur un argent que l’Allemagne n’avait pas, le Bloc national fut condamné à payer ses promesses avec les seules ressources sous sa juridiction, celles des Français, qui furent frappés de nouveaux impôts. Sans surprise, le Bloc national se fit laminer lors des échéances législatives suivantes, en 1924, face au cartel des gauches.
Si la situation géopolitique actuelle diffère quelque peu, la volonté de faire payer les autres pour financer son mode de vie semble quasiment une constante historique. La formule, elle, n’a jamais été autant d’actualité.
La Grèce n’en finit pas de se noyer dans sa dette, et les regards se tournent vers l’Allemagne. Pourquoi ? Berlin est-il responsable de la panade dans laquelle se retrouve Athènes ? Mme Merkel ou ses prédécesseurs ont-ils forcé les gouvernements grecs successifs à s’endetter de façon délirante ? Le Bundesrat a-t-il une moindre responsabilité dans la situation économique peu reluisante des autres pays européens, Italie en tête, traînant leur dette comme un boulet ?
Rien de tout cela. Mais l’Allemagne se retrouve en première ligne parce qu’elle a de l’argent (un peu) et de la crédibilité sur les marchés financiers (encore un peu).
Toute l’Europe dépensière se retrouve unie comme un seul homme derrière le vieux dicton de voleur « il faut prendre l’argent là où il est » – la légitimité, c’est pour ceux qui en ont les moyens. Chacun se presse donc aux portes pour faire payer le contribuable allemand, qui a le double défaut d’être raisonnablement riche et pétri de culpabilité historique. Pas assez pour en faire un vrai coupable, mais on s’en contentera.
Dans cette fronde européenne contre l’Allemagne, il n’y a plus de doute, Angela Merkel joue contre les intérêts de son pays. Acquise à la cause supra-nationale, son rôle ressemble plus à celui d’un agent infiltré cherchant à ouvrir les portes de la forteresse à la foule en colère qu’à un commandant chargé de défendre les murs.
Par bonheur, l’opinion publique allemande et les propres partenaires politiques de la chancelière ont ouvert les yeux sur le comportement de la Chancelière.
Au point que c’est désormais de sa coalition que vient la riposte :
« La fronde continuait de plus belle mercredi dans les rangs de la majorité gouvernementale de la chancelière allemande sur les plans d’aide européens, malgré un rappel à l’ordre mardi d’Angela Merkel à ses propres troupes. Le député euro-sceptique Frank Schäffler, membre du parti libéral FDP qui gouverne avec les conservateurs de Mme Merkel, avait ainsi rassemblé mercredi quelque 1200 signatures pour l’organisation d’un référendum au sein du parti sur les plans d’aide européens […] Le député souhaite que son parti, le FDP, s’oppose à toute augmentation des moyens d’aides aux pays en difficulté, qu’il bannisse à jamais l’idée d’obligations communes européennes et qu’il réclame une procédure de sortie de la zone euro des pays trop endettés.
Par ailleurs le numéro deux du parti CSU […] a accordé à l’hebdomadaire Die Zeit à paraître jeudi une interview peu amène pour Mme Merkel. Peter Ramsauer, qui est aussi ministre des Transports, qualifie d’indigestes les nouvelles mesures de soutien aux pays en difficulté adoptées en juillet dernier par les gouvernements européens, qui prévoient en particulier l’achat de dette sur le marché secondaire par le fonds européen FESF. Il estime aussi qu’une sortie de la Grèce de la zone euro ne serait pas la fin du monde, selon un extrait de l’entretien communiqué à l’avance.
Le vice-chancelier Philipp Rösler, également chef du FDP, a mis le feu aux marchés en évoquant une faillite de la Grèce. »
Le ministre n’hésite d’ailleurs pas à faire part de son incrédulité, ce qui en dit long sur l’ambiance qui règne aux plus haut niveaux du gouvernement allemand :
« M. Ramsauer a réagi aux propos de sa patronne en assurant à Die Zeit : elle ne peut pas avoir dit ça [que la « priorité absolue » est d’éviter un défaut de paiement incontrôlé de la Grèce]. Ce serait abandonner tout moyen de pression. Cela voudrait dire qu’on fournirait toujours ce pays en argent frais, quoi qu’il arrive. »
Dans le mille ! M. Ramsauer semble enfin comprendre l’essence du projet européen. Il a encore juste un peu de mal à l’accepter.
Le temps presse. L’Europe est dans une course contre la montre. En Grèce, le chômage atteint 16,3 % au second trimestre 2011, contre 11,8 un an plus tôt. Les cafetiers luttent pour survivre avec une TVA passée en quelques mois de 13 à 23 %. On sent qu’avec toutes ces aides et ces hausses d’impôt, le souffle de la reprise est arrivé ! Et la saison touristique se termine…
Les possibilités se réduisent comme peau de chagrin. Après l’énorme cafouillage sino-italien du début de semaine, laissant planer l’illusion que les Chinois achèteraient de la dette italienne (pourquoi en prendraient-ils, alors que même la BCE n’en veut pas ?) c’est au tour des BRIC, Brésil, Russie, Inde et Chine, de formuler un refus poli mais ferme. Plus aucun naïf ne croit les déclarations lénifiantes des élites du continent.
Pour colmater les brèches, on cherche des expédients : les eurobonds, par exemple. Des dettes mutualisées à l’échelle européenne, permettant aux Grecs, aux Portugais et aux Français de s’alimenter dans un pot commun payé par l’Allemagne. Laquelle payera plus cher ses propres emprunts, et devra éponger les dettes des pays du sud – mais rappelez-vous, l’Allemagne paiera.
Bien sûr, aujourd’hui, Angela Merkel est totalement opposée aux eurobonds. Mais comme le fait remarquer h16, Angela Merkel a cédé sur à peu près tout ce sur quoi il était possible de céder en guise d’orthodoxie financière :
« En théorie, l’Allemagne n’aurait jamais utilisé l’argent du contribuable pour sauver une banque en faillite. L’une des premières qui tomba, en Europe, fut HypoBank. Et Merkel la sauva.
En théorie, l’Allemagne aurait du s’opposer fermement et obstinément à chaque plan de sauvetage grec […] mais Merkel plia.
En théorie, l’Allemagne aurait du hurler à l’idée que la BCE puisse racheter les Bons du Trésor des pays en difficulté. […] Mais malgré tout, Merkel signa.
En théorie, lorsqu’il s’agit de trouver un successeur à Jean-Claude Trichet, Weber, l’ex-gouverneur de la banque centrale allemande, aurait dû être nommé. Et compte-tenu de ses positions, il aurait été nettement moins coulant : l’orthodoxie allemande, lui, il connaît. Mais voilà. Mario Draghi […] est un ancien de Goldman Sachs, et l’inflation, les dévaluations, les magouilles et la tuyauterie financière, ça le connaît. [Mario Draghi était vice-président de Goldman Sachs du temps où cette banque aidait le gouvernement grec à maquiller ses comptes pour rester, en apparence, dans les clous des critères de Maastricht.] Eh bien Angela, malgré ce CV impressionnant, a fini par dire oui. »
Angela Merkel tient plus de la Dame de Guimauve que de la Dame de Fer. Son bilan mine quelque peu sa position « inflexible » sur les eurobonds…
L’Allemagne paiera – peut-être. La volonté est là, certains détails sont encore flous sur le comment… Pourtant la partie n’est pas jouée.
La résistance vient de l’intérieur de l’Allemagne – d’une partie de sa classe politique, comme on vient de le voir, mais aussi de ses institutions. La cour constitutionnelle de Karlsruhe a eu beau avaliser le coup de force de Merkel engageant les finances allemandes au secours de la Grèce en outrepassant ses responsabilités, elle y a aussi mis le holà :
« Désormais, le gouvernement fédéral devra consulter la commission des finances du Bundestag avant de souscrire un nouvel engagement et les mesures d’aides ultérieures à quelque État que ce soit devront faire l’objet d’une « approbation individuelle ». Surtout, les juges exigent qu’une procédure de sortie des mécanismes d’aide soit prévue et rappellent aux parlementaires qu’ils ne doivent pas prendre des décisions qui priveraient les futurs représentants de la nation de leur capacité de contrôle sur le budget fédéral.
On ne peut mieux signifier que toute politique de renflouement automatique des pays de la zone euro est désormais frappée d’anticonstitutionnalité, outre-Rhin. Mieux : la Cour de Karlsruhe a assorti son jugement d’une clause interdisant la mise en place de mécanismes conduisant l’Allemagne à devenir responsable des dettes d’un autre pays de la zone euro. »
La crise progresse si vite qu’il est peu probable qu’elle attende la succession d’Angela Merkel en 2013. Même les présidentielles françaises de 2012 semblent bien loin.
Le clash entre l’urgence financière et le respect des institutions promet de survenir à court terme. L’opinion publique étant un acteur clé pour faire pencher la balance dans ce genre d’affrontement, les élites européennes font dans la surenchère :
« Les responsables de l’UE ont mis en garde mercredi contre le risque de voir le projet européen tout entier échouer avec la crise de la dette, la présidence polonaise de l’UE allant jusqu’à envisager le retour de la guerre sur le continent. »
La guerre ! De qui, contre qui, dans quel but ? Peu importe ! C’est la guerre, vous dis-je, invoquée tel un fléau biblique. À moins que les Polonais ne confondent avec la guerre contre les extraterrestres venus libérer Gaïa de ses sales humains, hypothèse invoquée très sérieusement par des adeptes du réchauffement climatique. Riez modérément, tout cela est payé par l’argent des contribuables.
Les cris hystériques pourraient se révéler contre-productifs. À la méfiance que l’Européen moyen éprouve envers des dirigeants incapables de sortir l’Europe de la crise s’ajoute la froide analyse des tensions intracommunautaires actuelles : elles sont bien plus le fait de la monnaie unique que de son absence. Les propositions humiliantes faites par les uns et les autres pour forcer les gouvernements à une meilleure gestion n’améliorent pas l’ambiance, et sont un avant-goût de ce qui se passera lorsque les uns et les autres voudront plus de garanties en échange de leurs prêts.
Si l’Allemagne siffle la fin de l’euro, l’Europe va imploser, très vite.
Si l’Allemagne délie les cordons de sa bourse, on gagnera un peu de temps, peut-être assez pour que les élections présidentielles françaises se passent dans un calme relatif. Au-delà, toute prédiction est hasardeuse.
L’Allemagne paiera – probablement, et sans qu’il n’y ait besoin cette fois-ci d’occuper la Ruhr. Mais, que les finances allemandes soient sacrifiées sur l’autel européen ou non, cela ne changera finalement pas grand-chose. La débâcle continentale d’un modèle social-démocrate financièrement insoutenable semble inévitable.
L’Allemagne p aiera – certainement. Et sans doute pour rien.
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Sur le web
Faut il écouter les bruits de la politique et des marchés?
La position centrale de la CDU est révélée par l’étude :
La Grèce ne sortira pas de l’Euro et l’Euro subsistera. C’est dans l’intérêt de l’Allemagne, dixit la Fondation Konrad Adenauer.
http://www.kas.de/wf/de/33.23662/
L’Allemagne, donc paiera, dans son intérêt.
L’histoire des marchés financiers depuis 1980 montre que les investisseurs ont toujours eu tort de vendre leurs actifs dans les crises. Celles-ci ont toujours été l’occasion des meilleurs investissements.
On se rapproche donc du début d’un extraordianire cycle de croissance dans l’Union Européene
« L’histoire des marchés financiers depuis 1980 montre que les investisseurs ont toujours eu tort de vendre leurs actifs dans les crises. Celles-ci ont toujours été l’occasion des meilleurs investissements. »
Je serais plus prudent. Je dirais plutôt que les investisseurs doivent vendre au début des crises pour acheter plus tard au début de la relance. L’analyse graphique des cotations (analyse technique) permet de s’apercevoir du début des crises et aussi du début de la relance et d’arbitrer en conformité. Par contre, aucune méthode (à ma connaissance) ne permet d’estimer la durée des périodes de crise et des périodes de croissance.
Ceci pour conclure que la situation actuelle est de baisse et il faut vendre les actifs (même à perte afin de limiter les pertes). Lorsque la relance commencera il faut acheter, mais pour l’instant il est plus sage de vendre les titres en portefeuille et de se positionner à la baisse (vente à découvert pour acheter plus bas dans quelques mois). Ce n’est pas parce que les cours baissent qu’ils vont forcément monter à nouveau (rappelez-vous de certaines entreprises cotées au NAsdaq ou de France Telecom à la fin des années 1990).
« On se rapproche donc du début d’un extraordinaire cycle de croissance dans l’Union Européenne »
Peut-être, mais pour l’instant je ne vois pas d’indicateurs de récupération.
Les banques allemandes ont 1.200 milliards d’€ de dettes souveraines, raison pour laquelle l’Allemagne n’a pas le choix et doit se porter au secours des États endettés.
europe ces le bordel et ces chere