Cette rancœur qui mine Martine Aubry

Martine Aubry veut-elle se venger d’une génération d’énarques socialistes dans laquelle elle ne se reconnait pas ?

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Martine Aubry au 104 crédits parti socialiste Martine Aubry au 104 crédits Parti Socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)

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Cette rancœur qui mine Martine Aubry

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 26 février 2016
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Par Éric Verhaeghe

Martine Aubry au 104 crédits parti socialiste Martine Aubry au 104 crédits Parti Socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)
Martine Aubry au 104 crédits parti socialiste Martine Aubry au 104 crédits Parti Socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)

Martine Aubry a rédigé une tribune qui sonne comme une vengeance tardive contre le gouvernement profond dont les membres de la promotion Voltaire de l’ENA constituent la meilleure illustration en France. Au-delà des mots politiques du texte signé par la maire de Lille, je me devais bien d’y ajouter quelques interprétations des silences qu’il contient.

Martine Aubry face à la promotion Voltaire

Martine Aubry a quitté l’ENA six ans avant l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, et cinq ans avant la sortie de la fameuse promotion Voltaire. Elle appartient à cette génération de personnalités qui ont façonné les années Mitterrand et Chirac : Laurent Fabius, Lionel Jospin, Alain Jupé, en sont aujourd’hui, avec elle, les figures les plus emblématiques.

On ne dira jamais assez quel traumatisme l’arrivée de la Voltaire dans les cabinets ministériels a constitué, et quelles rancœurs son comportement prédateur vis-à-vis du pouvoir a pu soulever dans l’esprit de ceux qui l’ont précédée. Les anciens, déjà agacés par l’arrivisme de Laurent Fabius, ont connu le pire en suivant l’évolution de la Voltaire. Le goût du pouvoir, le copinage comme idéologie, la logique de connivence, ont largement transformé ses anciens élèves en petits marquis de la gauche caviar dont la conception de l’intérêt général s’est trop souvent limitée à la satisfaction de ses appétits individuels.

Je réentends ici l’un de mes maîtres de stage, à l’ENA, qui fut un proche de Martine Aubry et qui contemplait avec désolation le spectacle offert par la Voltaire : reniements idéologiques, compromissions en tous genres, et coupure constante avec la réalité.

Martine Aubry face au désenchantement idéologique

Ce n’est pas que Martine Aubry n’ait pas profité à sa manière du déclin aristocratique de la République. Le même maître de stage avait un jour pris un air mystérieux et secret, dans la voiture qui nous ramenait au bureau, pour me chuchoter : « Vous savez, Éric, dans la vie, cela sert beaucoup d’être fille de ministre ». Martine Aubry ne peut ignorer tout le bénéfice qu’elle a tiré de sa position d’héritière.

En revanche, elle appartient à une génération où l’enracinement idéologique était une valeur importante. On ne pouvait alors réussir sans accepter de porter une vision cohérente du monde, dont nous mesurons aujourd’hui les inconvénients : entre les 35 heures et l’obsession de légiférer sur tout et d’accroître sans cesse le champ d’intervention des politiques publiques, la France se meurt. Ces engagements idéologiques étaient le prix à payer pour faire oublier le bonheur de sa condition. On ne peut pas dire que la promotion Voltaire ait conservé intact le flambeau de cette sincérité.

Dans la tribune de Martine Aubry, on lira aussi cet écœurement face à une génération d’énarques dont l’accession au pouvoir a tenu lieu d’idéologie. Le comportement de François Hollande en constitue la caricature : parvenu à l’Élysée au nom de la lutte contre la finance et du rejet de Sarkozy, il est devenu le meilleur allié du grand capital financier et reprend aujourd’hui à son compte tous les comportements de son prédécesseur. La violence qu’il fait aux corps intermédiaires en déposant un texte à l’Assemblée sans les avoir consultés en est un signe qui ne trompe pas. Elle s’ajoute à la grotesque séquence sur la déchéance de nationalité dont aucun Français n’a compris le sens.

Martine Aubry face au gouvernement profond

Ce qui n’est pas dit, évidemment, dans le texte de Martine Aubry, c’est le fonctionnement implicite du gouvernement profond qui est à l’œuvre, et l’on peut comprendre les raisons de ce silence. Martine Aubry sait pertinemment que François Hollande n’est pas cortiqué idéologiquement et que les seules idées qu’il défend en politique lui ont valu, en leur temps, la présidence du club « Témoin » fondé par Jacques Delors. Les plus pernicieux diront d’ailleurs toute la douleur que la fille de son père peut ressentir pour cette sorte de frère d’adoption tardive dont elle peut estimer qu’il dévoie l’héritage paternel.

Toujours est-il que la sauce politique que nous sert François Hollande ne va pas au-delà du prêt-à-penser européiste et atlantiste défendu en son temps par Jacques Delors et qui dicte la conduite du gouvernement profond en France. On y retrouve l’idée tenace selon laquelle la France est un petit pays qui n’a d’avenir qu’à travers l’Europe, selon laquelle un grand marché unique au service des grandes entreprises et des noyaux durs est la solution qui nous convient, selon laquelle l’État doit réparer les dommages sociaux causés par ces choix en intervenant massivement dans la vie des citoyens par des politiques de protection que financent les classes moyennes.

C’est ce gouvernement social-libéral qui est au coeur du débat, cette vision imposée par le gouvernement profond contre lequel se brisent toutes les bonnes volontés et tous les combats citoyens.

Martine Aubry et les réfugiés

dessin politique268On notera toutefois qu’à certains égards, ce que Martine Aubry reproche à François Hollande et surtout à Manuel Valls, ce sont ses entorses à une autre conviction portée par le gouvernement profond : l’intérêt des politiques migratoires ouvertes. De ce point de vue, le fait que la France s’arrange à ce stade pour ne pas recevoir massivement les réfugiés qui transitent par la Grèce est présenté comme un reproche. Manifestement, Martine Aubry a d’ores et déjà oublié la cuisante défaite de son proche Saintignon aux élections régionales dans le Nord. Avec un peu de lucidité, elle pourrait peut-être se rappeler que ses électeurs ne semblent pas partager son enthousiasme pour ces choix politiques.

Il faudra bien un jour se demander pourquoi cette empathie se maintient malgré les réalités populaires qui s’expriment.

Martine Aubry nous fait-elle son complexe d’Electre ?

Cette tribune constitue un superbe monument de non-dits. Ce qui y est reproché à François Hollande, au fond, c’est un probable affaiblissement de la France du fait du respect de ses engagements européens. Car, redisons-le, la loi El-Khomri qui fait déborder le vase est une sorte d’immense manifestation de subordination à l’Union Européenne et à son mainstream idéologique.

Seule la connivence des élites françaises peut expliquer que la fille du promoteur et principal acteur de l’Acte Unique européen s’en prenne sans vergogne publiquement à celui qui fut son principal rival politique à gauche, et qui n’est guère aujourd’hui que le meilleur héritier de son père. La tribune de Martine Aubry aurait mieux porté si elle s’était ouverte par le premier des constats que nous devons dresser aujourd’hui : ce pays a besoin de renouvellement politique, et les vieilles rancœurs entre ses vieux dirigeants décadents sont la première de nos plaies.

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  • Méremptoire enrage surtout d’être sur la touche depuis la fin de l’ ère Jospin. Elle n’a plus été que maire de Lille (au prix d’un clientélisme effréné gangréné par une islamophilie exubérante à peine camouflée) et chef de la communauté urbaine LM. Pas même député ou sénatrice. Rester si bas dans l’échelle politicienne pour une dame d’une telle valeur… Quant à l’ intuition féminine, son aspect perpétuel de dogue à qui l’on a chouravé son os à moelle, montre que ce n’est point là sa principale force. Succédant à Hollande au premier poste du PS, v’là-t-y pas qu’elle ne cessât point de le dézinguer à tous propos voire hors de propos, imaginant sûrement qu’il n’arriverait jamais à grand’chose…
    En fait, elle a toujours espéré que ses lois des 35 H00 allaient être un sésame électoral surpuissant, ce qui n’a pas été vérifié…

  • excellente phrase de conclusion.

  • pas mal comme surnom, çà : « Mèremptoire » !

    • Lillois encore de coeur (et contribuable de cette peste), j’ évacue la hargne engendrée par sa gestion municipale et communautaire.

  • Le PS est rempli de requins et de vautours affamés de pouvoir qui n’ont aucune considération pour la population.

  • Regardons positivement les choses: tout cela commence à se voir et se savoir.
    L’information des citoyens est leur leilleure arme démocratique.

    • Entièrement d’accord.

      J’ai envie d’être optimiste : cette tribune grotesque qui ne compte AUCUNE proposition, les réactions débiles des syndicats à propos la réforme du Code du travail, le remaniement-magouille de Pépère…..

      Je pense que les Français commencent à voir au travers et que l’aile gauche du PS a beau avoir la faveur des médias, ils apparaissent surtout comme un ramassis de vieux cons archaïques.

      On peut aussi noter que quelques (trop rares certes) hommes politiques osent parler de libéralisme.

      Plus qu’à dégager les fossiles de la pseudo-Droite (plus facile à dire qu’à faire mais sait-on jamais ?) et on pourra commencer à respirer.

      • Je partage aussi votre optimisme, mais malheureusement le gagnant de tout cela sera forcément le FN.

        • Pas sur, la mafia familiale est passée à travers les goutes pour l’instant parce qu’elle sert bien la gauche, mais l’extrême bienveillance dont MLP bénéfice de la part des médias et des juges (juste à voir la façon dont est étouffée l’histoire des délégués parlementaires européens) ne serait pas durer.

        • J’ai décidément envie d’être optimiste aujourd’hui.

          Je ne suis plus si sûr que le FN sera au 2d tour en 2017.

          Primo – Parce qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité de nuisance de JM Le Pen, qui n’a d’égale que son égo. Il a du mal à supporter le « succès » de sa fille et il est capable d’essayer de la torpiller.

          Secundo – Parce que pas mal d’affaires éclatent. Même si les militants/sympathisants y voient un complot, beaucoup d’électeurs vont finir par tiquer.

          Tertio – Parce que les « vieux » militants ne se reconnaissent pas la « ligne Philipot » et, qui sait, une scission peut se produire tant le programme de ce parti est totalement incohérent. D’où le point suivant,

          Quarto – Parce que le programme économique du FN est tellement inepte que ça en rebute quand même pas mal (même si ça attire beaucoup d’anciens communistes).

          Quinto – Parce qu’enfin, un certain nombres d’hommes de Droite ont fini par comprendre que faire de la « gauche light » et du politiquement correct, ça ne servait plus à rien. Bien sûr il reste Sarko/Juppé mais qui dit qu’ils vont tenir la distance ?

          Ok je verse peut-être dans l’optmimisme béat.

          • Sexto, parce que le message de MLP tombe dans le vide : ça ne sert plus à rien de décrédibiliser la classe politique : elle se suicide d’elle-même, ça ne sert à rien de brandir le menton, Vals en offre une parfaite démonstration d’impuissance, ça ne sert à rien de faire du populisme fanfaron pour se retrouver comme Tsipras, etc … les gens votaient pour MLP en grande partie pour secouer el cocotier … c’est bon : le fruit est mur, archi-mur.

          • Il n’y a pas que les électeurs, quand le russe tique, l’agent se tasse et le pro se tate.

          • @guillaume_rc , désolé de vous scier le moral , mais en admettant que vous ayez raison pour le fn, croyez vous une seconde qu’il y ait qqn de présidentiable en vue qui puisse/veule faire quoi que ce soit contre le mal qui nous ronge? sit back and relax , shit will happen

          • Je ne sais pas si vous êtes exagérément optimiste mais vous soulevez plusieurs points intéressants.

            Ne serait-ce que sur le plan des affaires, l’air de rien, le FN commence à les accumuler façon Sarkozy. Aucune n’a encore débouché sur des condamnations mais le nombre de grenades dégoupillées n’est pas négligeable.

            Il y a aussi le refrain désormais célèbre du « ça fait le jeu du FN ». À tel point que l’héritière n’a dit-on même plus besoin de faire campagne, ça tombe tout cuit. Il y en a d’autres qui n’ont pas jugé utile de faire campagne tellement l’affaire semblait pliée, ils ont eu des problèmes ®.

  • La rencoeur que les français ont contre les 35 heures scélérates et ineptes. Qu’elle se fasse oublier à tout jamais

  • Un bon résumé de l’indigence mentale de l’apparatchik.

  • Même les média qui lui sont le plus dévoués essaient aujourd’hui de lui faire comprendre que les récentes fleurs dont il a été récemment couvert étaient une attention agréable pour fêter son départ amplement mérité. Saura-il-en profiter avant que l’orage ne se déchaine ?

  • Martine Aubry qui déplore l’aristocratisme de la promotion Voltaire … elle qui est un pur produit du système… en pourfendeur de l’hégémonie de l’Europe … elle la fille de … on croit rêver.

    Non Martine Aubry est un animal politique sans aucune conviction et qui n’a pas digéré de s’être fait battre lors des primaires par Flamby, de s’être fait mettre à l’écart face à Ayrault et Vals et surtout de s’être fait en… par Jospin et sa loi sur les 35 heures qui lui plombera sa carrière pour toujours et qu’elle trainera comme un boulet toute sa vie.

    Ce que Martine Aubry reproche à Hollande et à Vals, c’est de la laisser croupir à la mairie de Lille et de ne pas lui avoir donné un bon cacheton lors du dernier remaniement.

  • J’ai du mal a croire que le grand capital financier ait besoin d’alliés en france vu que c’est lui qui porte a bout de bras les gouvernements successifs qui ont besoin de son argent pour boucler leur budget. Il ne s’agit pas d’alliés mais de domestiques.

  • Martine avait des ambitions tres élevées, elle enrage et hurle sans doute de s’être fait damé le pion par des êtres aussi falots que Hollande et sa clique …. qu’elle brame donc !

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