Taux négatifs : conséquences inattendues à l’horizon

Les taux négatifs ne créent aucune réelle incitation à dépenser plutôt qu’à épargner. La preuve par le Japon et la Suisse.

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Taux négatifs : conséquences inattendues à l’horizon

Publié le 25 février 2016
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Par Vincent Bénard.

Siège de la Federal Reserve à Washington DC (Crédits Tim Evanson, licence Creative Commons)
Façade de la Federal Reserve Bank

Si tout ceci ne se traduisait pas en chômeurs et en nouveaux pauvres, on pourrait en rire.

Japon : le bon peuple ne réagit pas comme les économistes l’avaient prévu

Fin janvier, la banque du Japon annonçait son entrée dans le club des banques centrales à taux négatif. La mesure était censée relancer le crédit en incitant les banques à ne pas laisser leurs réserves dormir en banque centrale, et destinée à réduire le taux d’épargne servie à la population, et donc à l’inciter à “consommer”, puisque dans l’inconscient keynésien, consommer est bon, et épargner est mauvais.

Que constate-t-on moins d’un mois après ce mouvement désespéré de la BoJ ?

Les Japonais retirent en masse leur liquide des banques et conservent leur cash. Et il y a une pénurie de… Coffres forts !

La loi des conséquences inattendues (enfin, inattendues d’un économiste mainstream…) a encore frappé. Pourtant, il était assez facile de prévoir quel serait la réponse comportementale des Japonais à l’arrivée des taux négatifs.

Panorama des effets non anticipés des taux zéro ou négatifs

Tout d’abord, conserver du cash est d’autant plus rentable que le taux de rémunération descend. Mais plus encore, les Japonais anticipent évidemment un risque de transmission des taux négatifs à leur compte en banque, et préfèrent prendre leurs précautions. En gros, ils se couvrent contre un risque de dépréciation bancaire…

Si c’étaient là les seuls effets pervers de taux de rémunération proches de zéro voire inférieurs, ce ne serait encore pas si grave. Mais poursuivons l’exploration du monde merveilleux des taux négatifs.

La Suisse vient d’expérimenter quelque chose de curieux au premier abord : les taux de prêts longs aux particuliers ont augmenté. Cela s’explique simplement. Quelques banques Suisses ont voulu répercuter les taux négatifs sur les dépôts bancaires, et ont dû très vite faire face à de gros retraits. Elles ont donc fortement limité cette répercussion, mais, pour trouver de la marge, elles ont… augmenté leurs taux sur les prêts longs, à l’immobilier principalement (source), à un niveau supérieur fin 2015 à ce qu’il était en début d’année.

Ensuite, d’une façon générale, dans de nombreux pays, les épargnants savent que, pour leur retraite, ils ne pourront compter que sur leur épargne, les régimes publics à prestations définies étant structurellement dirigés vers une faillite. Par conséquent, quand les taux baissent trop, ceux qui le peuvent vont avoir tendance à épargner plus, pour espérer des retours corrects quand ils ne pourront plus travailler.

Bref, les taux négatifs ne créent aucune réelle incitation à dépenser plutôt qu’à épargner. « Et alors ? »

L’épargne, cette consommation productive…

Au reste, ce n’est pas un problème, d’un point de vue “non conformiste”. Il y a deux sortes d’épargne : le placement productif, et le coffre-fort plein de cash, ou d’or.

Le placement productif n’est qu’une consommation différée. L’argent sera prêté ou placé dans une entreprise qui l’investira en nouveaux produits ou outils de production, et donc versera des salaires, paiera des fournisseurs, etc. Tôt ou tard, l’épargne placée revient dans le circuit de consommation. Comptablement, l’effet d’une dépense d’investissement ou de consommation est identique, mais la première contribue à créer du capital fixe, productif, facteur de vraie croissance future et non de simple « croissance comptable » par accroissement de la dette globale. Placée dans ces conditions, l’épargne est de la “consommation productive” et ne devrait pas être montrée du doigt par les économistes.

(Lire cet ancien article pour savoir ce que j’entends par “bonne croissance”, ou « croissance mieux », « structurelle », « schumpéterienne », par rapport à la croissance « plus », purement comptable, financée par la dette et factice)

Quant à l’épargne sous le matelas, certes, elle retire de la masse monétaire du circuit, et donc réduit le montant total des transactions possibles. Mais si les banques centrales n’y mettaient pas leurs sales pattes, ce retrait provoquerait une baisse des prix qui créerait de nouvelles opportunités d’entreprendre…

(Lire aussi cet ancien éloge non-conformiste de la déflation).

Bref, l’épargne n’est pas l’ennemie de la croissance, ni celle de la consommation… Sauf l’épargne dans les obligations des États mal gérés, mais c’est un autre débat, pour un autre article, une autre fois !

L’incitation au mal-investissement, et ses dangers à moyen terme

Continuons notre tour du musée des horreurs des taux négatifs.

Les banques centrales, en augmentant leurs bilans, en rachetant des créances bancaires de moins en moins bien notées, ont inondé les établissements financiers de liquidités. Mais celles ci sont en recherche désespérée de rendement. Nous entrons donc dans une zone dangereuse, celle du “mal investissement”, c’est-à-dire de l’investissement dont le rendement nominal ne rémunère pas correctement le risque d’échec. Autrement dit, des projets qui n’auraient jamais trouvé preneur dans une économie de taux proches de leur normale historique, trouvent du cash prêt à s’y investir “faute de mieux”. Mais la rémunération servie est insuffisante pour couvrir la probabilité d’échec de ces investissements.

Ajoutons que les banques sont amenées à prêter à long terme à des taux plus faibles que leur moyenne historique, mais que le risque de remontée de ces taux autour de ces moyennes est loin d’être nul. Leurs créances longues perdront donc beaucoup de valeur si les taux remontent vers ces moyennes historiques pour quelque raison que ce soit, et nous pourrions alors assister dans les mois ou années à venir au déclenchement d’une crise bancaire comparable à la crise des caisses d’épargnes américaines dans les années 1980, squeezées par une remontée rapide des taux de la Fed alors qu’elles avaient en portefeuille des créances longues à taux fixe plus faible, et donc ne pouvaient pas rémunérer leurs déposants à hauteur des bons d’État…

Une autre façon de rechercher du rendement est de se lancer dans des opérations à caractère spéculatif, à horizon temporel incertain : parier sur une hausse de l’immobilier, de l’or, du pétrole, etc… à long terme, et tant que le pari ne se matérialise pas, tenir sa position jusqu’à toucher le jackpot. Cette attitude n’est guère sensée en période de taux normaux : le coût de la couverture du risque spéculatif (hedging) est trop élevé. Mais en régime de taux très faibles, voire quasi nuls, couvrir une position spéculative est tenable.

Vous l’avez compris : un environnement de taux trop faibles dégrade la qualité de l’investissement global, et les taux négatifs favorisent une sur-épargne sans rendement, dont l’effet déflationniste (qui serait positif, répétons le inlassablement) est hélas compensé par la création monétaire désespérément orchestrée par des banques centrales en mode “navigation à vue”.

Et qui dit investissement de faible qualité dit croissance structurelle faible, incapable de générer les rendements nécessaires pour rémunérer correctement le risque de malinvestissement. Nous entrons donc dans une zone où le risque est élevé de voir les bilans bancaires à nouveau plombés de mauvaises créances. Reste à savoir si les mécanismes de résolution de faillites bancaires récemment instaurés permettront de limiter l’impact de cette crise par rapport à celle de 2008. Je l’espère, mais je ne suis pas madame Soleil…

Conclusion : les taux zéro ou négatifs, une ineptie qui nous coûtera cher

Le simplisme et l’ineptie des raisonnements qui président aux politiques de “relance par injection monétaire”, dont la politique de taux zéro ou négatifs est le point d’orgue, sont confondants. Les résultats déjà observables au Japon ou en Suisse montrent que les agents économiques réels, des individus de chair et d’os, ne réagissent pas comme des modèles mathématiques d’économistes incapables de raisonner au delà du premier degré. Et les conséquences de moyen et long terme de la folie des taux zéro nous promettent un nouvel épisode de crise financière dont on ne peut prédire l’ampleur.

Retrouvez sur Contrepoints notre rubrique Banques centrales

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  • très bon article.

    j’y ajouterai qu’au delà de tout ce qui est évoqué ci-dessus, un autre problème des taux très bas ou 0 est que cela ne permet plus de distinguer les bons des mauvais projets d’investissement, thème cher à Charles Gave.

  • Le taux négatif a été pour moi une très bonne aubaine. En 2008 j’ai contracté un prêt indexé sur l’Euibor. Or à ce jour ce taux est négatif. A ce rythme, ce prêt va finir par me rapporter de l’argent.
    Je parts du principe qu’aujourd’hui, il vaut mieux être endetté qu’épargnant, à condition bien sûr de bien choisir son investissement.

  • Vous oubliez un tout petit détail, une paille voire deux: primo cela fait bien longtemps que les banques n’investissent plus au sens classique ou vous l’entendez, elles ne font que spéculer à très court terme ,à la micro seconde près avec les combines du high frequency trading qui n’ont plus rien à voir avec un quelconque investissement voire avec l’économie tout court, mais plutôt avec le banditisme pur. deuzio , vous avez un secteur financier qui échappe totalement au flux « normal » de l’économie, à toute régulation, ce sont les « paradis fiscaux » et le shadow banking, qui sont aussi une tricherie colossale, jamais vue dans l’Histoire, des gens qui trichent comme aujourd’hui Ikea google et bien d’autres et ceci légalement et en arrivent à fausser la concurrence loyale en payant 4 à 5 fois moins d’impôt qu’un petit industriel inventif et travailleur . La fainéantise est désormais du côté de la rente financière hors taxe pas du côté des industriels. Les mêmes qui vivent hors taxe viennent travailler 6 mois en France pour avoir la sécu pouvoir être soigné dans un hôpital lorsqu’ils sont malades …Mais un décret d’une ligne un vendredi soir y mettra fin: interdiction faite aux banques de tout trafic avec les « paradis » sous peine de retrait des licences bancaires et saisie des biens des fraudeurs via Interpol . Déjà la Suisse, Monaco et d’autres « paradis » arrêtent la fraude fiscale par peur de tout perdre et il y a la queue à Bercy pour rentrer la queue basse à la maison . Les derniers à rentrer perdront tout ! Un petit disque dur et un simple informaticien de maintenance peut copier des millions de listings de fraudeurs , Ha! la vie des fainéants fraudeurs est bien finie, snif snif ! où sont nos valises de billets ?

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