Non ! Elon Musk n’est pas une brute épaisse. Le Raptor V3 de son Starship, qu’il a voulu, est la quintessence des moteurs fusées.Â
Le jeudi 8 août 2024, SpaceX a effectué le premier essai-moteur du Raptor V3 (RV3) qui doit prendre la suite des RV2 pour équiper les Starships (lanceur et vaisseau). Ce n’est pas rabaisser les compétences et l’efficacité de Gwynne Shotwell, COO (Chief Operating Officier) de SpaceX, que de féliciter Elon Musk, créateur de l’entreprise et son actionnaire principal (79 % des droits de vote), son PDG et l’inspirateur de sa stratégie de développement vers la perfection dans la propulsion chimique.
SpaceX travaille son Raptor depuis 15 ans, mais sa matérialisation est toute récente puisque les premiers essais au sol ne remontent qu’à 2016 et la première utilisation en vol (sur le Starhopper), à 2019. Ce sont des RV2 qui ont équipé les tests en vol IFT 1 (avril 23), IFT 2 (novembre 23), IFT 3 (mars 24) et IFT4 (juin 24). On ne sait pas encore quand le RV3 sera utilisé en vol mais ses débuts au sol sont prometteurs. Ce moteur est révolutionnaire par bien des aspects. Ce qui est surtout remarquable, c’est son évolution ultra-rapide vers le toujours mieux.
Le méthane
Le mix d’ergols méthane/oxygène a été choisi en 2012 selon le raisonnement suivant :
- Les températures du méthane et de l’oxygène liquides sont très proches (à 22°C près) à la différence de l’hydrogène liquide, ce qui facilite leur maniement.
- Le méthane laisse moins de résidus de combustion dans le moteur, ce qui en facilite évidemment la réutilisation (SpaceX espère plusieurs dizaines de fois).
- Du fait de sa très basse température et des fuites difficiles à éviter compte tenu de la taille de la molécule d’hydrogène, l’hydrogène liquide demande un stockage complexe, occupe un volume important (taille des réservoirs plus grands) et requiert des propulseurs coûteux à développer et à utiliser.
- On pourra obtenir du méthane sur Mars à partir du CO2 de l’atmosphère (réaction de Sabatier) moyennant un apport, faible, d’hydrogène obtenu sur place (glace d’eau martienne) donc non transporté !
- Les performances des moteurs méthane/oxygène sont tout à fait satisfaisantes quoique leur efficacité soit moindre que celle de ceux fonctionnant à l’hydrogène brûlant dans l’oxygène. L’Isp est de 350 secondes pour le RV1 ou RV3 (347 pour le V2). Pour comparaison, le Vulcain-2.1 d’Ariane-5 et d’Ariane-6 a une Isp de 432s. Donc l’Isp du V3 est moins bonne que celui du Vulcain 2.1 mais sa poussée est excellente : 280 tonnes pour le V3 contre seulement 137 tonnes pour le Vulcain 2.1. Et ce facteur est capital pour le décollage, puisque c’est à ce moment que la fusée est la plus lourde (puisque pleine du maximum d’ergols).
Je rappelle que l’Isp (impulsion spécifique) est la grandeur utilisée pour mesurer l’efficacité des moteurs. Elle indique (en secondes) la durée pendant laquelle un kg d’ergols produit la poussée nécessaire pour élever une masse d’un kilogramme dans le champ gravitationnel terrestre. Plus la durée est longue plus le moteur est efficace. Tous les moteurs qui utilisent le même mélange de gaz n’ont pas la même Isp, cela dépend de la configuration du moteur. Mais les chiffres ci-dessus donnent des tendances.
L’ensemble des avantages du Raptor dépasse largement la relative faiblesse de l’Isp. C’est clairement pour la puissance mais aussi pour la facilité d’utilisation, avec en vue le retour de la fusée depuis la Lune ou Mars (où l’environnement technologique installé sera moins sophistiqué que sur Terre), mais aussi le décollage depuis plusieurs astroports sur Terre, que SpaceX a préféré la combustion méthane/oxygène à celle de l’hydrogène/oxygène.
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La combustion étagée à flux complet
Le Raptor innove aussi dans le mode d’utilisation de ses ergols puisqu’il recourt à la combustion étagée à flux complet (FFSC pour Full Flow Stage Combustion).
Dans ce cycle, l’entièreté (et non seulement une partie) du méthane et de l’oxygène est soumise à une pré-oxydation (pré-brûlés) à très haute température (trop élevée et rapide pour éviter une combustion complète), chacun dans sa mini-chambre de combustion (une avec quasi-totalité du méthane, l’autre avec quasi-totalité de l’oxygène), pour alimenter chacun une turbopompe conduisant à la chambre de combustion principale (SC). Les ergols ressortent de chaque turbopompe à l’état totalement gazeux avec d’une part, des gaz riches en comburants (oxidizer rich), et d’autre part, des gaz riches en carburants (fuel rich). Dans la chambre de combustion principale, la combustion complète s’effectue de façon beaucoup plus efficace et sans résidus que si elle n’avait pas été précédée de cette précombustion. Les gaz ultra-chauds résultant de la combustion complète (CO2 + H20), fournissent la poussée en étant expulsés par la seule voie possible, la tuyère (orientable). Comme la totalité des ergols passe par les turbines (et non en majeure partie directement dans la chambre de combustion), on donne à ce cycle le qualificatif de full flow (FF). Le processus est simple et c’est un gage de fiabilité. La théorie sur ce FFSC a été étudiée dès 1949 en URSS, mais avec les Raptor V2 et V3, c’est la première fois qu’on l’utilise dans un moteur-fusée.
Schéma FFSC (Wikipedia, creative commons : CC BY-SA 3.0)
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L’impression 3D
La dernière innovation (pour le moment) est la simplification de l’architecture par utilisation massive de l’impression 3D.
Pour Elon Musk « best part is no part », chaque élément d’une structure complexe extérieure étant évidemment utile mais aussi source de défaillances en raison de sa fragilité. Au-delà de la simplification et de sa moindre exposition à des incidents lors des manipulations, un moteur plus compact est moins sensible aux vibrations (un gros problème pour les structures complexes composées de multiples pièces). Aussi, qui dit moins de pièces dit moins de masse. Et pour une fusée, c’est une amélioration très appréciable. Enfin, un moteur plus intégré et plus simple est plus rapide à construire (on passe de onze jours pour un RV1, à deux jours pour un RV2, à quelques heures pour un RV3) et moins cher à fabriquer, compte tenu de la simplification et de la réduction du temps de production.
Pour commencer, dans le Raptor V3 on a supprimé les boulons, remplacés par des soudures. L’impression 3D permet aussi de réduire au minimum la tuyauterie externe susceptible de fuites et donc de feu. Ces tuyaux comme les attaches métalliques peuvent être supprimés par intégration de leur fonction (si elle reste nécessaire) dans la masse d’autres pièces. Ainsi SpaceX a créé un refroidissement régénératif intégré en faisant passer les ergols à l’état cryogénique par des tubes dans la coque entourant la tuyère aussi bien que la chambre de combustion. De ce fait, plus besoin de bouclier thermique, plus besoin de système anti-incendie (et allègement de masse complémentaire).
Seul point négatif de l’intégration dans la masse, toute réparation devient une opération chirurgicale. On n’aura donc pratiquement pas de choix autre que le remplacement en cas de défaillance interne. Mais l’impression 3D donnera beaucoup de souplesse, même lorsqu’on se trouvera sur la Lune ou sur Mars. Par ailleurs, la simplification par impression 3D permettra d’énormes baisses de coûts, et de ce fait, des remplacements de moteur sans conséquences financières trop lourdes pour SpaceX et un prix du transport plus accessible pour le client.
Comme mentionnés plus haut, les résultats pour la masse sont impressionnants :
- RV1 : masse totale 3630 kg, poussée 185 tonnes pour un RSL (200 pour un RVac), Isp 350.
- RV2 : masse totale 2875 kg, poussée 230 tonnes pour un RSL (258 pour un RVac), Isp 347.
- RV3 : masse totale 1720 kg, poussée 280 tonnes pour un RSL (306 pour un RVac), Isp 350. Pour un lanceur SuperHeavy cela permet une poussée totale de 9240 tonnes et pour le vaisseau une poussée totale de 1758 tonnes.
RVac : Raptor adapté au vide / RSL : Raptor Sea Level. Le lanceur SuperHeavy est équipé de 33 RSL et le vaisseau Starship de 3 RSL. Le vaisseau Starship dispose en plus de trois RVac.
Pour comparaison, la poussée au sol du moteur Vulcain 2.1 (qui équipe Ariane 6) est de 137 tonnes. Il a une masse de 2000 kg (l’Isp est mentionnée plus haut).
Sur les 200 tonnes de masse sèche du SuperHeavy, pour ne prendre que les versions RV2 et RV3, on voit que la différence de masse pour 33 moteurs (2875-1720) représente 34,82 tonnes. Ce n’est pas un chiffre négligeable (sans compter qu’à cette économie il faut ajouter celle de la masse des ergols nécessaires et de leur réservoir) pour soulever une masse qui devient plus faible, et aussi celle des protections thermiques. Cela permettra d’emporter davantage de charge utile ou en conservant la totalité des ergols logeables dans les réservoirs, d’avoir plus de temps dans la dernière phase de l’atterrissage pour hésiter ou réfléchir, notamment avant de toucher le sol de la Lune ou de Mars.
Et ce n’est pas fini !
Après le Raptor V3, il y aura un Raptor V4 et, qui sait, un Raptor V5. L’objectif à l’issue du process itératif cher à Elon Musk, est d’atteindre une poussée de 330 tonnes par moteur RSL permettant 10 890 tonnes de poussée au décollage pour un SuperHeavy équipé de 33 moteurs (mais on en envisage déjà 35). Quant à l’ISP, on essayera toujours de faire un peu mieux. Déjà le V3 a amélioré légèrement les performances du V2 (+5 secondes).
Par cet état des lieux et ces comparaisons, je veux montrer que SpaceX n’est pas une entreprise d’amateurs qui profite simplement d’une rente accordée par la NASA comme beaucoup le disent. Les acquis technologiques sont sans cesse poussés par des itérations continuelles dans des paris audacieux faits par des ingénieurs compétents. Elon Musk et ses équipes ne se reposent pas sur leurs lauriers, et SpaceX reste à la pointe de la technologie de la propulsion chimique. Mais aussi, Elon Musk a une vision dont il ne dévie jamais, les missions habitées sur Mars (et accessoirement sur la Lune). Et compte tenu de la robustesse du moteur Raptor V3 (et suivants), de l’utilisation du méthane plutôt que l’hydrogène comme carburant, et de l’utilisation systématique de l’impression 3D, SpaceX est la seule entreprise à pouvoir envisager ces missions aujourd’hui.
Illustration de titre : évolution visuelle des trois versions du Raptor. Crédit SpaceX.
Ci-dessous évolution des Moteurs Vulcain (crédit Capcom Espace). 1324 kN = 135 tonnes.
Liens :
https://www.mccaininstitute.org/fr/le-forum-de-sedona/haut-parleurs/gwynne-shotwell/
La “rente de situation” coûte, d’après les dires de la NASA, 1/3 de ce que ses propres lanceurs auraient coûté.
Ce qui explique que Space X ait raflé 90 % des envois de satellites aux USA en 2023, dont la grande majorité non-NASA
Complètement faux.
1) Il n’y a pas de “lanceur NASA” mais des lanceurs achetés par la NASA à des fournisseurs, comme Boeing (ULA) ou SpaceX.
2) C’est la Nasa qui a choisi les Falcon-9 de SpaceX. Si elle les a choisis c’est que c’étaient les meilleurs sur le Marché (les falcons Heavy également mais ses lancements sont beaucoup plus rares).
3) le coût bas résulte premièrement (outre la fiabilité) de la récupération puis de la réutilisation des lanceurs (1er étage). L’un de ces lanceurs a été réutilisé plus de 20 fois. C’est la première des raisons du coût bas. Cette réutilisation a été au début, considérée comme impossible par les concurrents.
4) Le coût bas résulte ensuite des économies d’échelles résultant du nombre de lancements.
5) Les coûts de lancement d’un Falcon 9 sont les plus bas du monde et le prix pour la NASA est simplement déterminé par le Marché en fonction de la qualité de l’offre.
6) les compétiteurs sont incapables de fournir l’offre de SpaceX mais il n’y a aucune interdiction de participer à la concurrence (Jeff Bezos voudrait bien remplacer Elon Musk mais son lanceur est balbutiant).
7) en 2023, SpaceX a lancé 96 Falcons (dont 4 “heavy”), 69 falcons en 2024 lancements tous réussis (récupération ratée pour le dernier). Il n’y a eu que 3 lancements d’Ariane-5 en 2023 et jusqu’à présent un seul lancement d’Ariane-6 en 2024.
Le commentaire de la NASA concernant le tiers du coût pour une fusée qu’ils développeraient date de quelques années, et faisait probablement référence à la navette spatiale, conçue par la NASA
Apparemment, c’est encore nettement mieux, le coût estimé d’un kg de charge utile pour les navettes ayant été de k$ 54.5 / kg contre un coût de Space X de k$ 2.7
J’avoue ne pas comprendre le “complètement faux”
Je ne voulais pas être désagréable. Si vous avez ressenti ma réponse ainsi, je vous prie de m’en excuser.
Je voulais simplement exprimer mon désaccord sur une position française qui me semble un peu de principe. Pour moi, la NASA n’aide pas plus ses entreprises astronautiques que l’ESA qui donne la priorité aux lanceurs d’ArianeGroup quel qu’en soit le prix (même si les lanceurs américains sont moins chers). Et le prix payé par l’ESA à AraineGroup est nettement plus élevé que ceux que paye la NASA à ses fournisseurs.
Enfin, un prix est la rencontre d’une offre et d’une demande. La NASA n’enfreint pas cette règle.
Avant d’affirmer il est préférable de vérifier. La NASA n’a jamais rien construit, ce n’est qu’une agence qui passe des commandes aux industriels. Ainsi pour la Saturn 5 le premier étage fut construit par Boeing, le second par North American Aviation ainsi que la capsule Apollo et le troisième par Douglas. Les moteurs par Rocketdine et le module lunaire par Grumman.