Redécouverte de la Grande Société en Grande-Bretagne

Replacer le lien communautaire, de réciprocité, d’entraide, d’initiative locale, au centre de la fabrique du tissu social

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Redécouverte de la Grande Société en Grande-Bretagne

Publié le 22 novembre 2010
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En Grande-Bretagne une nouvelle révolution est en marche : celle de la Big Society (Grande Société). L’intitulé est forcément accrocheur, mais il faut y voir une tentative de retour aux sources de la civilisation britannique, qui pourrait en réalité (re)devenir un modèle pour de nombreuses nations. L’idée est de replacer le lien communautaire, de réciprocité, d’entraide, d’initiative locale, au centre de la fabrique du tissu social. Ce lien avait été coupé, entrainant une atomisation des individus, et provoquant un affaiblissement de l’esprit de la démocratie, qui se traduit de plusieurs manières.

Nombrilisme

Le lien communautaire coupé enfante d’abord d’un individualisme malsain se doublant d’un nombrilisme pleurnichard. Les récentes et atterrantes manifestations en France devant l’inévitable réforme des retraites en sont un symptôme. La moindre exposition aux problèmes en commun, à l’entraide, au sort de ceux qui sont plus nécessiteux que nous, a réduit peu à peu notre empathie et nous a isolé. Enfermés que nous sommes dans notre petite sphère individuelle, échappant aux problèmes des autres, nous tombons peu à peu du nombrilisme à la défiance : « y aurait-il plus malheureux que moi ? Quelle injuste concurrence, à moi qui ai tant de problèmes ! ». Comment espérer que des individus de ce type deviennent des citoyens à part entière ? Quel espoir de les voir mener une entreprise, quelle qu’elle soit ?

Comment a-t-on coupé le lien ?

L’équilibre a été rompu entre les trois sphères politique, économique et communautaire – une idée chère à l’économiste Jacques Garello. Il y a sans doute eu « confusion des ordres », pour reprendre une expression du philosophe Pascal Bruckner. Premièrement, l’évolution économique, avec l’avènement de la société concurrentielle a entraîné une intensification de l’individualisme (une plus grande indépendance économique pour les femmes a aussi facilité l’éclatement de la famille, cellule première du réseau communautaire). Mais cette inflation de l’ordre économique est-elle suffisante pour expliquer la dissolution du lien social, de l’ordre communautaire ? Ces deux ordres sont-ils forcément si antagonistes ?

Bien sûr l’évolution sociale entre aussi en jeu. Le recul de la religion, source d’élan communautaire, a sa part à jouer. Ajoutons l’avènement de la télévision, monstre technologique chronophage : nous n’allons plus faire du Bowling entre amis, comme le relevait le sociologue américain Putnam, mais restons seuls devant notre poste de TV.

Mais le lien communautaire coupé trouve une autre cause, plus majeure : l’absorption de l’ordre communautaire par l’ordre politique. À vouloir faire du social dans les politiques publiques, en instaurant de manière centralisée et étatisée un « modèle social », on a fini par vider la substance véritablement sociale de nos rapports sociaux. Pour François Ewald, avec l’État Providence on est passé d’un modèle de devoirs civiques, à un système de droit sociaux : c’est l’étatisation de la solidarité, qui a entraîné toutes sortes de conséquences sur les incitations des citoyens et peu à peu, leur état d’esprit.

Dé-civilisation

C’est d’abord l’idée d’une responsabilité de l’individu dans sa communauté qui a disparu. L’avènement de la « sécu » par exemple nous a donné un semblant de liberté (semblant car elle nous coûte en réalité extrêmement cher et nous ferme la porte de solutions alternatives), de ne plus dépendre de nos proches, mais d’avoir un « droit à » être protégé par l’État. Chacun ayant théoriquement ce droit, je n’ai plus à me préoccuper du sort des autres. Et j’en ai d’autant moins l’incitation que le système coûte très cher et qu’une lourde ponction fiscale m’incite à ne pas à être généreux. Ce phénomène est amplifié d’autant s’il est très compliqué et coûteux de lancer des fondations, ce qui a été le cas très longtemps en France. Bien sûr le monde des associations est là. Malheureusement, ces dernières sont politisées : la subvention publique a perverti l’intention, et donc l’incitation privée, à donner et participer sur une base responsable. Le véritable lien communautaire du « social » est ainsi réduit à la portion congrue par le politique.

Pourtant que de gaspillages dans cette « atomisation sociale au nom du social » ! Combien, par exemple, de « vieux » croupissant seuls devant leur poste de télévision dans leur appartement ou en maison, pourraient apporter leurs sagesses à des « jeunes », leur apprendre la musique, ou tout simplement garder des bambins du quartier? Combien de jeunes pourraient s’investir dans l’aide à des vieux nécessiteux, à des jeunes handicapés etc., plutôt que de déambuler hagards, leur iPhone inutile à la main, leur Nike aux pieds, dans des centres commerciaux, devenus leur seul horizon, d’un ennui effroyable ? Tant d’énergies retenues à côté de tant de besoins sociaux insatisfaits laisse pantois.

« Friendly societies »

Au Royaume-Uni, c’est donc à une dynamisation du véritable lien social et communautaire que le nouveau gouvernement veut s’atteler. Ce n’est pas la première fois. En 1834 [*], d’une part la loi sur les pauvres est amendée, car elle maintenait dans l’assistanat une partie de la population, et d’autre part la loi facilitant l’établissement de société amicales (Friendly societies) est passée : c’est alors le départ d’une formidable explosion de « société civile », le pays se couvrant d’un réseau mutualiste, volontaire et privé (notamment de secours mutuel) en quelques années. Jusqu’à la nationalisation du système au début du 20e siècle, qui sonnera le glas d’une société civile britannique libre et responsable : les abus au système, désormais anonyme, se multiplient, notamment en matière d’allocations chômage. Le lien social se meurt.

La société civile représente un potentiel de services rendus, de lien social densifié, de civilisation au sens profond du terme : devenir civilisé, acteur d’une Cité (pas celle des banlieues), partager, savoir agir en commun. Lorsqu’elle est délibérément étouffée, même pour des raisons bien intentionnées, tout ce potentiel pourrit littéralement. Et la civilisation avec. Espérons que l’expérience britannique reste en bonne voie et qu’elle inspire d’autres nations.

Article paru originellement sur www.UnMondeLibre.org.

[*] On lira avec profit l’ouvrage de David Green « Re-inventing civil Society ».

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  • Hayek écrivait que dans la société élargie, l'action collective était nécessaire pour remplacer les solidarité communautaires qui n'existaient plus. Le libéralisme implique un être libre, libéré de toute contrainte communautariste. La big society est une vision conservatrice, qui veut revenir aux temps d'avant le libéralisme.

  • Si j’ai bien compris, l’Angleterre du XIXème c’est l’exemple à suivre ?

    Dans ce cas il vaut mieux ne pas retourner la carte postale idyllique de cette époque !

    Mais au fait, il s’en est pas suivi une crise au début du XXème ?

  • Les commentaires sont fermés.

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